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Nimes, Ouvrez donc les yeux, Avis aux concitoyens, Adresse de la veuve Gasc à l'Assemblée nationale, Protestation du camp de Jalès, Lettre à l'auteur d'un journal très connu, la Nouvelle lanterne magique, L'état de la France, présent et avenir, par M. de Calonne.

Comme je ne voulais pas, dit Monet, me rendre suspect aux conjurés, je distribuai quelques exemplaires de ces libelles, et je déposai le reste chez le sieur Frachon, aide-major de la garde nationale.

Une autre fois je devais aller chez le sieur Terasse chercher un autre ballot de libelle; mais, au moment que je me présentai, le sieur Berthelet, officier municipal, avec le sieur Bret, procureur de la commune, et un détachement de la garde nationale, étaient occupés à saisir ce ballot.

Me trouvant un jour dans le cabinet du sieur Guillien, on y ajouta la omination du maire, on parla de l'élever à cette place; après quelques difficul és, il se rendit, à condition que la municipalité ne serait composée que de gens qui lui convinssent. Le sieur Guillien avait des listes toutes faites, il m'en donna une, et les sieurs d'Escars et Teyssonnet m'en remirent une cinquantaine de pareilles.

Dans une autre conférence, on s'occupa encore de la formation de la municipalité, mais le plan se trouvait dérangé par la démission de cinq officiers municipaux, dont les conjurés regrettaient la perte et qui se trouvaient remplacés par un pareil nombre de notables, très dévoués à la Constitution. Il faut, dit le sieur Guillien, que M. de La Chapelle aille trouver M. de Savy, qu'il lui dise que le peuple ne veut pas de ces gens là, qu'il est dans la plus grande effervescence, et qu'il engage ceux qui ont donné leur démission à rester en place; personne, ajoute le sieur Guillien, ne voudra rester avec cette canaille, il n'y a qu'à soulever le peuple et les faire exterminer. Ensuite on déclama contre les clubs patriotiques, qui contrariaient le choix de ceux qu'il convenait de porter à la municipalité; on proposa de faire faire des choix absurdes, de faire nommer des personnes ineptes; d'avoir des espions dans les différents clubs; d'en gagner les présidents et secrétaires; on jeta les yeux sur le sieur Billemas, avocat, et sur le sieur Privat, le premier comme fondateur du club central, le second parce qu'il avait la confiance des ouvriers de Saint-Just et du Gourguillon. Les conjurés se plaignaient quelquefois d'être mal servis par l'hôtel de la commune, quoiqu'ils payassent bien ils m'engagèrent à gagner le sieur Ducraix, ouvrier en soie, ancien maître-garde sur les ouvriers.

J'ai eu, continue toujours Monet, j'ai eu depuis depuis quelques jours, plusieurs conférences av c les conjurés, ils m'ont remis différents libelles, un entre autres, intitulé: Lettre à l'auteur d'un journal très connu, et dans lequel on trouve, à peu de choses près, leur plan et les dispositions qu'ils me chargeaient d'inspirer au peuple: ils m'ont dit que les gens de rivières et les chapeliers étaient à leur dévotion; et lorsqu'ils parlaient du sieur La Chapelle, ils l'appelaient toujours l'ami La Chapelle.

Je suis allé ce matin encore chez le sieur Terasse, qui m'avait fait appeler par son domestique; il m'a demandé avec intérêt où en étaient les affaires. Tout va bien, lui ai-je répondu. Ce sera donc pour demain, me dit-il ? Non, il faut renvoyer l'affaire à lundi: vous savez que j'ai été

très occupé; je n'ai pu faire tout ce que j'aurais voulu. D'ailleurs dimanche prochain je pourrai avancer beaucoup, vous savez que ce jour-là on peut avoir beaucoup de monde; les ouvriers sont plus répandus dans les cabarets et ailleurs; on avance plus en un jour de fête qu'en plusieurs autres. Le sieur Terasse a témoigué de l'impatience: le retard, dit-il, me dérange et me donu beaucoup de peine, parce que quand vous me renvoyez, il faut, pour marcher d'accord, que je remette aussi les autres; ainsi, sans plus de retard, il faut que l'affaire éclate lundi. Notre fortune est faite, m'a-t-il ajouté; vous serez présenté à M. le comte d'Artois à son arrivée, et les princes récompenseront ceux qui les auront servis.

Je sors, continue Monet, de chez le sieur d'Escars; j'ai eu avec lui la même conversation qu'avec le sieur Terasse: comme ce dernier, il m'a témoigné de l'impatience de ce que les affaires n'allaient pas aussi vite qu'il le désirait; quand il s'agit, m'a-t-il dit, de renvoyer d'un jour à l'autre, ce sont des embarras infinis, parce qu'il faut en faire part à plusieurs personnes employées de leur côté. Mais, lui ai-je répondu, je ne peux pas aller plus vite, je fais ce que je puis. Je sais, a repris le sieur d'Escars, que vous méritez confiance, que vous aimez vos princes et votre roi ne négligez rien. Avez-vous, m'a-t-il dit, la chanson en patois Lyonnais? Non: donnez-moi la donc; alors il m'en a donné plusieurs exemplaires avec un paquet de la lettre à l'auteur d'un journal, et dix exemplaires du mémoire de M. de Calonne. Je viens d'apprendre, m'a ajouté le sieur d'Escars, que Perpignan s'est soulevé et a remis les choses sur l'ancien pied: on arrête tous les deniers provenant des impôts pour les remettre au roi quand il sera libre; Dijon en a fait autant; Lyon qui en est le centre, serait-elle donc la dernière?

Vous avez sans doute remarqué, Messieurs, dans la déclaration du sieur Monet, qu'il parle de la lettre à l'auteur d'un journal, comme contenant, à peu de choses près, le plan et les dispositions des conjurés. Ce qui a rapport à cette lettre devant se trouver dans les déclarations des autres témoins, il me paraît nécessaire de vous lire en ce moment les deux derniers paragraphes de cette lettre.

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« Il me semble que Lyon étant l'ancienne capitale des Gaules, et que la situation au confluent de la Saône et du Rhône étant la plus belle que « l'on connaisse après celle de Constantinople, ⚫ cette ville devrait se hâter de prendre une place « que toutes les autres lui laissent, et que Paris ne veut ou ne mérite plus. Je pense donc que "si la ville de Lyon, au lieu d'être, en ce mo«ment, l'humble satellite de Paris, voulait à son « tour devenir planète principale; elle n'aurait « qu'à proclamer dans toute l'Europe une invi«tation à tous les Français qui tremblent, soit "pour leur vie, soit pour leur fortune, de se << rendre dans son sein avec toute confiance. Lyon « déclarerait, dans cet acte solennel, qu'il prend « sous sa sauvegarde et sa protection immédiate « tous ceux qui viendraient s'y réfugier : il serait dit dans cette invitation que les Français si «< malheureusement expatriés n'auraient pas à craindre de trouver dans Lyon cette populace « féroce et oisive que des agioteurs et des capitalistes font mouvoir à leur gré par des famines « artificielles et autres manœuvres infâmes; que « les reverbères de Lyon ne sont fails que pour éclairer, el que son immense population n'est

⚫ formée que d'hommes industrieux et d'ouvriers « utiles.

Je ne doute pas un instant qu'à l'apparition « d'un tel acte, tous les Français ne se rendissent en foule des bords de la Tamise, du Danube et du Pô, dans une ville hospitalière et opu<< lente qui serait pour eux une patrie embellie. "Tel serait vraisemblablement l'effet de l'heureux « concours de tous les Français dans une telle

ville, que le roi lui-même afin de prouver que Paris ne le retient pas prisonnier, viendrait y << retrouver ses anciens sujets, et entraînerait avec « lui l'Assemblée nationale, si elle se croyait « inséparable de Sa Majesté. »

Vous allez actuellement, Messieurs, entendre le sieur Berthet. Le 27 ou le 28 novembre dernier, je me rendis chez M. Guillien pour un procès. Après lui avoir parlé de mon affaire, il me demanda si l'on pouvait compter sur moi; il me dit que si j'étais sûr et discret, il me ferait gagner ma vie, et que je ferais mon chemin. J'assurai le sieur Guillien de ma discrétion et de ma fidélité; j'invoquai le témoignage des sieurs Prost et Basset, lieutenants de police, qui avaient été contents de mes services; j'invoquai le sien même, puisque j'avais découvert il y a quelques années s auteur et imprimeur d'un libell fait contre lui. Il s'ouvrit alors et me dit: il faut que tu mnettes de notre parti le plus de monde que tu pourras; tu connais les mouchards, tu peux en tirer parti. Non, luis dis-je, ces gens-là ne sont pas sûrs; ils pourraient vous compromettre mais tu as tes fils, me dit le sieur Guillien? Non, lui répondisje, ils sont occupės; mais j'ai à moi des crocheteurs et des gens de peines sur lesquels je peux compter; en faut-il trente, quarante, cinquante? nous les emploierons.

Connais-tu le sieur Privat, me demanda M. Guillien? Oui, lui dis-je, il m'a employé quelquefois; et je suis sûr qu'il a été content de moi. C'est un homme essentiel, me dit-il, il faut que tu l'amènes chez moi je veux lui parler; va lui dire qu'il vienne chez moi je l'attendrai ce soir.

J'étais sûr du patriotisme et de la façon de penser du sieur Privat. continue Berthet: j'allai le trouver, et je lui fis part des dispositions et des propositions du sieur Guillien, et je le priai de me conseiller. Il m'indiqua la conduite que je devais tenir, et, par son conseil, j'allai deux fois chez M. Guillien. La première fois je lui dis que je n'avais pas trouvé le sieur Privat; la seconde, que le sieur Privat m'avait dit si M. Guillien a quelque chose à me communiquer, il peut m'écrire, et je verrai ce que j'aurai à lui répondre; mais le sieur Guillien rejette avec répugnance la proposition de hasarder une lettre au sieur Privat.

Depuis le 27 ou 28 novembre, j'allais journellement chez le sieur Guillien. Dans chaque conférence, il me parlait de séduire le peuple, de le soulever, de gagner au parti le plus de monde possible; d'amener les ouvriers à demander les princes et la réduction des droits sur le vin. Selon M. Guillien, dès que les princes seraient à Lyon, ils récompenseraient ceux qui les auraient servis; le pain et le vin seraient à meilleur marché, l'or et l'argent abonderaient; Lyon enfin deviendrait florissant et brillant.

Tous les jours à peu près je recevais de M. Guillien les mêmes conseils et les mêmes insinuations; je l'amusais par de fausses confidences; et lui tenais les propos que me dictait le sieur Privat. Un jour, par le conseil de ce dernier, j'allai

trouver le sieur Guillien; le peuple, lui dis-je, demande le renvoi du régiment de la Marck et de M. de la Chapelle; il y a même à cet effet des pétitions de différentes sections. Va, me dit-il, sois tranquille : le régiment de la Marck et M. de la Chapelle ne s'en iront pas.

Enfin le sieur Privat me conduisit dans une maison près Saint-Nizier, et me présenta à une société composée de douze patriotes très connus. Je leur rendis compte de ma conduite, et leur détaillai les faits.

Ils me donnèrent des éloges et des encouragements; je ne leur cachai pas que j'avais reçu deux louis de M. Guillien, je leur dis enfin qu'il m'avait deux fois remis des libelles pour en faire la distribution, et que, pour ne pas me rendre suspect, j'en avais donné quelques exemplaires.

Jeudi dernier, 9 du mois, j'eus une dernière conférence avec le sieur Guillien; il me remit 39 exemplaires d'une chanson anticivique et bête, en patois Lyonnais, contenant six couplets sur la prise de la Bastille; il me recommanda de la faire chanter dans la ville par les chanteurs des rues, auxquels je donnerais quelque argent; il m'ajouta que le moment était prêt; il me remit aussi un exemplaire de la Lettre à l'auteur d'un journal, et un autre des Cromwels français démasqués.

Le 28 novembre, sur les trois heures aprèsmidi, je rencontrai sur la place des Terreaux le sieur Guillien fils, avocat. Il me demanda comment allaient les affaires! Très bien, lui répondisje. Ah ça, prends bien garde, me dit il; sois prudent; ne compromets pas mon père ; réfléchis à ce que tu feras.

Voici, Messieurs, la déclaration du sieur Jacob David.

Le sieur Monet, dit-il, m'a conduit chez le sieur Terasse; je ne connais celui-ci que depuis deux jours, et je lui ai parlé deux fois. Il m'a chargé de soulever le peuple, de l'engager à une sédition et à demander les princes. Vous devez, m'a-t-il dit, représenter au peuple les avantages qui résulteraient pour Lyon, et surtout pour les ouvriers de la présence des princes qui répandraient beaucoup d'argent. Le peuple, a-t-il ajouté, doit s'assembler en armes sur la place des Terreaux; en même temps on présentera à la municipalité une pétition. Si la municipalité n'y fait pas droit, on la présentera au district et au département. Le peuple se plaindra à grands cris que l'on promet beaucoup, et que l'on ne tient rien le brave la Chapelle et moi nous marcherous à sa tête pour appuyer la pétition; il demaudera à grands cris M. de la Chapelle pour le commander. Nous avons 3,000 hommes prêts à marcher pour aller au devant des princes. J'observai au sieur Terasse que 3,000 hommes ne suffisaient pas, et que l'on pourrait exposer les princes. Eh bien! me dit-il, nous en aurons davantage; au surplus, le même jour que la conspiration éclatera à Lyon, elle aura lieu dans tout le royaume.

J'ai été de nouveau ce matin, continue Jacob, chez le sieur Terasse qui était au lit; Monet venait de le quitter. Il me demanda quelles diligences j'avais faites. Je travaille toujours, lui ai-je répondu ; j'ai encore mis dans vos intérêts deux personnes qui agissent de leur côté je vous les les amènerai, si vous voulez. Le sieur Terasse a refusé la proposition, et m'a donné deux louis. Comme je lui témoignais des craintes sur le succès, et que, dans ce cas, je ne fusse obligé de m'expatrier, et d'abandonner ma famille: Tout ira bien, m'a-t-il dit; vous n'avez rien à craindre,

[Assemblée nationale.]

Je lui ai parlé ensuite de la pétition qui devait être faite par le peuple; je lui ai représenté qu'il fallait en remettre à Chazot. Il en aura, m'a-t-il dit, nous en ferons parvenir plusieurs aux différentes classes d'ouvriers; les ouvriers en soie, les faiseurs de bas, les chapeliers, les crocheteurs en auront le jour que la pétition sera présentée. Il faut amener le plus de femmes qu'on pourra; il ne faut pas craindre le drapeau rouge; les troupes de lignes ne tireront pas sur le peuple; nous sommes sûrs d'elles. Lorsque le peuple assemblé demandera l'effet des pétitions, il se trouvera sur la place beaucoup de gens qualifiés et distingués, qui se réuniront à lui pour l'appuyer, l'encourager et soutenir la justice de sa demande. En cas de refus, il faut que le peuple demande le secours de M. de la Chapelle, qui sera prêt à le servir. Si vous vous conduisez bien, m'a ajouté le sieur Terasse, votre fortune sera faite; vous serez présenté à M. d'Artois et aux autres princes, dès qu'ils seront arrivés, et ils récompenseront généreusement les services qu'on leur aura rendus.

Enfin, Messieurs, voici le récit du sieur Chazot : Monet nous conduisit Jacob et moi, il y a cinq ou six jours, chez le sieur Terasse: nous y trouvâmes un officier du guet qui, je crois, se nomme Bezuchet. Il nous renvoya, en assignant un rendez-vous à Jacob à onze heures, et à moi à une heure. Je m'y rendis à l'heure indiquée, et je trouvai le sieur Terasse avec un officier recruteur dont j'ignore le nom, et un officier des chasseurs en garnison dans cette ville. Ils se retirèrent, et le sieur Terasse commença par me parler des malheurs du peuple, de l'oppression qui l'accablait, et des maux qui le menaçaient encore tout cela fut mis sur le compte de la Révolution et du nouvel ordre de choses. Pour y remédier, dit-il, il faut soulever le peuple, il faut faire une pétition par laquelle on demandera les princes. Cette pétition doit être adressée à la municipalité, et présentée par le peuple altroupé en forces. Si la municipalité refuse, on l'adressera au département; M. de la Chapelle se mettra à la tête du peuple, et appuiera la pétition. Le jour de l'arrivée des princes, les entrées seront réduites de leu's 13 à 6 livres. Ce beau jour sera marqué par bienfaits le roi, retenu prisonnier à Paris, viendra à Lyon; s'il ne veut pas se détacher de son Assemblée nationale, il l'amènera avec lui. Je lui observai, dit Chazo, sur ces derniers mots, que si l'Assemblée venait aussi, la Constitution aurait son effet, et que les choses iraient leur train. Alors, dit le sieur Terasse, nous les veillerons de près. Mais, lui dis-je, si l'Assemblée n'était pas libre, elle pourrait bien se dissoudre. Tant mieux, répliqua le sieur Terasse; les choses alors reviendront sur l'ancien pied, à la seule différence que Paris sera un désert, et Lyon la capitale de l'Empire. Il me donna quatre louis, et je lui promis de le seconder, et d'amener à son parti le plus de monde que je pourrais. Je le revis deux fois encore pour lui rendre compte de mes démarches, et lui dire que tout allait bien. Dans une de ces dernières conversations, le sieur Terasse me dit que les princes, à leur arrivée, distribueraient six millions aux ouvriers, par forme de dédommage ment et de récompense, pour les remettre de l'état de détresse où ils se trouvent.

Vous avez entendu Messieurs, les déclarations des témoins; leur concordance sur les faits essentiels parait frappante; mais comme le premier devoir du rapporteur est d'être exact, avant de vous parler des événements qui ont suivi,

je dois vous faire remarquer une erreur et une contradiction qui m'ont frappé dans la première partie du récit de Chazot. Il semble qu'il alla pour la première fois chez le sieur Terasse avec David Jacob, et que tous deux y furent introduits par Monet. Cependant Jacob ne fixe qu'à deux jours avant sa déclaration l'époque de sa première entrevue avec le sieur Terasse, et Chazot la fait remonter à cinq ou six jours. Ainsi il y a nécessairement une faute dans l'expédition de la pièce, ou l'un des deux témoins à menti sur ce fait. Mais comme du reste des déclarations et des faits dont j'aurai encore à vous entretenir, il n'en résulte pas moins la preuve du plan de conjuration, je continue.

Les déclarations parurent si graves aux officiers municipaux qui venaient de les recevoir, le danger leur parut si pressant, qu'ils requirent à l'instant même (il était une heure et demie du matin) le sieur Frachon, aide-major général, d'aller arrêter les sieurs Guillien, d'Escars et TerasseTeyssonnet, et de s'assurer de leurs papiers. L'arrestation se fit à six heures, le 10, et on prévint le peuple des motifs qui avaient rendu cette précaution nécessaire.

Vous qui conspirez contre la liberté de votre pays, apprenez que dans cette ville où vous vouliez quelques jours plus tard semer le désordre et l'épouvante, où vous espériez régner, il ne s'est pas élevé une seule voix en faveur des traîtres : le peuple de cette grande ville a exprimé, par les plus vifs applaudissements, la joie qu'il éprouvait d'avoir échappé au piège que vous lui tendiez.

Les trois détenus furent interrogés dans la journée du 10. Si j'ai dû, Messieurs, vous faire observer une contradiction, entre la déclaration de Jacob et celle de Chazot, sur un fait qui peut être important, la même impartialité m'oblige à vous faire remarquer celles qui se trouvent dans les interrogatoires.

Ainsi, par exemple, le sieur Guillien, interrogé sur ses liaisons avec le sieur d'Escars, répond qu'il n'en a aucune, et qu'il n'est même pas sûr de le connaître. S'il lui a prêté une somme considérable? dit qu'il ne lui à jamais rien prêté.

Le sieur Terasse, interrogé sur cet emprunt, répond qu'il a cautionné le sieur d'Escars pour une somme de 12,000 livres.

On lui demande le nom du créancier; il répond qu'il ne se le rappelle pas.

Le sieur d'Escars, interrogé sur l'emprunt qu'il a dû faire d'une somme de 12,000 livres, répond que cette somme lui a été prêtée par le sieur Guillien, sous le cautionnement du sieur Te

rasse.

Il y avait environ deux mois que la municipalité avait fait une visite chez le sieur Terasse, prévenu d'avoir un dépôt d'écrits incendiairement inconstitutionnels. Au moment ou les officiers municipaux se présentèrent, le ballot de libelles fut jeté par les fenêtres. On rappelle cet événement au sieur Terasse dans son interrogatoire; on lui demande si c'est lui qui a jeté ces libelles: il répond qu'il ne les a ni jetés ni fait jeter.

Le sieur d'Escars, interrogé s'il était chez le sieur Terasse au moment de cette visite, répond affirmativement et déclare que c'est le sieur Terasse lui-même qui a jeté le ballot de libelles par la fenêtre de son appartement.

Les sieurs Guillien et Terasse déclarent au reste qu'ils n'ont jamais parlé à aucun des témoins, de rien qui eût rapport à la Révolution.

Le sieur d'Escars fait la même déclaration;

mais il avoue que le sieur Monet est allé chez lui le 9; que le sieur Guillien lui avait parlé de ce particulier comme d'un célèbre ouvrier de Lyon ; que celui-ci l'a entretenu de la détresse des ouvriers et lui a demandé quatre louis; mais qu'il s'est contenté de lui prêter un assignat de 200 livres. Il avoue aussi qu'il lui a remis des exemplaires de la chanson sur la Bastille, de la lettre à l'auteur du journal et du mémoire de M. de Calonne; mais il assure qu'il ne lui a pas parlé de contre-révolution.

Cependant, Messieurs, la municipalité de Lyon recueille avec empressement toutes les lumières, toutes les preuves qu'il lui est possible de découvrir : déjà elle vous a annoncé qu'on avait trouvé, dans les papiers du sieur Terasse, une minute de la pétition qu'on devait lui faire, telle qu'elle est annoncée par les témoins; chaque jour apportera ou la conviction des coupables, ou la justification des innocents.

Mais il est temps, enfin, que vous fixiez vos regards sur la situation de la France, sur la nature et les causes des troubles qui l'agitent, et sur les dispositions des réfugiés français. On feignait d'attribuer à la Révolution l'anarchie qui désole, par intervalles, quelques parties de ce vaste Empire. Citoyens! on paraissait vous plaindre, on affectait de s'intéresser à vos maux; voyez maintenant où sont vos amis. Les trouvezvous dans ceux qui veulent vous égarer, perpétuer vos maux, vous armer les uns contre les autres, et qui pour gage de leur amour, pour prémices de leurs bienfaits, vous présentent toutes les horreurs de la guerre civile ? Vous avez fait des pertes; mais c'est à ce prix que vous avez acheté la liberté, que vous avez assuré le bouheur de vos enfants et la reconnaissance de la postérité. Vous avez fait des pertes; il faut maintenant les réparer par l'union, par une constante fraternité, par la soumission la plus absolue et le respect le plus profond pour les lois. Fermez l'oreille aux insinuations atroces de ces hommes qui ne feignent la pitié que pour envenimer vos plaies, que pour vous exciter contre vos frères de Paris. Quelle ville a fait d'aussi grandes pertes? quelle ville les a mieux supportées?

Depuis 18 mois vous combattez pour la liberté ; chaque jour vous a présenté de nouveaux obstacles à vaincre, de nouveaux dangers à éviter : vous avez détruit les uns, vous avez triomphé des autres; chaque jour la Providence, qui veille avec tant de soin sur les destinées de cet Empire, a signalé sa constante protection par d'éclatants bienfaits. Vos ennemis, dans leur aveugle fureur, pensent-ils donc pouvoir triompher du ciel et de la terre armés contre eux?

Quel étrange spectacle présentent à la réflexion ces hommes autrefois si vains d'une chimérique illustration, et qui se croient humiliés, parce qu'en les rendant à la dignité de l'homme, nous les avons fait véritablement grands; ils parlent de grandeur, et ils colportent des libelles! ils fuient les regards de leurs semblables! ils nous craignent, disent-ils! Ils craignent leurs frères ! Ah! qu'ils sont à plaindre! Mais, non, qu'ils reviennent au milieu de nous. S'ils y rapportent des sentiments de paix, ils ne trouveront plus que des amis; ils peuvent être encore l'objet de notre amour. Mais qu'ils doivent frémir en Songeant qu'ils peuvent devenir l'objet de notre exécration! Si l'ambition l'emporte dans leurs cœurs sur les droits sacrés de l'humanité, s'ils ne sont pas contents du rang d'hommes, s'ils

veulent déchirer le sein de leur patrie, qu'ils fuient à jamais ses regards, elle les repousse avec horreur.

M. Voidel présente un projet de décret tendant 1° à ordonner la translation de MM. Guillien, d'Escars et Terasse, du château de PierreScise, où ils ont été transférés après un interrogatoire à la municipalité, dans les prisons de Paris; 2° à faire prier le roi de faire remplacer M. La Chapelle, commandant à Lyon, ainsi que la garnison de cette ville; 3° à ordonner à tous les Français, fonctionnaires publics ou recevant des pensions ou traitements quelconques de l'Etat, de rentrer dans le royaume dans le délai d'un mois, sous peine d'être suspendus de leurs pensions et traitements.

M. l'abbé Mayet, député de Lyon. Je n'entends en aucune manière défendre les accusés; je soumets seulement à l'Assemblée une observation qui est de nature à éclairer la délibération. Je suis fâché qu'elle ait échappé à l'impartialité du comité des recherches. Ce matin le comité à fait prier la députation de Lyon de venir entendre la lecture des pièces. Nous y avons trouvé le sieur Guillien fils, assisté de son conseil, lequel a dit qu'il était contre la justice et l'humanité, de faire transporter les trois accusés à Paris et que son père n'était accusé que par des témoins très reprochables : le premier, M. Monet, est encore dans les liens d'un décret de prise de corps, pour avoir voulu exciter une émeute; le second, huissier et record, a été attaché à son père en sa qualité de juge des comtes de Lyon.

Je vous soumets, Messieurs, cette double considération qui motive l'amendement que je vous propose et qui consiste à ne pas faire transférer à Paris les prévenus et à faire continuer leur détention à Lyon dans la forteresse de PierreScise jusqu'à ce que de nouvelles preuves justifient leur translation.

Divers membres demandent la question préalable sur l'amendement.

(La question préalable est prononcée.)

M. l'abbé Maury. Je ne demanderais point la parole si vous adoptiez l'amendement du préopinant et si le_rapporteur ne vous avait dit avec assurance: Tout est découvert. » J'ai cru qu'il allait répandre une grande lumière sur cette affaire, et cette lumière ne m'a pas éclairé. Puisque tout est découvert, les citoyens doivent être tranquilles; or rien n'est plus propre à alarmer que ces inquisitions judiciaires qu'on vous propose.

Permettez-moi de faire le rapprochement de ce qui a été dit à cette tribune. Un membre vous a dit au commencement de la séance que trois personnes ont été pendues à Aix par le peuple, et dans le même instant le rapporteur vous propose d'ordonner à tous les fugitifs de rentrer en France... Lorsque les trois citoyens d'Aix ont été pendus, personne n'a été arrêté. Ici on vous propose de traîner en prison, comme criminelles, trois personnes accusées de complots imaginaires, et contre lesquelles il n'y a que des dépositions isolées. L'autorité de trois dénonciateurs n'est rien quand elle est individuelle. Il ne faut pas que deux ou trois personnes puissent déposer sur des faits de confidence. Alors ils deviennent dénonciateurs; alors ils se dénoncent eux-mêmes comme traltres à leurs conci

toyens ils doivent être punis avec sévérité. Ces témoins sont des hommes qui se sont faits complices des accusés, disent-ils, pour découvrir leurs complots; mais les accusés auraient-ils donc été assez absurdes pour se fier à de pareils témoins? Les ennemis de la Révolution sont déjà assez coupables pour qu'on les accuse d'être absurdes ; il ne le sont peut-être pas tant... Les témoins sont déjà suspects; l'un d'eux est dans les liens d'un décret... Mais j'ai tort de vous faire cette observation vous n'êtes pas juges. Je ne traiterai donc point la question particolière, mais la question de droit public, et je vous proposerai un amendement. Ce n'est pas au nom des accusés que je vous parle,c'est en leur faveur ; et certes c'est une grande consolation pour les accusés, quand ils ne peuvent pas obtenir justice, de voir qu'au moins on la sollicite pour eux. (Il s'élève des murmures.)

Voici mon amendement : si vous faites conduire dans les prisons de Paris les trois accusés, je demande que vous y fassiez conduire les trois dénonciateurs. Quels sont les coupables? Vous ne devez pas le préjuger. Dans une assemblée impartiale il ne doit y avoir de présomption en faveur de personne ni de prévention contre persoune. Que faites-vous en ce moment? Vous vous écartez de la loi, car vous avez déjà décrété qu'aucun citoyen ne pourrait être détenu qu'en vertu d'un décret d'un juge compétent; vous allez prononcer une exception à cette loi, à laquelle je ne m'oppose pas; vous allez faire traduire dans les prisons trois accusés; s'ils sont calomniés, quels recours auront-ils contre leurs dénonciateurs? Est-ce leur faire grâce que de les mettre sur la même ligne avec trois dénonciateurs justement méprisés dans la ville de Lyon? Est-ce donc une preuve qu'une dénonciation? Sous l'ancienne police, lorsqu'une dénonciation extraordinaire était faite contre un citoyen, on le confrontait avec son dénonciateur.

Il est important pour la liberté publique que ces formes soient observées; car vous savez que la liberté publique est composée des libertés individuelles. L'innocence, qui ne peut obtenir que son élargissement, serait-elle trop favorablement traitée quand elle serait en concurrence avec la calomnie? Tout citoyen qui dénonce doit dire au juge: « Je demande qu'on arrête un tel citoyen, mais je demande qu'on m'arrête avec lui. Voilà le langage de la probité, de l'honneur; voilà ce qui donne à tout citoyen le droit de dénoncer légitimement son concitoyen... Vous n'avez pas plus de raison de croire coupables les accusés que les témoins. (Il s'élève des murmures.) J'ignore si dans cette partie de la salle où l'on m'interrompt il y a des lumières qui ne parviennent pas jusqu'à moi; quant à moi, je déclare que, parfaitement impartial relativement aux accusés, relativement aux témoins, tout mon désir est de ne rien préjuger. Si vous aviez pris pour les dénonciateurs de M. de Lautrec les mêmes mesures que celles que je vous propose aujourd'hui, ils ne seraient pas restés impunis. La parité est parfaite; les dénonciateurs de M. de Lautrec étaient aussi suspects que ceux des accusés de Lyon... Il y a une considération plus importante en faveur des accusés: l'interrogatoire n'a pas été fait par des juges. Les officiers municipaux sont des enquéreurs d'estime et de patriotisme, mais ils ne sont pas préposés par la loi pour interroger les citoyens. Ceux de Lyon ont fait le rôle de captureurs, car ils n'avaient pas le droit de décréter; ils ont interrogé

les accusés sous charte privée, tandis que la publicité de l'interrogatoire a été ordonnée par Vos décrets. Quand je vous propose de faire arrêter les dénonciateurs, ce n'est pas que je consente au décret qui vous est proposé; mais puisqu'il faut céder à la majorité, je dirai à cette majorité : « L'exemple de M. de Lautrec doit vous apprendre que les accusateurs ne sont pas infaillibles, que les accusés ne sont pas coupables. >

M. Barnave. Le préopinant vous propose d'exercer des fonctions qui ne peuvent être remplies que par les juges. Vos fonctions doivent se réduire à la surveillance qu'exige la sûreté publique. Laissez aux juges le soin de capturer. Si les témoins doivent être arrêtés, c'est aux juges à le prononcer. Je passe à l'amendement que j'avais moi-même à proposer; les deux derniers articles du projet de décret du comité sont trop faibles. La société a non seulement le droit de rappeler tous les fonctionnaires publics et tous les salariés, mais elle a encore celui de supprimer leurs offices s'ils n'obéissent pas à sa réquisition et s'ils refusent de lui prêter serment de fidélité. Je demande donc que les Français fugitifs, fonctionnaires publics ou salariés, soient tenus non seulement de rentrer dans le royaume, mais de prêter le serment civique, et qu'en cas de résistance ils soient privés de leurs pensions et traitements.

Voici mon projet de décret :

« Tous Français, fonctionnaires publics, ou recevant des pensions ou traitements quelconques de l'Etat, qui ne seront pas présents et résidents dans le royaume, et qui n'auraient pas prêté le serment civique dans le délai d'un mois après la publication du présent décret, sans être retenus dans les pays étrangers par une mission du roi pour les affaires de l'Etat, seront, par ce seul fait, déchus de leurs grades et emplois, et privés de leurs pensions, appointements et traitements. »

M. le Président. L'Assemblée doit d'abord se prononcer sur l'amendement de M. l'abbé Maury.

Plusieurs voix : La question préalable! (La question préalable est prononcée.)

M. de Cazalès. Ce n'est pas une chose facile que de déterminer jusqu'à quel point l'intérêt public peut autoriser le Corps législatif à entreprendre sur la liberté particulière, puisqu'il est incontestable que la liberté publique n'est que le résultat de toutes les libertes individuelles. La société a sans doute le droit d'imposer à tout fonctionnaire qu'elle salarie les conditions les plus convenables à l'intérêt public; mais je sais aussi que, lorsque le législateur a changé entièrement les lois de la société il a dégagé tous les citoyens des liens qui les attachaient à leur patrie.

Quand l'expression de la volonté générale a renversé la Constitution d'un pays pour en établir une nouvelle, la minorité a le droit de dire : « Donnez-moi ma propriété, et je m'expatrie; j'ai contracté avec vous sous une Constitution qui m'accordait le bienfait de la protection; en détruisant la Constitution vous m'avez dégagé de mes serments; je dois être libre de sortir d'une patrie dont les lois ne me plaisent plus. (On applaudit.) Ce principe, je le répète, ne peut être contesté par aucun de ceux qui m'interrompent, s'ils sout conséquents aux principes qu'ils ont

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