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au second, celui-ci lui rend de l'huile en échange. Tel pays est riche en troupeaux, l'autre est fertile en fruits et ainsi chacun donnant à l'autre ce qui lui manque, il en résulte une communion de bienfaits réciproques; et les terres séparées entre elles par les distances et les fleuves, sont réunies par leurs mutuels besoins. Or, continue saint Grégoire, les Saints sont comme les différentes régions du globe, ils se partagent les fruits différents de leurs âmes et entretiennent ainsi les rapports de la charité, mais en même temps l'humilité y trouve matière à s'exercer... » Chacun voit le côté meilleur de son prochain, et sous ce rapport le juge meilleur que lui... de son côté, le prochain en fait autant à notre égard, et il en résulte un échange continuel de bons procédés, où les droits de la vérité ne sont pas lésés, mais où la charité et l'humilité se combinent de manière à faire le charme de la vie, et à adoucir les relations quotidiennes, en les honorant par ce respect du divin, bien supérieur à la courtoisie mondaine (1).

<«< En troisième lieu, nous pouvons, en toute vérité, supposer dans le prochain des vertus cachées qui sont supérieures aux nôtres... et sous ce rapport nous mettre véritablement au-dessous de nos frères (2).

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(1) V. encore S. Grégoire le Grand, Moral., I. XXIV, c. VIII, n° 19, t. II, p. 297; — 1. XXVIII, c. x, no 22, p. 461. In Ezech., 1. I, hom. X, p. 899-901.

(2) Cornel. à Lapid. In Ep. ad Philipp., c. 1, p. 595-596.

Ailleurs, le même commentateur s'adresse cette question Comment l'Apôtre pouvait-il croire et dire qu'il était le premier des pécheurs, sachant parfaitement que Judas, Caïphe, Hérode et plusieurs autres avaient péché plus grièvement que lui? Il répond : « l'Apôtre, éclairé par la lumière de l'Esprit-Saint, voyait la gravité de ses fautes et fixait sur elles toute l'énergie de son regard, sans examiner avec la même énergie les péchés des autres... C'est ainsi qu'un homme qui a un violent mal de tête ou de dents, dit que nulle douleur n'est comparable à la sienne, que la sienne est la plus grande de toutes car il sent sa propre douleur par expérience, et il ne sait celle des autres qu'en spéculation aussi sa douleur lui paraît et réellement elle est dans sa sensation la plus grande de toutes. C'est ainsi que saint Paul regardait son péché comme plus grand que celui des autres; c'est ainsi que saint François d'Assise avait coutume de se nommer le plus grand des pécheurs, et, quand on lui en demanda la raison, il répondit : Si Dieu avait fait au plus grand pécheur les mêmes grâces qu'à moi, il en aurait mieux profité, et serait devenu plus saint: c'est-à-dire, si je me considère en dehors de la grâce, je sens en moi une pente au mal telle, que je n'ai pas de raison d'en voir une semblable dans les autres, et, sous ce rapport, je pense que j'eusse été le plus grand pécheur du monde si Dieu ne m'avait soutenu par sa grâce... C'est pourquoi Salomon s'appelait le

plus insensé des hommes; la chose lui paraissait ainsi, parce que, considérant sa misère, son ignorance, et comparant sa faiblesse à la grandeur de Dieu, il se voyait perdu dans une immensité de perfections qui faisaient ressortir davantage le spectacle de sa propre infirmité : il voyait très évidemment ses ténèbres, et, ne découvrant point aussi clairement celles des autres, il s'écriait : « Je suis le plus insensé des hommes (1)! »

Les Saints sont semblables à un peintre qui chercherait à réaliser sur la toile un admirable idéal qu'il aurait dans l'esprit. Il essaye, il retouche, il perfectionne; ce qu'il fait est réellement très beau en soi et paraît très beau au public, mais pour le peintre lui-même, qui a toujours son idéal devant les yeux, il oublie presque la beauté réelle de son œuvre, il n'en voit que le côté faible, il n'est point satisfait, et, dans toute la sincérité de ses convic

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(1) Cornel. à Lap. In Ep. I ad Tim., c. 1, v. 15, p. 733-734. - S. Thomas donne ailleurs une autre raison, et je la cite, parce qu'on ne saurait trop réunir de lumières sur cette importante question « Le juste qui est vraiment humble ne doit pas s'estimer pis que les autres, comme ayant commis des fautes plus graves mais il craint que dans ses bonnes actions l'orgueil n'intervienne et ne le fasse pécher plus gravement. » (IV, dist. 21, q. 2, art. 3, ad 1um, t. XII, p. 507.) A cette question revient encore cette réponse du même Docteur: « Moïse et Jérémie étaient réellement dignes de l'office auquel ils étaient appelés par la grâce divine, mais, venant à considérer leur insuffisance naturelle, ils n'osaient pas accepter. (2a 2, q. 133, art. 1.) — (V. Hugues de S. Victor, Quæst. in Epist. Pauli, in Ep. I ad Cor., Quæst. 129, t. I, p. 539.)

tions, il proclame son œuvre relativement très imparfaite. Ainsi les Saints à mesure qu'ils se rapprochent de ce magnifique idéal qu'on appelle la divinité, ils sont environnés de lumière, et cette lumière éclate dans toutes les directions, surtout pour ceux qui considèrent la face radieuse de leurs progrès mais pour les Saints eux-mêmes, qui s'élancent vers l'infini, il y a toujours une distance incommensurable à franchir, un idéal qui tout en les divinisant par la pénétration des plus douces. réalités, les maintient dans un sentiment profond d'impuissance et d'humilité par la vue de ce qui leur manque, et d'autant plus que la lumière divine devenant plus vive fait ressortir davantage à leurs yeux les abîmes qui restent à combler.

Ces deux faces d'une même question me semblent parfaitement indiquées et résolues dans une histoire que nous lisons en la vie de sainte Gertrude. La Sainte faisait un voyage, et, venant à considérer le côté défectueux de sa nature, elle s'écriait « Seigneur, parmi les miracles de votre bonté, je considère comme un des premiers que vous veuillez bien permettre à la terre de porter une aussi misérable créature. » — Mais voyez avec quelle merveilleuse tendresse et quel haut sentiment de la dignité humaine le Seigneur prit la défense de sainte Gertrude contre elle-même : <«< Ma fille, c'est avec raison que la terre se laisse fouler par vous, car le ciel lui-même attend avec un ineffable désir cette heure fortunée où il

pourra vous recevoir et vous offrir un trône (1). Voilà bien deux assertions qui paraissent contraires, et cependant, il n'y a nulle contradiction; c'est la vérité sur une question prise à des points de vue différents. Ce principe sagement appliqué serait un moyen de conciliation pour une multitude de propositions qui paraissent se croiser et s'entre-choquer à propos de l'humilité.

Quel est le but de toutes ces observations, Mesdames? c'est de vous éclairer; la lumière fait du bien. — Quand on visite des cavernes, quand on descend dans les puits de charbon de terre, on se promène longtemps à travers de longs corridors noirs, obscurs, où une demi-lueur dessine des objets avec une couleur livide : l'air est lourd et pesant... Après quelques instants de promenade souterraine, le visiteur éprouve le besoin de sortir, et, quand il arrive à la lumière, il respire avec joie, il est heureux, il tressaille de bonheur, il lui semble retrouver la vie pleine et joyeuse dans l'air purifié. Ainsi, Mesdames, dans les questions où l'on ne voit pas bien clair : on souffre, on se promène dans un labyrinthe de pensées ténébreuses, on n'a pas assez d'air pour son esprit. Mais si dans le lointain nous apparait un ange de lumière, comme saint Thomas, on se précipite vers lui, on le prend par la main, il nous conduit au grand jour : et là, nous nous as

(1) Cité par Louis de Blois, Conclav. anim. Appendice, ¿ 4, t. II, p. 353.

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