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la vue d'un Bourbon qui pourrait tout attendre de leur zèle. Ce jour, Monseigneur, serait sûrement le plus beau de ma vie, et je paierais de tout mon sang la certitude de le voir arriver; mais je dois observer à Monsieur que plus la confiance dont il daigne m'honorer est étendue, et plus je sens qu'elle m'impose de devoirs à remplir. Si un zèle ardent et un cœur droit pouvaient satisfaire à la tâche dont me charge V. A. R., je pourrais, sans hésiter, répondre du succès de ses désirs; mais je ne puis ni ne dois lui dissimuler tous les obstacles qu'il y a à vaincre pour organiser, réunir, armer, approvisionner et solder un corps d'armée discipliné, qui puisse recevoir Monsieur et lui donner le temps et les moyens de l'augmenter assez pour faire face victorieusement aux troupes républicaines que les régicides s'empresseront de lui opposer.

« En raison du degré de confiance dont m'honore Monsieur, je me trouverais responsable vis-à-vis de la France entière de l'importante démarche de V. A. R., si, auparavant même de travailler à remplir ses ordres pour lui présenter les moyens d'arriver en Normandie, je ne mettais pas sous ses yeux les inconvénients à craindre, dont Monsieur doit être instruit d'avance, afin qu'il puisse prendre ses mesures en conséquence. Le premier succès de l'arrivée de Monsieur en France me paraissant trop important pour l'engager à suivre l'impulsion de son cœur sans avoir quelques bonnes troupes organisées à sa disposition aussitôt qu'il sera débarqué, c'est à cet objet particulièrement que je dois m'attacher, connaissant aussi bien la valeur momentanée que l'insuffisance permanente des nombreux et tumultueux rassemblements tels que ceux que produirait certainement l'arrivée de Monsieur; il y aurait à craindre que n'étant que l'effet de l'enthousiasme et du zèle, que ces rassemblements sans ordre ni discipline, dénués de tous les moyens de se soutenir contre des troupes aguerries, ne se décourageassent et ne vinssent à se disperser avec la même facilité qu'ils se seraient réunis. Il est donc indispensable de prévoir ces inconvénients, peu difficiles à prévenir si l'on avait beaucoup d'argent, pour que Monsieur puisse remplir ses vues.

« Je puis avoir l'honneur d'assurer Monsieur que je serai parfaitement secondé par les officiers qui ont déjà fait la guerre sous mes ordres en Normandie et par ceux que j'ai choisis pour les joindre; qu'également je puis compter sur les effets du zèle de mes anciens soldats qui avaient contracté l'habitude de servir avec régularité, ainsi que sur ceux de la bonne volonté du plus grand nombre des propriétaires de la province dont le Roi m'a confié le commandement, et que mes relations avec les agents du Roi à Paris m'aideront aussi beaucoup à tirer parti de tous les matériaux que j'ai déjà préparés, si ces messieurs

sont à même de me tenir toutes les promesses qu'ils m'ont faites sur les fonds que le gouvernement anglais leur a accordés pour le service

du Roi.

« Mais, sans l'efficacité de ces promesses, Monseigneur, avec les faibles moyens que je reçois ici pour faire travailler sourdement, sous la surveillance de nos plus cruels ennemis que l'on ne peut endormir qu'avec de l'or, je ne puis espérer qu'un succès bien imparfait. Lorsqu'on est dénué de tout, qu'il faut tout acheter pour armer, équiper, approvisionner et payer des troupes, l'on ne peut se flatter de lever une armée dans trois mois et de la mettre dans le cas d'agir, n'ayant d'assuré pour y parvenir que 1,500 louis par mois et des promesses sur lesquelles je ne sais pas jusqu'à quel point je dois compter; avec de pareils moyens, nous ne pouvons que travailler sans relâche à préparer à Monsieur les moyens d'exécuter son noble projet, sans pouvoir affirmer que nous y parviendrons comme nous le désirons et comme cela serait nécessaire à ses vues. Il est encore une autre observation non moins importante si, à l'époque d'une levée de boucliers, nous n'avons pas une caisse assez bien fournie pour assurer la solde que nous promettrons, nous ne pouvons espérer que des mouvements éphémères qui nous conduiront aux inconvénients de la guerre que nous avons déjà faite. Je prévois cependant qu'une commotion indispensable arrivera, que les partis organisés et préparés en conséquence seront forcés de prendre les armes et que l'on n'aura pas les fonds prêts sur lesquels on aura compté pour les soutenir. Je sais, Monseigneur, que cela ne dépend pas du Roi ni de V. A. R., ni des agents de S. M., ni de nous; mais si nous n'y prenons garde, nous nous trouverons encore engagés dans une guerre civile, sans avoir les moyens d'arriver au but que nous nous proposons, et que (sic) celui de ceux qui nous auront conduits à cette fausse démarche sera seul rempli par la diversion que nous produirons, laquelle serait toute à l'avantage des ennemis de la France, mais non pas à celui des véritables intérêts du Roi 1...

« Ce n'est donc qu'après m'être, non-seulement bien assuré des moyens bien effectifs de la Normandie, mais aussi après avoir pris un aperçu des moyens des autres partis royalistes, que je dois suivre l'ordre de Monsieur pour lui donner le signal d'après lequel il désire se mettre en marche. Si l'on a les moyens que l'on espère, si tous les projets sur lesquels les agents du Roi comptent (sic), il n'est pas douteux que V. A. R.

1 On voit que dans l'émigration et parmi les insurgés, on persistait à se défier des intentions secrètes d'une partie des gouvernements européens; on voit aussi que le sentiment de l'honneur et de l'intérêt national était toujours profond dans ces cœurs, si aigris qu'ils fussent par le malheur, et qu'ils distinguaient entre le gouvernement français et la France.

ne puisse réaliser ses vœux d'une manière aussi efficace pour le salut de la France qu'avantageuse pour la gloire de Monsieur...

« Ne connaissant personne qui soit plus dévoué à la personne de Monsieur que mon père et sur la fidélité duquel je puisse plus exactement compter, un mois après mon départ, il viendra me rejoindre. Je le garderai près de moi jusqu'à l'instant où je croirai que Monsieur peut enfin combler nos vœux en venant combattre, vaincre et pardonner 1 à la tête des fidèles royalistes; et alors mon père aura l'honneur de se rendre auprès de V. A. R. pour lui mettre sous les yeux l'état exact que j'aurai l'honneur de lui envoyer sur la situation des affaires et pour servir de guide à l'Auguste frère de son maître, puisqu'il daigne agréer ses services et son zèle pour être mon interprète auprès de sa per

sonne.

« Avant mon départ, en exécution des ordres de Monsieur, je prendrai avec M. le baron de Roll et M. du Theil toutes les mesures de détail qu'exigeront les circonstances pour faire parvenir à Monsieur des comptes aussi exacts que multipliés, et pour arriver aux moyens de prévenir et de parer les obstacles que nous avons à craindre et ceux qui pourraient inopinément survenir.

« Je supplie V. A. R. d'agréer l'hommage de ma très-humble reconnaissance pour les lettres de commandant en chef des royalistes de basse Normandie qu'elle a daigné m'envoyer. Si j'avais l'honneur d'être connu plus parfaitement de Monsieur relativement à mes prétentions, il eût été persuadé d'avance que je ne ferais aucune objection sur le droit qu'il se réserve de nommer un chef principal dans la haute Normandie, voulant toujours borner mes prétentions à ce qui peut le mieux servir la cause du Roi, et n'ayant jamais cru pouvoir établir une limite au-delà de la Seine, parce que je crois que ce fleuve ne peut jamais, sans inconvénient, partager un commandement militaire dans les circonstances actuelles. En conséquence, les agents du Roi, chargés de fixer les bornes de chaque commandement, et moi, nous avions déjà fixé la limite du pays que je dois diriger, lequel est compris entre la rive gauche de la Seine, Évreux, Mortagne, Alençon, Mayenne, SaintHilaire, Pontorson et la mer; ayant ci-devant partagé ce pays en divisions et ayant placé de mes officiers pour y travailler pendant et depuis la guerre, quelques-uns de ces arrondissements se trouvent s'étendre jusque dans la partie de la haute Normandie, sur la rive gauche de la Seine; mais ayant été amené à céder aux agents du Roi, sans aucune objection de ma part, quelques parties du pays que j'avais fait travailler dans le pays d'Évreux, pour les joindre à un commandement qu'il désirait former pour M. le comte de Bourmont, Monsieur peut 1 Souvenir de la Henriade,

être persuadé de l'empressement que je mettrai à faire passer sous un autre chef les parties de mon commandement qui peuvent se trouver sur la haute Normandie, dès que V. A. R. le croira nécessaire, ayant l'honneur d'assurer Monsieur que le plus ou moins d'étendue de terrain dans mon commandement ne sera jamais pour moi un sujet de réclamation ni un sujet d'envie; mais dans le cas où Monsieur désirerait que je continuasse à diriger, alimenter et organiser les pays ci-dessus désignés, je supplie V. A. R. de le faire savoir aux agents et à moi.

« Je sens trop combien de motifs imposants doivent dans ce moment engager la sagesse de Monsieur à n'accorder des lettres de commandement que d'une manière provisoire, pour avoir pu penser à faire une seule observation à cet égard à M. le baron de Roll; V. A. R. fixant en ce moment sur moi toutes les preuves de confiance pour la bien servir auprès des fidèles Français, Monsieur ne pouvait mieux remplir selon mes désirs le but unique de toutes mes prétentions.

« J'ai suivi les ordres de Monsieur pour les brevets de chevalier de Saint-Louis qu'il a daigné m'envoyer, et remplirai également ses vues relativement aux brevets en blanc signés de lui, dont il veut bien me confier la nomination. J'ose supplier Monsieur d'être aussi persuadé que je me suis conformé à ses intentions dans la conduite avec M. le duc d'Harcourt pour lequel (en observant la mesure de réserve et de discrétion que V. A. R. m'a recommandée vis-à-vis de lui) j'ai toujours eu et j'aurai toujours les égards que je lui dois, non-seulement comme à l'homme ostensiblement investi de la confiance du Roi auprès du ministère britannique, mais aussi comme au gouverneur et commandant de la province dont je me trouve en ce moment chargé par le Roi de la direction des affaires.

<< M. de La Roque est parti avant que j'eusse reçu les derniers paquets de Monsieur. Il emmenait avec lui plusieurs officiers dont j'ai cru devoir lui laisser le choix, et l'ai chargé de porter en Normandie les derniers fonds que j'ai reçus et les instructions dont j'ai l'honneur d'envoyer copie à V. A. R., lesquelles j'ai faites en raison des projets de Monsieur dont il avait chargé le baron de Roll de me faire part, et des moyens que l'on m'a promis de me fournir pour leur exécution... Enies soumettant à Monsieur, j'ose le supplier de me faire passer ses ordres dans le cas où il trouverait quelques articles à y ajouter ou à y retrancher, et j'ose supplier Monsieur de vouloir bien considérer dans ce qu'il en décidera que, n'ayant pour garant des promesses qui m'ont été faites relativement aux fonds que les paroles de MM. le chevalier Duverne et du Theil, d'après lesquels vous m'avez autorisé à prendre mes mesures, elles acquéreraient à mes yeux un plus grand poids si V. A. R. me répond de leur efficacité et daigne me donner l'assurance que les

engagements que je prends dans mes instructions aux royalistes de Normandie ne me feront jamais essuyer le pénible reproche que je leur promets plus que je ne pourrai leur tenir.

« Je n'attends plus maintenant que les fonds nécessaires pour faire partir le vicomte d'Oilliamson, auquel j'ai remis son brevet de major général. Il emmènera avec lui dix-huit ou vingt bons officiers, intelligents, qui ont tous bien fait la guerre et qui seront répartis en Normandie selon l'indication que je lui en donnerai; et quant à moi, je désire partir également accompagné, dès l'instant que j'aurai pu obtenir des ministres les fonds qui leur restent encore en raison de ce qu'ils n'ont promis pour le travail préparatoire...

« J'ai l'honneur de prier également Monsieur d'agréer l'hommage de tous les sentiments de dévouement respectueux que j'aurai toute ma vie pour l'Auguste frère de mon Roi, qui peut avoir des serviteurs plus éclairés et plus habiles, mais qui n'en aura de plus zélé ni de plus fidèle que moi...

Brouillon A. S. (Arch. de Couterne.)

"Louis DE FROTTE. "

Ces observations furent accueillies avec bienveillance et grâce. Monsieur, tout en persistant dans son projet de venir se mettre à la tête des royalistes de l'intérieur, approuvait la ligne de conduite que Frotté se proposait de suivre :

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« J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 4 de ce mois et l'instruction pour les Royalistes qui y étoit jointe. L'une et l'autre ont été lues et examinées avec soin par moi, et je vois avec plaisir que les sentiments que vous exprimés dans votre lettre, ainsy que les sages instructions que vous avés envoié en Normandie, méritent également mon approbation. Mais plus j'ai lieu de me louer des preuves que je vous ai donné de ma confiance, plus je suis impatient de vous voir promptement à portée de remplir mes intentions. J'approuve cependant la prudence qui vous engage à ne pas partir sans être averti des moyens qui peuvent seuls assurer notre succès. J'espère que ces moyens ne tarderont pas à vous être remis et que vous emporterés l'assurance d'un secours plus considérable si vos premiers efforts produisent des succès un peu marquants.

La manière dont vous vous exprimés sur ce qui me concerne augmente encore ma confiance. Souvenés-vous bien seulement qu'en calculant les intérêts de mes fidèles compatriotes, vous êtes sûr de ne jamais vous écarter des miens. C'est la seule base que je puisse vous

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