Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

L'abbé de Montgaillard, dans les vingt-deux lignes qu'il consacre à l'affaire du Champ de Mars, trouve moyen de faire tenir toutes sortes d'imputations fausses et de contre-vérités, celle-ci notamment : Le commandant la Fayette, par l'ordre du maire Bailly, fait faire feu. (Voy. son Histoire de France, t. II, p. 390 et 391.)

M. Thiers ne consacre à l'événement du Champ de Mars que quelques lignes où chaque mot presque est une erreur, sans parler de l'omission de tous les détails qui donnent aux faits leur vrai caractère. Il parle de municipaux qui font retirer la populace, de gardes nationaux qui veillent à sa retraite, de tumulte qui recommence; et c'est après tout cela qu'il place la circonstance des deux hommes assassinés. Et de cet incroyable entassement d'erreurs, ce qui résulte naturellement, c'est que l'emploi de la force était juste; c'est que les pétitionnaires étaient des factieux; c'est que Bailly devait faire exécuter la loi; c'est qu'il le fit d'une manière d'autant plus méritoire, qu'il reçut sans être atteint plusieurs coups de feu, etc....., etc....!!! (Voy. l'Histoire de la Révolution, par M. Thiers, t. I, p. 186 et 187, édition de Bruxelles.)

M. Mignet n'a évidemment consulté que Ferrières. C'est tout dire.

MM. Buchez et Roux se sont bornés, suivant leur usage, à un travail de ciseaux. Ils reproduisent le récit systématique de Camille Desmoulins, le récit des Révolutions de Paris, et seulement une partie du procès-verbal de la municipalité. Mais ces documents, quelque importants qu'ils soient, ne suffisent point. Ils peuvent même, si on ne les confronte point avec d'autres, conduire à d'étranges méprises, notamment à regarder comme des imposteurs et des traitres les trois officiers municipaux, Regnaud, Leroulx et Hardy, lesquels ne furent coupables que d'avoir gardé le silence sur la trahison qui, injustement, leur était imputée. Et c'est précisément l'erreur commise par M. Alphonse Esquiros, qui dans son éloquente Histoire des Montagnards, t. I, ch. iv, se contente de suivre pas à pas les Révolutions de Paris.

M. de Lamartine ne dit pas un mot de toutes les circonstances qui prouvent que la réunion du Champ de Mars était parfaitement légale. Il ne parle ni de la députation envoyée le 16 juillet à l'hôtel de ville, ni de la réponse qui lui fut faite, ni du récépissé qu'elle prit des mains du procureur syndic, ni du rapport des trois officiers municipaux Leroulx, Regnaud et Hardy, sur l'attitude paisible de la réunion et sur l'excellent esprit dont elle était animée. Ce n'est pas tout. Son récit, qui pèche si fort par omission, ne pèche pas moins par affirmation. Comment peut-il dire, par exemple, s'il a eu sous les yeux le procès-verbal lu par Bailly lui-même à la séance du 18 juillet, comment peut-il dire que Bailly fit faire les sommations légales ?..... (Voy. l'Histoire des Girondins, t. I, liv. III, p. 128, édition de

Bruxelles.)

Dans le récit de M. Michelet, très-intéressant d'ailleurs et très-circonstancié, nous pourrions relever quelques inexactitudes, mais elles sont peu de chose en comparaison de l'erreur capitale qui domine tout ce récit, erreur infiniment regrettable en un livre écrit avec tant de cœur et de talent. Que M. Michelet ait cédé, sans y prendre garde, à une préoccupation au fond très-honorable, en s'étudiant à détourner de la bourgeoisie et des constitutionnels la responsabilité de cette exécution sanglante, personne n'est plus disposé que nous à l'admettre. Mais est-il conforme à la vérité, est-il

conforme à la justice de dire, comme il le fait, dans le sommaire du ch. vIII, t. III, de son livre : « La garde soldée et les royalistes tirent sur le peuple. La garde nationale sauve les fuyards. » Et ailleurs, ch. 1x, p. 158 : « Qui poussa la garde soldée ? Le bon sens suffit pour répondre : ceux qui y avaient intérêt, c'est-à-dire les royalistes, les nobles ou clients des nobles, » D'abord, ceux qui y avaient intérêt, c'étaient les constitutionnels, eux qui alors menaient l'Assemblée, eux contre qui la pétition était spécialement dirigée, eux qui avaient fait rendre le décret du 15 juillet, eux qui se voyaient à la veille d'être remplacés dans leur influence politique par les républicains et commençaient à l'être dans leur popularité, eux qui figurèrent seuls dans toute cette affaire, par d'André, par Regnaud de Saint-Jean d'Angély, par Charles Lameth, par Bailly, par la Fayette, par Barnave. Loin d'être intéressés à ce qu'on repoussât, au prix d'une victoire sanglante, la pétition qui demandait la déchéance de Louis XVI, victoire qui ne pouvait profiter, au moins immédiatement, qu'aux constitutionnels, comme cela cut lieu, les nobles ou clients des nobles devaient, dans leur égoïsme de caste, désirer la proclamation de la déchéance afin de tout brouiller et d'amener la guerre avec l'Europe. Et c'est ce qu'effectivement ils désiraient, selon le témoignage de Ferrières, très au courant de leurs dispositions secrètes, et qui s'exprime ainsi : Ils eussent été charmés que l'Assemblée cût mis Louis XVI en jugement, qu'elle cût décrété la déchéance. (Voy. les Mémoires de Ferrières, t. II, liv. X, p. 418.) Mais quoi! après avoir avancé, p. 158, que les nobles ou clients des nobles avaient intérêt au massacre du Champ de Mars, M. Michelet, par une contradiction singulière, dit, p. 164, que nulle part l'effet de terreur ne fut plus grand qu'en deux endroits, aux Tuileries et aux Jacobins ; que, aux premiers coups, la reine reçut le contre-coup au cœur; que elle sentit que ses imprudents amis venaient d'ouvrir un gouffre sanglant qui ne se refermerait plus. Mais quoi qu'il en soit de ce que le bon sens suggère ici, l'histoire, quand il existe des faits précis, ne saurait se payer de suppositions. Or, qu'on prenne les journaux du temps de toute nuance, qu'on prenne les documents officiels, qu'on prenne le procès-verbal de la municipalité, partout c'est la garde nationale qui est présentée comme ayant fait feu. Les uns la félicitent, d'autres l'excusent, d'autres la maudissent; mais sa responsabilité, personne ne s'avise de la nier. M. Michelet la nie, cependant où sont ses autorités? Il ne les cite pas. Il lui suffit que le bon sens en décide, et il paraît regarder comme décisive cette circonstance que des nobles ou clients des nobles se trouvaient là comme officiers de la garde nationale, ou comme volontaires amateurs, témoin un chevalier de Malle qui s'en vanta dans les journaux, quelques jours après (p. 158). Franchement, c'est se contenter de trop peu ! Le pire est que, pour disculper la garde nationale, M. Michelet accuse mal à propos la garde soldée, les anciens gardes-françaises. S'il est une chose certaine et prouvée, c'est que la garde soldée, placée sous le commandement de Hulin, fut au contraire indignée du massacre, recueillit les fuyards de concert avec les généreux gardes nationaux du Marais et du faubourg Saint-Antoine, et sauva un grand nombre de malheureux citoyens qu'on poursuivait pour les assassiner. S'il est une chose certaine et prouvée, c'est que Bailly, le soir même de l'événement, les en félicita. Quelque hostiles qu'elles soient à Bailly, les Révolutions de Paris s'expriment sur ce point d'une manière catégorique, et on peut lire ce qu'affirme, de son côté, à cet égard, le savant et judicieux

:

auteur de la Biographie de Bailly, M. François Arago, p. ccxx11 de son beau travail. Mais cette erreur d'appréciation, chez M. Michelet, s'appuie sur des erreurs de fait plus graves encore, et en voici un exemple bien frappant. La partie des troupes qui tira sur le peuple était celle qui était arrivée au Champ de Mars par le Gros-Caillou. Eh bien, c'est là que M. Michelet (p.151) place la masse principale de la garde soldée, et quant à cette portion de la garde nationale qui amenait avec elle Bailly et le drapeau rouge, il la fait venir (p. 152) par le pont de bois (où est le pont d'léna), c'est-à-dire du côté de Chaillot. Or, ici M. Michelet s'est matériellement trompé. Bailly et les municipaux, partis de l'hôtel de ville, suivirent le chemin qui traverse le GrosCaillou, et existe à cet égard un témoignage irréfragable, celui de Bailly lui-même, qui certes ne pouvait ni se tromper, ni tromper personne sur la route qu'il avait suivie. Voici les propres termes du procès-verbal de la municipalité «EN ARRIVANT PAR LE CHEMIN QUI TRAVERSE LE GROS-CAILLOU, LE CORPS MUNICIPAL a remarqué un très-grand nombre de personnes qui sortaient du champ de la Fédération..... L'intention du CORPS MUNICIPAL était d'abord de se porter vers l'autel de la Patrie, qui était couvert de personnes des deux sexes, ensuite à l'École militaire. MAIS A PEINE LE CORPS MUNICIPAL ÉTAIT-IL ENGAGÉ DANS LE PASSAGE QUI CONDUIT AU CHAMP DE LA FÉDÉRATION, QUE, etc.... » Et un peu plus loin : « La GARDE NATIONALE, ne pouvant retenir son indignation, a fait feu. » Et un peu plus loin encore : « Le corps municipal n'ayant pu exécuter l'article vi de la loi martiale, la GARDE NATIONALE a usé du pouvoir que donne l'article vi, elle a déployé la force, etc. » Il reste donc bien prouvé, prouvé officiellement, prouvé par le témoignage de Bailly lui-même : 10 Que la garde nationale qui l'accompagnait, arriva par le chemin du Gros-Caillou, et non par le pont de bois, comme le croit M. Michelet; 2o que ce fut cette garde nationale qui tira sur le peuple, et non pas les gardes soldés seulement, ceux dont M. Michelet dit, p. 151 et 152: Cette garde soldée est sa force (de la Fayette). Vous la voyez presque entière qui entre, bruyante et formidable, par le Gros-Caillou, au milieu du Champ de Mars, près du centre, près de l'autel, près du peuple... gare au peuple ! »>

Il ne nous reste plus qu'à mentionner, non pas le récit de M. François Arago, ce n'est pas un récit, mais sa lumineuse et honorable dissertation sur l'affaire du Champ de Mars dans la Biographie de Bailly. Nul doute que M. François Arago n'ait entrepris l'étude approfondie des faits relatifs à cette catastrophe, avec un désir passionné de laver entièrement de cette tache la mémoire de Bailly, qu'il aime, qu'il admire, dont il est chargé de faire le panégyrique. Cependant, qu'arrive-t-il? Que M. François Arago est conduit par ses recherches à considérer le massacre du Champ de Mars comme une sanguinaire violence, comme une brutale violation de la loi, comme un crime. Ici encore pourtant, quelque chose est à reprendre. M. François Arago, tout en vouant l'attentat commis au Champ de Mars par les prétendus vengeurs de la loi, à la flétrissure qu'il mérite, s'efforce d'absoudre Bailly, sur ce qu'il était trop confiant, sur ce qu'il ne croyait pas ceux qui l'entouraient capables de mentir, sur ce qu'il n'ordonna pas le feu et exprima même, en présence du carnage, le regret du sang versé. Mais le discours si dur, si injuste, qu'il prononça le 18 juillet, M. Arago ne le cite pas. D'autre part, il reconnaît que les omissions du procès-verbal étaient graves, mais il les appelle involontaires, tandis qu'au contraire, elles furent

parfaitement bien calculées. L'avis légal donné le 16 à la municipalité par les députés du peuple, le mot fameux la loi vous couvre de son inviolabilité, le récépissé délivré par le procureur-syndic, le rapport de Leroulx, Regnaud el Hardy, toutes ces circonstances, d'une importance si décisive, l'hôtel de ville, témoin et acteur, pouvait-il les ignorer? Et s'il omit de les mentionner, lorsqu'elles l'accusaient d'une façon si accablante, peut-on supposer que ce fut involontairement ?

Arrêtons-nous. Peut-être quelques personnes trouveront-elles à redire à ce qu'un confrère se soit ainsi permis de critiquer ses confrères. Mais, pour un historien, il est un culte qui doit passer même avant celui du bon goût, c'est celui de la vérité.

FIN DU CINQUIEME VOLUME.

« ZurückWeiter »