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parlant ou en écrivant. Par là nous atteindrons plus sûrement le but que se sont proposé certains grammairiens par leurs tristes recueils de cacologie et de cacographie. Le logicien.

Passons maintenant au second auteur du cours de langue, au logicien. Ce n'est pas à un faiseur de raisonnements que nous donnons ce beau nom, mais à un philosophe qui a analysé avec soin la pensée de l'homme, qui en connaît les premiers éléments ainsi que les lois, et qui en a suivi les développements progressifs, jusqu'à ses opérations les plus étendues et les plus compliquées. C'est de lui que nous apprendrons ce qu'il faut faire pour la culture des jeunes intelligences. Il s'agit de leur donner de l'aplomb, de l'ouverture et de la rectitude; car ces qualités ne sont encore qu'averties à leur âge et faiblement ébauchées.

La légèreté des enfants est connue. Dès le berceau leur attention a été attirée vers les objets sensibles du voisinage, et surtout vers tout ce qui brillait, bougeait ou bruissait autour d'eux. Par là ils se sont habitués à être tout œil et tout oreille, non pas sans doute pour le langage muet d'un livre ou pour des leçons trop souvent monotones et inintelligibles; mais précisément pour voir et entendre tout autre chose qui puisse piquer leur curiosité naturelle. Aux attraits qui leur arrivent du dehors, viennent se joindre des impressions d'un organisme qui tend incessamment à se développer par le mouvement et l'exercice. La crainte pourra bien quelquefois tenir ces novices de la vie dans le repos et dans le silence; mais elle ne peut rien sur l'invisible pensée qui garde sa liberté, et qui veut en jouir. L'aplomb ne peut venir à l'enfant que de sa propre volonté. Celle-ci se prononcera si d'un côté vos leçons savent l'intéresser par leur objet, leur forme et leur ton; et si, de l'autre, imitant l'abbé Gaultier, vous appelez l'élève à inventer et à s'instruire en partie lui-même. Les écoles d'enseignement mutuel n'ont pas eu cette attention; mais sous le rapport physique elles ont fait quelque chose d'utile en ce genre en variant la position des élèves

qui tantôt sont assis, tantôt debout et tantôt en marche. Lorsque l'enfant arrive à l'enseignement régulier de la langue, ses pensées ne se promènent encore que dans un cercle fort étroit, et, pour ainsi dire, à la surface des choses de son voisinage. Il se peut qu'il soit allé un peu au delà dans l'histoire naturelle et la géographie, au moyen des livres à figures et des petits atlas que les amis de l'enfance ont faits pour lui; mais toujours est-il que sous le rapport des connaissances sa conception est encore très-bornée. Et que dirons-nous sous le rapport de la pénétration et de l'intelligence? Il a déjà quelque peine à réunir deux idées qui se touchent. Il est inutile de vouloir établir pour lui un raisonnement tant soit peu compliqué, plus inutile encore de lui présenter la chaîne la plus concluante; vous n'approcherez pas de la conclusion que par faiblesse il aura perdu les antécédents de vue, et ne trouvera rien à comparer, rien à conclure. Il n'y a pas plus de sauts dans les opérations de l'esprit qu'il ne s'en trouve dans la nature physique. Le langage qui est l'expression de la pensée, en est aussi l'image. Or l'élève à l'âge de sept ou huit ans ne parle encore que par propositions composées de peu d'idées, ou par phrases qui expriment toutefois deux pensées, mais peu compliquées et d'une facile construction. Il ne passe pas au delà parce qu'il n'en a pas la force. Veut-on le conduire plus loin, il faut, par des exercices bien mesurés, étendre progressivement sa faculté de concevoir. En France l'abbé Gaultier a pensé donner le ton dans ses divers recueils de Phrases graduées, et ici encore je ne vois pas qu'il ait trouvé des imitateurs, sauf dans deux essais tout récents dont je parlerai plus tard.

Notre logicien du cours de langue doit y achever sa tâche en donnant, autant que possible, de la rectitude et de la justesse au jugement de l'enfance. Faut-il s'étonner que cette qualité si nécessaire lui manque, quand on rencontre tant d'adultes dans la vie qui commettent les fautes les plus grossières, prenant l'apparence pour la réalité, la

forme pour le fond, l'effet pour la cause, le moyen pour le but et le mot pour la chose? De là résultent mille fâ– cheuses méprises dans la vie, pour ne rien dire des disparates d'opinion qui divisent les hommes et troublent leur paix. Ce n'est pas l'intelligence même qui est en défaut; elle est partout où il y a un homme, et partout la même dans ses immuables principes. C'est leur application qui manque de justesse, faute d'exercices réfléchis, et les erreurs de jugement vont se peindre dans une conduite qui en est l'image, comme le fruit. Pour ne rien dire de la sagesse, qui choisit toujours les meilleurs moyens pour les meilleurs buts, on y voit des imprudences continuelles, quant aux soins que réclament la santé, la fortune, la famille et le commerce de la vie. Ce sont là de grands enfants. Les petits sont encore beaucoup au-dessous. Le logicien dont nous invoquerons l'art en faveur de notre Cours de langue, saura bien nous dire comment dans la série de nos exercices nous pouvons peu à peu habituer nos élèves à penser avec justesse. Il s'agira de leur inspirer des idées lumineuses qui puissent éclairer leur marche vers la vérité, puis de leur faire toujours motiver ce qu'ils avanceront, et juger de même de ce qui paraîtra dans leurs leçons. La syntaxe, pour le dire en particulier, offre à cet égard un vaste champ dans ses phrases exprimant une cause ou un effet, un but ou un moyen, une condition ou un raisonnement.

L'éducateur. Voici le personnage le plus important dans un cours de langue qui a pour but de cultiver l'esprit de la jeunesse, afin d'ennoblir son cœur et sa vie. L'éducateur a un point de départ et un point d'arrivée. Le point de départ, il le doit à la nature humaine qui parle déjà plus ou moins clairement, plus ou moins haut dans l'enfant que les parents remettent à sa direction. Or à côté de l'intérêt personnel qui veille à notre conservation et à notre bienêtre individuel, il y a dans cette nature de nobles tendances qui sont là pour régler toutes les autres. Ce sont l'amour inné du bien et du juste, la piété native, et les

sentiments d'humanité envers nos semblables et tout ce qui respire. Voilà pour l'éducateur le point de départ et le champ où il doit exercer son art, le plus important et le plus noble de tous.

Le point d'arrivée qu'il doit incessamment avoir devant les yeux, pour y conduire les élèves que la confiance des familles a remis entre ses mains, et dont il aura un compte rigoureux à rendre, ce point d'arrivée, disons-nous, n'est pas un simple idéal, quelque beau qu'il puisse être; c'est une réalité qui a paru une fois sur notre terre, pour nous servir à jamais de modèle et qui vit encore parmi nous dans l'Église qu'il a fondée au prix de son sang. Les enfants, pour peu qu'on leur apprenne à le connaître, ne peuvent que l'aimer, et un modèle que l'on aime a incomparablement plus d'attraits et de force que ne peuvent en avoir les plus belles leçons.

Ayant donc devant lui le point de départ et le point d'arrivée, l'éducateur devra subordonner à son but tout ce qu'il empruntera de ses collaborateurs, le logicien et le grammairien. C'est lui seul qui réglera toute l'instruction pour le choix des matières et leur développement. La grande maxime qu'il ne perd pas un instant de vue dans son noble travail, est celle-ci : «L'homme agit comme il aime, et il aime comme il pense. » Dès lors le bon éducateur cherche à graver profondément dans l'âme de la jeunesse toutes les belles et grandes vérités qui peuvent éveiller en elle et nourrir de pures et nobles affections, assuré qu'il est qu'elles iront se fondre dans les mœurs. Le littérateur. On sera peut-être surpris de voir appeler ce personnage dans une école d'enfants qui n'auront ni discours académiques, ni poëmes, de quelque genre que ce soit, à composer, et pas même un seul vers à faire; cependant nous en avons besoin. Les élèves du cours de langue, outre que du commencement à la fin ils seront appelés à inventer des propositions et des phrases, auront des compositions proprement dites à faire, dès que le temps en sera venu. Ce seront des récits, des lettres, des des

criptions, des dialogues et de petits discours. Sans ces divers essais le Cours de langue resterait incomplet. Il ne donnerait pas tout le développement que comporte l'âge de ses élèves sous le rapport de l'esprit et du cœur ; il leur refuserait la douce et encourageante jouissance de produire quelque chose de mieux que des phrases isolées. Par là l'enseignement même de la langue en souffrirait; parce qu'il resterait en deçà de ce qu'il peut, et de ce qu'il doit embrasser. Ne doit-il pas conduire ses disciples au point de pouvoir penser, parler et écrire avec suite, connexité et conséquence?

Sans doute que l'éducateur donnera tous les sujets de ces petites compositions, et qu'il les corrigera, pour qu'elles correspondent toujours au grand but qui l'anime ; mais de là il se transformera en littérateur, pour enseigner aux enfants comment ils peuvent mettre de la grâce dans leur travail et relever par le beau le mérite du vrai, du bon et de l'utile. Un principe à suivre dans l'éducation, c'est le développement harmonique de toutes les facultés et de toutes les directions que le Créateur a placées dans la nature humaine. Or le goût, l'amour du beau, se trouve aussi dans le nombre et l'harmonie, et la création nous en présente partout l'expression la plus merveilleuse et la plus touchante.

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