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pect pour l'autorité, dans l'impossibilité de tout dire. D'autres conservent des notes avec le projet de les mettre en ordre quand ils auront atteint l'époque d'un heureux loisir : vaine illusion des ambitieux, qu'ils n'entretiennent, pour la plupart, que comme un voile qui cache à leurs yeux la désolante image de leur inévitable disgrâce! Quand elle est venue, le désespoir leur ôte la force de reporter leur attention sur ces temps d'un éclat qu'ils ne cesseront pas de regretter. Cependant l'historien

quelquefois embarrassé pour se décider entre les versions opposées que lui fournissent les contemporains, l'est bien davantage si les écrits lui manquent; alors il s'en rapporte aux traditions, et se fie aux discours populaires; il trace des portraits sur les caricatures politiques crayonnées par la haine ou la flatterie; la calomnie se perpétue, et de nobles caractères demeurent noircis à jamais. Une entreprise mal conduite porte le nom de criminelle; un coupable heureux devient un héros. L'histoire n'est plus. une leçon c'est un roman ou un recueil impur et décousu de libelles qui ont peut-être fait sourire de pitié celui-là même qui les écrivait.

Louis XVI avait l'intention d'écrire des Mémoires; ses papiers secrets étaient classés dans un ordre qui indiquait son projet. La reine avait aussi le même dessein : elle a conserv élong-temps beaucoup de correspondances et un grand nombre de rapports très-détaillés, faits sur l'esprit et les événemens du temps. Mais après la journée du 20 juin 1792, elle fut forcée d'en brûler la plus grande partie; quelques-unes de ces correspondances, que gardait la reine, ont été portées hors de France.

par

D'après le rang et la position des personnes que j'ai citées comme capables d'éclaicir, leurs écrits, l'histoire de nos orages politiques, on ne peut pas croire que je veuille me placer sur la même ligne; mais j'ai passé la moitié de ma vie soit auprès des filles de Louis XV, soit auprès de Marie-Antoinette. J'ai connu le caractère de ces princesses; j'ai su quelques faits curieux dont la publication peut intéresser, et la vérité des détails fera le mérite de mes écrits.

J'étais fort jeune lorsque je fus placée auprès des princesses filles de Louis XV, en qualité de lectrice. J'ai vu la cour de Versail

les avant l'époque du mariage de Louis XVI avec l'archiduchesse Marie-Antoinette.

Mon père, attaché au département des affaires étrangères, jouissait d'une réputation due à ses lumières et à ses utiles travaux. Il avait beaucoup voyagé. Les Français rapportent des pays étrangers un amour encore plus vif pour leur belle patrie, et personne ne fut plus que lui pénétré de ce sentiment qui doit être la première vertu de tout homme en place. Des gens revêtus de titres éminens, des académiciens, des savans français et étrangers, désiraient connaître mon père; ils aimaient à être admis dans son intérieur.

Vingt années avant la révolution, j'entendais déjà dire souvent que l'on ne retrouvait plus dans le palais de Versailles cet imposant aspect de la puissance de Louis XIV; que les institutions de l'ancienne monarchie tombaient d'un mouvement rapide; que le peuple, écrasé d'impôts, était silencieusement misérable, mais qu'il commençait à prêter l'oreille aux discours hardis des philosophes qui proclamaient hautement ses souffrances et ses droits; et qu'enfin le siècle ne s'achèvepas sans que quelque grande secousse ne

rait

vînt ébranler la France et changer le cours de ses destinées.

Les gens qui parlaient ainsi étaient presque tous partisans du système d'administra– tion de M. Turgot: c'étaient Mirabeau le père, le docteur Quesnay, l'abbé Baudeau, l'abbé Nicoli, chargé des affaires de Léopold, grand-duc de Toscane, et aussi enthousiaste des maximes des novateurs que l'était son souverain.

Mon père rendait un sincère hommage à la pureté des intentions de ces économistes. Comme eux il reconnaissait beaucoup d'abus dans le gouvernement; mais il n'accordait point aux adeptes de cette secte politique les lumières administratives nécessaires pour diriger une sage réforme. Il leur disait avec franchise que, dans l'art de faire mouvoir la grande machine du gouvernement, le plus savant d'entre eux était inférieur à un bon subdélégué d'intendance, et que, si jamais le timon des affaires était remis entre leurs mains, ils seraient promptement arrêtés, dans l'exécution de leurs projets, par l'immense différence qui existe entre les plus savantes théories et la pratique la plus simple des affaires d'administration.

Dans un de ces entretiens qui, malgré ma grande jeunesse, fixaient mon attention, j'entendis un jour mon père comparer la monarchie française à une belle et antique statue : il convenait que le piédestal qui la soutenait était près de s'écrouler; que les formes de la statue disparaissaient cachées sous les plantes parasites dont elle s'était insensiblement couverte; mais il demandait, avec le sentiment d'une douloureuse appréhension, quel serait l'architecte assez habile pour reconstruire le socle sans ébranler la statue? De tels ouvriers ne se sont point trouvés; les essais de réforme n'ont fait que hâter la ruine. L'orage des passions est venu à éclater; le monument tout entier s'est écroulé, et sa chute a ébranlé l'Europe.

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