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Je proteste devant Dieu et devant M. d'Argental que je n'ai jamais écrit un seul mot de la phrase soulignée par M. d'Argental, dans sa lettre du 8 d'octobre, laquelle commence par ces mots : Vous devez regarder ce qui s'est passé comme un testament mal fait. En foi de quoi j'ai signé, ce 16 d'octobre 1767. « A Ferney. WAGNIÈRE.

Si j'avais écrit à mademoiselle Dubois ce qu'on prétend que je lui ai écrit, elle m'en aurait remercié, et c'est ce qu'elle n'a eu garde de faire. Cependant voilà mademoiselle Durancy sacrifiée par sa faute, et cela pour avoir pris une résolution trop précipitée, pour n'avoir point confronté l'écriture, pour avoir mal lu, pour n'avoir point pris de moi des informations. L'affaire est faite; l'artifice a réussi. Ce n'est pas le premier tour de cette espèce qu'on m'a joué; c'est, Dieu merci, le seul revenant-bon de la littérature. L'auteur du beau poëme intitulé le Balai et de la Poule à ma tante s'avisa un jour de falsifier et de faire courir une lettre que j'avais écrite à M. d'Alembert, et de me faire dire que les ministres étaient des oisons, et qu'il n'y avait que la Poule à ma tante et le Balai qui soutinssent l'honneur ` de la France. Cette belle lettre parvint à M. le duc de Choiseul, qui d'abord goba cette sottise, et qui, bientôt après, me rendit plus de justice que vous ne m'en. rendez.

Tout ce qui reste, ce me semble, à faire après cette petite infamie, c'est d'abandonner le théâtre pour jamais. Je mourrai bientôt, mais il mourra avant moi. Ce siècle des raisonneurs est l'anéantissement des talens; c'est ce qui ne pouvait manquer d'arriver après les efforts que

CORRESPONDANCE. T. IX.

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la nature avait faits dans le siècle de Louis XIV. Il faut, comme le dit élégamment Pierre Corneille,

..... Céder au destin qui roule toutes choses.

Pour moi qui ai vu empirer toutes choses, je ne regretterai rien que vous.

Je me doutais bien que madame de Groslée vous jouerait quelque mauvais tour; c'est bien pis que mademoiselle Dubois. Ces collatéraux-là ne sont pas votre meilleur côté.

Adieu, mon cher ange; achevons notre vie comme nous pourrons, et ne nous fâchons pas injustement. Il y a dans ce monde assez de sujets réels de chagrin. Tous les miens sont plus adoucis par votre amitié qu'ils n'ont été aigris par vos reproches. Comptez que je vous aimerai tendrement jusqu'au dernier moment de ma vie.

XXVIII.

A MADEMOISELLE CLAIRON.

18 octobre.

Vous m'apprenez, mademoiselle, que vous revenez du pays où j'irai bientôt. Si j'avais su votre maladie, je vous aurais assurément écrit. Vous ne doutez pas de l'intérêt que je prends à votre conservation; il égale mon indifférence pour le théâtre que vous avez quitté. Il fallait, pour que je l'aimasse, que vous en fissiez l'ornement.

Si vous voulez vous amuser a faire la Scythe chez madame de Villeroi, j'ai l'honneur de vous en adresser un exemplaire par M. Janel. Une bagatelle intitulée Charlot, ou la Comtesse de Givri, a été exécutée à Ferney d'une manière qui peut-être ne vous aurait pas

déplu; c'est à vous qu'il appartient de juger des talens. Tout ce qui est à Ferney vous fait les plus sincères complimens. Je n'ai pas besoin des arts qui doivent nous unir l'un et l'autre pour vous être tendrement attaché pour le reste de ma vie.

XXIX.

A M. L'ABBÉ DE VOISENON.

19 octobre.

Je n'osais me plaindre de votre silence, mon cher ancien évêque de Montrouge, mais j'en étais affligé. Vous sentez bien que, dans la décadence où nous sommes, et dans la barbarie dont nous approchons, vous m'êtes nécessaire pour me consoler. Si madame de Saint-Julien prend des cuisiniers à l'Opéra, vous pourriez bien prendre des marmitons à la Comédie française. Si vous aviez été homme à venir faire un pèlerinage à Ferney, vous auriez été étonné d'y voir des tragédies mieux jouées qu'à Paris. Nous avons depuis un an monsieur et madame de La Harpe et M. de Chabanon, qui sont d'excellens acteurs. Il y a des rôles dont la descendante de Corneille se tire très bien, et elle récite quelquefois des vers comme l'auteur de Cinna les faisait. Madame Denis a joué supérieurement dans une bagatelle intitulée la Comtesse de Givri, ou Charlot. Monsieur l'évêque de Montrouge aurait donné sa bénédiction à toutes nos fêtes.

Je ne sais si vous êtes docteur de Sorbonne : si vous l'êtes, vous ne prendrez pas assurément le parti de Riballier contre Marmontel. Ce maraud et ses semblables veulent absolument que Dieu soit aussi méchant qu'eux. Vous savez bien que les hommes ont toujours fait Dieu

à leur image. Je vous parle votre langage de prêtre. Je suis trop vieux et trop hors de combat pour vous parler la langue de la bonne compagnie, qui vous est plus naturelle que celle de l'église.

Conservez-moi vos bontés, comme vous avez conservé votre gaîté.

Madame Denis et tout ce qui est à Ferney vous fait ses complimens de tout son cœur.

XXX.

A M. COLLINI. (A Manheim.)

Ferney, 21 octobre.

J'ai lu, mon cher ami, avec un très grand plaisir, votre Dissertation sur la mauvaise humeur où était si justement l'électeur palatin Charles-Louis contre le vicomte de Turenne. Vous pensez avec autant de sagacité que vous vous exprimez dans notre langue avec pureté. Je reconnais là il genio fiorentino. Je ferai usage de vos conjectures dans la nouvelle édition du Siècle de Louis XIV, qui est sous presse, et je serai flatté de vous rendre la justice que vous méritez. Voici, en attendant, tout ce que je sais de cette aventure, et les idées qu'elle me rappelle.

J'ai eu l'honneur de voir très souvent, dans ma jeunesse, le cardinal d'Auvergne et le chevalier de Bouillon, neveu du vicomte de Turenne. Ni eux ni le prince de Vendôme ne doutaient du cartel; c'était une opinion généralement établie. Il est vrai que tous les anciens officiers, ainsi que les gens de lettres, avaient un très grand mépris pour le prétendu Dubuisson, auteur de la mauvaise Histoire de Turenne. Ce romancier Sandras de Courtilz, caché sous le nom de Dubuisson, qui mêlait

toujours la fiction à la vérité, pour mieux vendre ses livres, pouvait très bien avoir forgé la lettre de l'électeur, sans que le fond de l'aventure en fût moins vrai.

Le témoignage du marquis de Beauvau, si instruit des affaires de son temps, est d'un très grand poids. La faiblesse qu'il avait de croire aux sorciers et aux revenans, faiblesse si commune encore en ce temps-là, surtout en Lorraine, ne me paraît pas une raison pour le convaincre de faux sur ce qu'il dit des vivans qu'il avait

connus.

Le défi proposé par l'électeur ne me semble point du tout incompatible avec sa situation et son caractère; il était indignement opprimé; et un homme qui, en 1655, avait jeté un encrier à la tête d'un plénipotentiaire, pouvait fort bien envoyer un défi, en 1674, à un général d'armée qui brûlait son pays sans aucune raison plausible.

Le président Hénault peut avoir tort de dire que M. de Turenne répondit avec une modération qui fit honte à l'électeur de cette bravade. Ce n'était point, à mon sens, une bravade, c'était une très juste indignation d'un prince sensible et cruellement offensé.

On touchait au temps où ces duels entre des princes avaient été fort communs. Le duc de Beaufort, général des armées de la Fronde, avait tué en duel le duc de Nemours. Le fils du duc de Guise avait voulu se battre en duel avec le grand Condé. Vous verrez, dans les Lettres de Pellisson, que Louis XIV lui-même demanda s'il lui serait permis en conscience de se battre contre l'empereur Léopold:

Je ne serais point étonné que l'électeur, tout tolérant qu'il était (ainsi que tout prince éclairé doit l'être), ait reproché dans sa colère au maréchal de Turenne son

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