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mantes mains. Cette scène si touchante ne s'est jamais effacée de mon souvenir, et c'est sous le règne de souverains aussi clémens, aussi sensibles, que nous avons eu à souffrir des fureurs que la plus cruelle tyrannie n'eût pas même excusées; et ce sont des êtres augustes, si bien formés par la divine Providence pour le bonheur des peuples, que nous avons eu la douleur de voir eux-mêmes victimes de ces fureurs aussi insensées qu'elles ont été barbares!

La reine fit parvenir au roi tous les mémoires de M. le duc de Guines, compromis, dans son ambassade en Angleterre, par un secrétaire qui avait joué sur les fonds publics à Londres, pour son propre compte, mais de manière à en faire soupçonner l'ambassadeur. MM. de Vergennes et Turgot, ayant peu de bienveillance pour le duc de Guines ami du duc de Choiseul, n'étaient pas disposés à servir cet ambassadeur. La reine parvint à fixer l'attention particulière du roi sur cette affaire et la justice de Louis XVI fit triompher l'innocence du duc de Guines.

Il existait sans cesse une guerre sourde entre les amis et les partisans de M. de Choiseul, que l'on nommait les Autrichiens, et tout ce qui tenait à MM. d'Aiguillon, de Maurepas, de Vergennes, qui, par la même raison, entretenaient le foyer des intrigues existantes à la cour et dans Paris, contre la reine. De son côté, Marie-Antoinette soutenait ceux qui pouvaient avoir souffert dans cette rixe

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politique; ce fut ce même sentiment qui la décida à demander la révision du procès de MM. de Bellegarde et de Moutier. Le premier, colonel et inspecteur d'artillerie, le second, propriétaire de forges à Saint-Étienne, avaient été condamnés, sous le ministère du duc d'Aiguillon, à vingt ans et un jour de prison, pour avoir réformé, dans les arsenaux de la France, d'après un ordre du duc de Choiseul, un nombre infini de fusils, livrés comme n'ayant plus que la valeur du fer, tandis que la plus grande partie de ces fusils furent, à l'instant même, embarqués et vendus aux Américains, Il paraît que le duc de Choiseul avait fait connaître à la reine comme moyens de défense pour les condamnés les vues politiques qui l'avaient décidé à autoriser cette réforme et cette vente, de la manière dont elle avait été exécutée. Ce qui rendait la cause de MM. de Bellegarde et de Moutier plus défavorable, c'est que l'officier d'artillerie qui avait fait la réforme, en qualité d'inspecteur, se trouvait, par un mariage clandestin, beau-frère du propriétaire des forges acquéreur des armes réformées. Cependant l'innocence des deux prisonniers fut prouvée; ils vinrent à Versailles, avec leurs femmes et leurs enfans, se jeter aux pieds de leur bienfaitrice. Cette scène touchante se passa dans la grande galerie, à la sortie de l'appartement de la reine: elle voulut empêcher les femmes de se mettre à genoux, disant, que la justice seule leur avait été rendue ; qu'elle devait en ce moment même étre félicitée sur

le bonheur le plus réel qui fût attaché à sa position, celui de faire parvenir jusqu'au roi de justes réclamations (1).

Dans toutes les occasions où il fallait exprimer sa pensée en public, malgré la gêne que pouvait éprouver une étrangère, la reine rencontrait toujours le mot précis, noble et touchant. Elle répondait à toutes les harangues, et avait mis de la persévérance à conserver cette habitude puisée à la cour de Marie-Thérèse. Depuis long-temps, les princesses de la maison de Bourbon ne prenaient plus, dans de semblables circonstances, la peine d'articuler la réponse. Madame Adélaïde fit reproche à la reine de n'avoir pas suivi cet usage, l'assurant qu'il suffisait de marmoter quelques mots en simulacre de réponse, et que les harangueurs, très-occupés de ce qu'ils venaient de dire euxmêmes, trouvaient toujours qu'on avait répondu d'une manière parfaite. La reine jugea que la paresse seule avait pu dicter un semblable protocole, et que l'usage adopté de marmoter quelques mots, constatant la nécessité de répondre, il fallait le faire

(1) Il existe une gravure du temps qui représente assez bien cette scène de reconnaissance et de bonté. Ce morceau a pour nous, aujourd'hui, le mérite de reproduire fidèlement les lieux, les costumes du temps, et la ressemblance des principaux personnages. On distingue parmi ceux-ci M. le comte de Provence (Sa Majesté Louis XVIII), madame la comtesse de Provence, M. le comte et madame la comtesse d'Artois, et l'empereur Joseph II.

(Note des édit.)

simplement mais clairement, et le mieux possible. Quelquefois même, prévenue du sujet des harangues, elle écrivait le matin ses réponses, non pour les apprendre par cœur, mais pour fixer les idées ou les sentimens qu'elle voulait y développer.

Le crédit de la comtesse de Polignac augmentait chaque jour; ses amis en profitèrent pour amener des changemens dans le ministère. La disgrâce de M. de Montbarrey, homme sans talens et sans mœurs, fut généralement approuvée; on l'attri- . buait avec raison à la reine; il avait été placé au ministère par M. de Maurepas, et soutenu par sa vieille femme : l'un et l'autre furent, plus que jamais, déchaînés contre la reine et la société Polignac.

La nomination de M. de Ségur au ministère de la guerre, et celle de M. de Castries à celui de la marine, furent entièrement l'ouvrage de cette société. La reine craignait de faire des ministres; sa favorite pleurait souvent quand les hommes de sa société la forçaient d'agir. Les hommes reprochent aux femmes de se mêler d'affaires, et, dans les cours, ce sont eux qui se servent de leur ascendant pour des choses dont elles ne devraient jamais s'occuper.

Le jour où M. de Ségur fut présenté à la reine, à raison de son nouveau poste, elle me dit : « Vous » venez de voir un ministre de ma façon; j'en suis >> bien aise pour le service du roi, car je crois le >> choix fort bon; mais je suis presque fàchée de la » part que j'ai à cette nomination; je m'attire une responsabilité j'étais heureuse de n'en point

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» avoir; et, pour m'en alléger autant que possible, » je viens de promettre à M. de Ségur, et cela sur » ma parole d'honneur, de n'apostiller aucun pla>> cet, et de n'entraver aucune de ses opérations >> par des demandes pour mes protégés.

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La reine avait espéré le rétablissement des finances, lors du premier ministère de M. Necker que son ambition n'avait pas encore entraîné vers des plans étrangers à ses propres talens, et ses vues lui semblaient fort sages. Sachant que M. de Maurepas voulait amener M. Necker à donner sa démission, elle l'engageait alors à patienter jusqu'à la mort d'un vieillard que le roi conservait près de lui, par respect pour son premier choix et par égard pour son grand âge. Elle alla même jusqu'à lui dire que M. de Maurepas était toujours malade, et que l'époque de sa fin ne pouvait être éloignée. M. Necker ne voulut point attendre ce moment; la prédiction de la reine se réalisa: M. de Maurepas termina ses jours à la suite d'un voyage de Fontainebleau, en 1781 (1).

M. Necker s'était retiré; il avait surtout été ou

(1) Louis XVI, dit la Biographie universelle, regretta hautement Maurepas. Dans le temps de sa dernière maladie, il était venu lui faire part lui-même de la naissance de M. le dauphin, l'annoncer à son ami et s'en féliciter avec lui: ce furent ses propres expressions. Le lendemain de ses obsèques, il disait d'un air profondément pénétré : « Ah! je n'entendrai plus les matins mon >> ami au-dessus de ma tête.»-Éloge simple et touchant trop peu mérité par celui qui en était l'objet. »

(Note des édit.)

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