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LETTRE LI

A M. DE CIDEVILLE..

Dimanche, 4 janvier.

Ma fanté eft pire que jamais. J'ai peur d'être

réduit, ce qui ferait pour moi une difgrâce horrible, à ne plus travailler. Je fuis dans un état qui me permet à peine d'écrire une lettre. Les vôtres m'ont charmé, mon cher Cideville'; elles font toujours ma confolation quand je fouffre, et augmentent mes plaifirs quand j'en ai. Je n'écrirai point cette fois.ci à notre aimable Formont, par la raifon que je n'en ai pas la force. Je lui aurais déjà envoyé les Lettres anglaifes; mais voici ce qui me tient: M. l'abbé de Rothelin m'a flatté qu'en adouciffant certains traits, je pourrais obtenir une permiffion tacite, et je ne fais fi je prendrai le parti de gâter mon ouvrage pour avoir une approbation.

Il a fallu que je changeaffe l'épître dédicatoire de Zaïre, qui aurait paru tout uniment et fans contradiction, fans le mal- entendu entre monfieur votre premier préfident et M. Rouillé. Heureufement toute cette petite noise est entièrement apaifée. J'ai facrifié mon épître, et j'en fais une autre..

Vous n'êtes pas le feul qui corrigez vos vers: en voici trois que j'ai cru devoir changer dans le premier acte de Zaïre. Je vous foumets cette rognure, comme tout le refte de l'ouvrage.

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1732.

FATIME.

Vous allez époufer leur fuperbe vainqueur...

ZAIR E.

Eh, qui refuferait le préfent de fon cœur !
De toute ma faibleffe il faut que je convienne
Peut-être que fans lui j'aurais été chrétienne
Peut-être qu'à ta loi j'aurais facrifié.

Mais Orofmane m'aime, et j'ai tout oublié.
Je ne vois qu'Orofmane, etc.

Il me femble que tout ce qui fert à préparer la converfion de Zaïre, eft néceffaire; et qu'ainsi ces vers doivent être préférés à ceux qui étaient en cet endroit.

Adieu; il ne fe fait plus de bons vers qu'à Rouen. Les lettres que vous m'écrivez en font farcies. M. de Formont a envoyé une petite épitre à madame de Fontaine- Martel, qui aurait fait honneur à Sarrazin et à l'abbé de Chaulieu. Adieu; la plume me tombe des mains.

LETTRE

LII.

A M. DE CIDEVILLE.

3 février.

ENFIN, mon cher Cideville, Eriphyle et mes

fouffrances me laiffent un moment de liberté ; et j'en profite, quoique bien tard, pour m'entretenir avec vous, pour vous parler de ma tendre amitié, et pour vous demander pardon d'avoir été fi long-temps fans vous écrire. M. de Formont, que j'ai le bonheur de voir tous les jours, fait combien nous vous regrettons. Les momens

agréables

agréables que je paffe avec lui, me font fouvenir des heures délicieufes que j'ai paffées avec vou. J'étais pour le moins auffi malade que je le fuis, mais vous m'empêchiez de le fentir. M. de Lezeau eft auffi à Paris; mais je le vois auffi peu que je vois fouvent M. de Formont, quoique ce foit lui qui ait écrit de fa main le premier acte d'Eriphyle. Pourquoi faut-il que ce foit M. de Lezeau qui foit à Paris, et que vous reftiez à Rouen! Pardon, cependant, de mes fouhaits: je ne fongeais qu'à moi, et je ne fefais pas réflexion que le féjour de Rouen vous eft peut-être infiniment cher, et que vous y êtes le plus heureux de tous les hommes. Si cela eft, comme je n'en doute pas, I fouffrez donc au moins que je vous en félicite. Je m'intéreffe à votre bonheur avec autant de difcrétion que vous en apportez pour être heureux. Je préfume même que cette félicité dont je vous parle, a retardé un peu votre petit opéra. Vous êtes trop tendre pour croire Que de Quinault la poëtique gloire De tous les biens foit le plus précieux.

Pour moi qui fuis affez malheureux pour ne faire ma cour qu'à Eriphyle, j'ai retravaillé ma tragédie avec l'ardeur d'un homme qui n'a point d'autre paffion. Dieu veuille que je n'aye pas brodé un mauvais fond, et que je n'aye pas pris bien de la peine pour me faire fiffler.

Enfin, les rôles font entre les mains des comé diens; et en attendant que je fois jugé par le parterre, j'ai fait jouer la pièce chez madame de Fontaine Martel, qui m'a (comme vous T.79. Correfp. générale. T. I.

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favez peut-être) prêté un logement pour cet 1732 hiver. Eriphyle a été exécutée par des acteurs qui jouent incomparablement mieux que la troupe du faubourg Saint-Germain. La pièce a attendri, a fait verfer des larmes; mais c'eft gagner en première inftance un procès qu'on peut fort bien perdre en dernier reffort. Le cinquième acte est la plus mauvaife pièce de mon fac, et pourra bien me faire condamner. On me jouera im. médiatement après le Glorieux; c'eft une pièce de M. Deftouches, de laquelle on vous aura fans doute rendu compte. Elle a beaucoup de fuc cès, et peut-être en aura-t-elle moins à la lecture qu'aux repréfentations. Ce n'est pas qu'elle ne foit en général bien écrite, mais elle eft froide par le fond et par la forme, et je fuis perfuadé qu'elle n'eft foutenue que par le jeu des acteurs pour lefquels il a travaillé. C'eft un avantage qui me manque. J'ai fait ma pièce pour moi, et non pour Dufrefne et pour Sarrazin. Je l'ai même travaillée dans un goût auquel ni les acteurs ni les fpectateurs ne font accoutumés. J'ai été affez hardi pour fonger uniquement à bien faire, plutôt qu'à faire convenablement; mais, après tout, fi je ne réuffis pas, il n'y en aura pas pour moi moins de honte; et on m'accablera d'autant plus que le petit fuccès qu'a eu l'hiftoire du roi de Suèd a foulevé l'envie contre moi. Elle m'attend au parterre pour me punir d'avoir un peu réuffi en profe. Je ferais bien mieux de ne plus fonger au théâtre, puifque palma negata macrum dozata reducet opimum. Il vaudrait mieux cent fois

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revenir achever mes Lettres anglaifes auprès
de vous.

O vanas hominum mentes, ô pectora cæca!

Voilà bien du babil pour un malade; mais je vous aime, mon cher Cideville, et le coeur est toujours un peu diffus.

LETTRE LIII.

A M. DECIDEVILLE.

Mercredi des cendres, 27 février.

La beauté qu'en fecret Cideville idolâtre

Voit en lui deux talens rarement réunis:
Le cœur aimable de Daphnis,

Et l'efprit du héros qui charmait Cléopâtre.

Cependant, mon cher ami, votre cœur a'mieux réuffi que le refte, et l'on eft beaucoup plus content de vos bergers que de vos héros. Notre ami Formont qui n'a point de tragédie à faire jouer, vous aura mandé plus au long des nouvelles de Daphnis et d'Antoine. Pour moi, qui cours rifque d'être fifflé mercredi prochain, et qui vais faire répéter Eriphyle dans l'inftant, je ne puis que me recommander à DIEU et me taire fur les vers des autres.

Je voudrais que vous raccommodaffiez votre befogne à Paris, et moi la mienne; mais, comme probablement vous en avez de plus agréable à Rouen, je vous dirai feulement, felices quibus ifta licent. Cependant, quand vous voudrez avoir du relâche et venir à Paris, j'efpère mon cher

1732.

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