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qu'on peut répondre que s'ils ne l'étaient pas, l'empereur aurait tort de les abolir; que d'ailleurs la loi contre les Guèbres a été portée non par les prêtres, mais par l'empereur lui-même; que tous les personnages ont tort dans la pièce, excepté le vieux jardinier et sa fille; que l'empereur, en leur pardonnant à tous, fait un grand acte de clémence, et que le dénoûment est fondé sur l'amour de la justice et du bien public.

Si avec ces raisons la pièce ne passe point à la police, il faudra s'en consoler, en l'imprimant soit sous le nom de Latouche, soit sous un autre.

J'ai bien de l'inquiétude sur un objet beaucoup plus important, qui est la vie ou la mort de M. le comte de Coigni, que nos malheureuses gazettes étrangères ont tué en Corse. Il était venu coucher quelques jours à Ferney l'année passée; il m'avait paru très aimable, fort instruit et fort au dessus de son âge; il passait déja pour un excellent officier. Je veux encore me flatter que les gazettes ne savent ce qu'elles disent: cela leur arrive fort souvent.

Je ne suis que trop sûr de la mort du chevalier de Bétizi, qui était bien attaché à la bonne cause, et que je regrette beaucoup; mais je veux douter de celle de M. de Coigni.

Donnez-moi donc, pour me consoler, quelques espérances sur un certain duché* qui ne vaut pas celui de Milan, mais pour lequel j'ai pris un vif intérêt.

Je persiste plus que jamais dans mon culte de dulie.

* Castro et Ronciglione, que M. de Voltaire désirait de voir réunis au duché de Parme. (É. de K.)

CCXXIV.

A MADAME LA MARQUISE DU DEFFAND.

7 décembre.

Puisque vous vous êtes amusée de cela, madame, amusez-vous de ceci. C'est un ouvrage de l'abbé Caille *, que vous avez tant connu, et qui vous était bien tendrement attaché.

Eh, pardieu! madame, comment pouvais-je faire avec le président? Mille gens charitables, dans Paris, m'attribuaient cet ouvrage contre lui; on me le mandait de tous côtés. Jamais Ragotin n'a été plus en colère que moi. Je n'ai découvert l'auteur que d'aujourd'hui, après trois mois de recherches. Ce n'est point le marquis de Bélestat, c'est un gentilhomme de la province, qu'on appelle aussi monsieur le marquis. Il est très profond dans l'histoire de France; c'est une espèce de comte de Boulainvilliers, très poli dans la conversation, mais hardi et tranchant, la plume à la main.

Il est bien injuste envers M. le président Hénault, et bien téméraire envers le petit-fils de Sha-Abbas. Si j'ai assez de matériaux pour le réfuter, j'en userai avec toute la circonspection possible. Je veux que l'ouvrage soit utile, et qu'il vous amuse. Il s'agit d'Henri IV; j'ai quelque droit sur ce temps-là; je compte même dédier mon ouvrage à l'Académie française, parce que j'y prends le parti d'un de ses membres. La plupart des gens voient déchirer leur confrère avec une espèce de plaisir; je prétends leur apprendre à vivre.

Vous savez, sans doute, que quand l'évêque du Puy ennuyait son monde à Saint-Denis, une centaine d'auditeurs se détacha pour aller visiter le tombeau d'Henri IV. * Les Trois Empereurs en Sorbonne.

Ils se mirent tous à genoux autour du cercueil, et, attendris les uns par les autres, il l'arrosèrent de leurs

larmes. Voilà une belle oraison funèbre et une belle anecdote. Cela ne tombera pas à terre.

Je me flatte, madame, que votre petite mère n'a rien à craindre des sots contes que l'on débite dans Paris contre son mari, que je regarde comme un homme de génie, et par conséquent comme un homme unique dans le petit siècle qui a succédé au plus grand des siècles.

Oui, sans doute, la paix vaut encore mieux que la vérité; c'est-à-dire qu'il ne faut pas contrister son voisin pour des argumens; mais il faut chercher la paix de l'ame dans la vérité, et fouler aux pieds des erreurs monstrueuses qui bouleverseraient cette ame, et qui la rendraient le jouet des fripons.

Soyez très sûre qu'on passe des momens bien tristes à quatre-vingts ans, quand on nage dans le doute. Vos amis les Chaulieu et les Saint-Aulaire sont morts en paix.

CCXXV.

A MADAME LA MARQUISE DU DEFFAND.

12 décembre.

Madame, les imaginations ne dorment point; et, quand même elles prendraient en se couchant une dose des oraisons funèbres de l'évêque du Puy et de l'évêque de Troyes, le diable les bercerait toujours. Quand la marâtre nature nous prive de la vue, elle peint les objets avec plus de force dans le cerveau; c'est ce que la coquine me fait éprouver.

Je suis votre confrère des Quinze-Vingts dès que la neige est sur mon horizon de quatre-vingts lieues de tour; le diable alors me berce beaucoup plus que dans

les autres saisons. Je n'ai trouvé à cela d'autre exorcisme que celui de boire : je bois beaucoup, c'est-à-dire demisetier à chaque repas, et je vous conseille d'en faire autant; il faut que ce soit d'excellent vin; personne, de mon temps, n'en avait de bon à Paris.

L'aventure du président Hénault est assurément bien singulière. On s'est moqué de moi avec des Belloste et des Bélestat, grands noms que vous connaissez. Je ne veux ni rien croire, ni même chercher à croire.

L'abbé Boudot a eu la bonté de fureter dans la bibliothèque du roi. Il en résulte qu'il est très vrai qu'aux premiers états de Blois, dont vous ne vous souvenez guère, on donna trois fois aux parlemens le titre d'étatsgénéraux au petit pied. Je ne pense point du tout que les parlemens représentent les états-généraux, sur quelque pied que ce puisse être; et quand même j'aurais acheté une charge de conseiller au parlement pour quarante mille francs, je ne me croirais point du tout partie des états-généraux de France.

Mais je ne veux point entrer dans cette discussion, et m'aller brouiller avec tous les parlemens du royaumė, à moins que le roi ne me donne quatre ou cinq régimens à mes ordres. De toutes les facéties qui sont venues troubler mon repos dans ma retraite, celle-ci est la plus extraordinaire.

L'A B C est un ancien ouvrage traduit de l'anglais, imprimé en 1762. Cela est fier, profond et hardi : cette lecture demande de l'attention. Il n'y a point de ministre, point d'évêque, en deçà de la mer, à qui cet A B C puisse plaire; cela est insolent, vous dis-je, pour des têtes françaises. Si vous voulez le lire, vous qui avez une tête de tout pays, j'en chercherai un exemplaire et je 'vous l'enverrai; mais l'ouvrage a un pouce d'épaisseur.

Si votre grand'maman a ses ports francs, comme son mari, je le lui adresserai pour vous.

Il faut que je vous conte ce qu'on ne sait pas à Paris. Le singe de Nicolet, qui demeure à Rome, s'est avisé de canoniser non seulement madame de Chantal, à qui saint François de Sales avait fait deux enfans, mais il a encore canonisé un frère capucin nommé frère Cucufin d'Ascoli. J'ai vu le procès verbal de sa canonisation; il y est dit qu'il se plaisait fort à se faire donner des coups de pied dans le cul par humilité, et qu'il répandait exprès des œufs frais et de la bouillie sur sa barbe, afin que les profanes se moquassent de lui, et qu'il offrait à Dieu leurs railleries. Raillerie à part, il faut que Rezzonico soit un grand imbécile ; il ne sait pas encore que l'Europe entière rit de Rome comme de frère Cucufin.

Je sais pourtant qu'il y a encore des Hottentots, même à Paris; mais dans dix ans il n'y en aura plus: croyezmoi sur ma parole.

Quoi qu'il en soit, madame, buvez et dormez; amusez-vous le moins mal que vous le pourrez; supportez la vie, ne craignez point la mort que Cicéron appelle la fin de toutes les douleurs. Cicéron était un homme de fort bon sens. Je déteste les poules mouillées et les ames faibles. Il est trop honteux d'asservir son ame à la démence et à la bêtise de gens dont on n'aurait pas voulu pour ses palefreniers. Souvenons-nous des vers de l'abbé de Chaulieu :

Plus j'approche du terme, et moins je le redoute.
Sur des principes sûrs mon esprit affermi,
Content, persuadé, ne connaît plus de doute;
Des suites de ma fin je n'ai jamais frémi.

Adieu, madame; je baise vos mains avec mes lèvres plates, et je vous serai attaché jusqu'au dernier moment.

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