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viendraient la garde allemande du roi, et partit avec eux au grand galop. « Il n'est plus temps! » leur cria un prêtre qui les vit passer. Ils continuèrent, mais, en vue de Varennes, l'avertissement du prêtre leur fut confirmé par Deslon. Il était neuf heures, et, à huit, le roi était parti! Bouillé voulait pousser en avant chefs et officiers le détournent de ce dessein. Ils objectent le soulèvement des campagnes annoncé de distance en distance par le bruit des tambours et le son des cloches, l'approche de la garnison de Verdun en marche avec du canon, l'impossibilité de trouver un gué, l'avance qu'ont déjà les voitures, l'épuisement des chevaux harassés par une marche de près de neuf lieues à allure forcéc. Bouillé ordonna la retraite, et, se tournant vers son fils aîné qui l'avait toujours félicité sur le bonheur de ses entreprises, il lui dit d'une voix déchirante: « Eh bien, direz-vous encore que je suis heureux 1?

La famille royale était partie en effet, et la voiture qui la ramenait à Paris s'avançait lentement, précédée, entourée, suivie, d'une foule immense et diverse gardes nationaux, bourgeois, paysans; tout cela brandissant piques, fourches ou fusils, criant, menaçant, mugissant, roulant pêle-mêle sous un soleil de juin et à travers des flots de poussière. Pour contempler ce spectacle, si nouveau, d'un roi traîné captifau milieu de ses États, on accourait de loin, de bien loin, et, à chaque pas, l'escorte grossissait, devenait plus effrayante. Et toutefois, les outrages ne s'adressaient guère qu'aux trois gardes du corps, exposés sur le siége de la voiture comme des criminels au pilori. Le roi, en considération de sa faiblesse, trop connue, on l'épargnait; on épargnait aussi la reine, que protégeaient ses deux pauvres enfants, dont on apercevait de temps en temps à la portière les têtes blondes.

Aux approches de Sainte-Menehould, le trajet devint orageux, et, un peu au delà, il y eut du sang versé. Un gentilhomme, le marquis de Dampierre, venu sur un cheval

1 Mémoires du comte Louis de Bouillé, p. 131 et 132.

fringant présenter ses hommages au roi, traversa la foule comme s'il la passait en revue. Elle se crut insultée. Des mains violentes saisissant la bride de son cheval, le marquis fit effort pour se dégager, y parvint, se jeta dans les terres, tira un coup de pistolet en fuyant, et, poursuivi comme un cerf l'est à la chasse par les chiens 1, atteint bientôt, enveloppé, il disparut... quelques instants après, sa tête était au bout d'une pique! Douter que ce meurtre horrible ait été le résultat d'une colère aveugle et trompée, la réponse faite par des furieux à une provocation, imaginaire peutêtre mais tenue pour réelle, ce serait calomnier l'espèce humaine. Le comte de Valory, qui retrace cet assassinat, convient lui-même qu'un grand nombre de personnes, sur la route, purent impunément donner à ses maîtres des marques d'intérêt profond, de respect, d'amour 2.

Et ce fut bien autre chose, à Châlons, la ville la plus royaliste d'alors. Les yeux pleins de larmes, les mains chargées de bouquets, dames et demoiselles vinrent au-devant des captifs. C'était, dit un témoin oculaire, à qui solliciterait l'honneur de leur être présenté 5. Ils furent reçus dans une vaste salle, se mirent à table devant tous, et tous de les combler de bénédictions. La garde nationale de Châlons ne parlait de rien moins que de leur composer une garde à cheval, que de les amener à Montmédy 4. Ils passèrent la nuit à respirer ce doux encens; une fois encore ils étaient heureux! Mais quel changement soudain et terrible, lorsque, le lendemain, avant le jour, la cité bourgeoise, manufacturière et républicaine de Reims envoya ses phalanges d'ouvriers rudes, de clubistes et de sectaires! C'était une véritable armée qui remplissait Châlons, la Champagne presque entière étant accourue. Or, les Châlonnais et ceux de Reims se mesuraient si bien des yeux, qu'un combat fut au mo

1 Précis historique du comte de Valory, p. 301 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

2 Ibid.,
p. 300.

5 Ibid.

▲ Ibid., p. 302.

ment de s'engager 1. Ce fut au sortir de la messe, célébrée pour lui dans une chambre préparée à cet effet, que Louis XVI entendit crier à Paris! à Paris! et déjà l'on couchait en joue les croisées. Résigné à son destin, il descendit, passa d'un air calme devant un forcené qui le menaçait du poing 2, et remonta silencieusement en voiture avec sa famille.

Suivant le témoignage de Ferrières, l'arrestation, connue à Paris, y avait jeté dans un embarras singulier les orléanistes, les contre-révolutionnaires, et même les constitutionnels. Les premiers perdaient le bénéfice d'un trône vacant; les seconds prévoyaient des outrages dont leur impuissance s'alarmait; les derniers sentaient que la République avait plus à gagner au spectacle d'un roi humilié qu'à son absence. Il y eut entre les principaux meneurs de l'Assemblée des conférences secrètes où l'on s'occupa de nommer les commissaires à envoyer au-devant de la famille royale. Dans le comité qui se rassembla pour cela, Mathieu Dumas fut appelé. Un autre homme d'épée, le maréchal de Rochambeau, s'y trouvait. « On fut unanime, dit Mathieu Dumas dans ses Souvenirs, pour conserver le principe monarchique et le respect dû à la famille royale. » Les commissaires choisis furent Latour-Maubourg, constitutionnel et grand ami de la Fayette, le républicain Pétion, et Barnave, représentant trop fidèle du mouvement de défection qui commençait à diviser la gauche. Mathieu Dumas reçut mission d'accompagner les trois commissaires et de prendre le commandement de la force armée qu'on supposait devoir accourir sur le passage. Ils partirent.

Ce fut le 23 juin, entre Château-Thierry et Châlons, à deux lieues au delà de Dormans, que les quatre envoyés

1 Précis historique du comte de Valory, p. 301 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

2 Ibid., p. 305.

8 Mémoires de Ferrières, t. II, liv. X, p. 369.

4 Souvenirs de Mathieu Dumas, de 1770 à 1836, publiés par son fils, t. I, p. 486. Paris, Charles Gosselin, M.DCCC.XXI.

5 Ibid., p. 487.

rencontrèrent la voiture. Ils mirent pied à terre. Les deux portières étaient ouvertes. Barnave s'avança et présenta le décret. « Messieurs, dit Louis XVI après l'avoir lu, je suis bien aise de vous voir. Je ne voulais point sortir du royaume. J'allais à Montmédy, où mon intention était de rester jusqu'à ce que j'eusse examiné et accepté librement la Constitution 1. » A ces mots, Barnave dit à voix basse à Mathieu Dumas, qui se trouvait près de lui: « Si le roi se souvient de répéter la même chose, nous le sauverons 2. » Puis, montant sur le siége de la voiture, il proclama le décret 3.

Madame de Tourzel quitta la voiture du roi, pour aller avec un des commissaires dans celle qui les avait amenés. Les deux autres montèrent dans le carrosse royal. La reine aurait désiré que Latour Maubourg fût un de ceux-là, parce que sa figure ne lui était point inconnue. Mais ce dernier lui fit observer en particulier que Barnave était un membre très-influent de l'Assemblée; qu'il avait compté s'asseoir parmi la famille royale; que sa vanité en serait flattée; que la reine aurait ainsi l'occasion de le mieux connaître, et que cela n'était peut-être pas sans importance pour le service de Sa Majesté. Le comte de Valory, qui était sur le siége de la voiture et pouvait très-bien ne pas voir ce qui se passait à l'intérieur, raconte que « Pétion poussa l'audace jusqu'à exiger que madame Élisabeth quittât sa place, dans le fond du carrosse, pour la lui laisser occuper. » Mais ce fait de grossièreté brutale, si peu vraisemblable en soi, est formellement démenti par la relation de l'archevêque de Toulouse, qui, écrivant en quelque sorte sous la dictée de la reine elle-même, dit : « Les choses furent arrangées ainsi : Barnave, qui était assez mince, se

1 Souvenirs de Mathieu Dumas, etc., p. 489.

2 Et non, comme M. Michelet le rapporte, par erreur : « Voilà un mot qui sauvera le royaume, » ce qui est tout différent. Voy. le récit de Mathieu Dumas lui-même, t. I, et p. 489 de ses Souvenirs.

Ibid., p. 490.

4 Relation de l'archevêque de Toulouse, ubi supra.

5 Précis historique du comte de Valory, p. 307 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

mit dans le fond de la voiture entre le roi et la reine; Pétion, sur le devant, entre madame Élisabeth et la jeune princesse; le dauphin, sur les genoux de sa mère, de sa tante ou de sa sœur 1.

D'abord, la reine affecta de l'humeur et laissa tomber son voile sur son visage, comme si elle eût résolu de ne pas ouvrir la bouche tout le long de la route. Mais un regard rapide que Barnave jeta sur l'un des trois gardes du corps assis sur le siége, et le léger sourire dont il accompagna ce regard 2, qui évidemment cherchait Fersen, vinrent tout à coup trahir dans le jeune avocat une préoccupation étrange. En un instant, Marie-Antoinette devina tout. Sans affectation, elle trouva moyen de faire connaître quelles étaient les personnes qui étaient sur le siége 5, et Barnave, que la présence de Fersen aurait peut-être rendu aigre et moqueur, se montra aussitôt plein de douceur, plein de prévenances, et respectueux autant qu'ému. Attaqué de conversation par Louis XVI sur la Révolution, sur l'Assemblée, il mit à défendre son opinion une délicatesse qui n'échappa point à la reine et dont elle fut touchée. Insensiblement tentée du désir, bien naturel et bien légitime, de gagner un cœur qui, avec un entraînement si doux, venait s'offrir, elle releva son voile, elle parla. Barnave fut charmé, il était perdu!

Si Pétion poussa, au contraire, l'austérité jusqu'à l'insolence; s'il fut d'une familiarité presque cynique; si, ayant soif, il se fit brusquement servir à boire par madame Élisabeth sans même la remercier ..., c'est ce qu'assurent des 4. témoignages trop royalistes pour n'être pas suspects de quelque exagération. Ce qui est certain, c'est qu'il joua mal à propos le rôle du paysan du Danube, qu'il fut âpre, dogmatique et sec, oubliant ainsi que la rudesse, si elle est

1 Relation de l'archevêque de Toulouse, t. II, et p. 130 des Mémoires de Weber.

2 Ibid.

5 Ibid.

4 lbid., p. 134. Voy. aussi sur la tenue de Pétion, Mémoires de Ferrières, t. II, p. 377; les Mémoires de madame Campan, t. II, p. 153, le Précis historique du comte de Valory, etc., etc.

RÉVOLUTION FRANÇAISE. 5.

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