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LIVRE SIXIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

ROBESPIERRE S'ANNONCE.

Robespierre. - A quel moment il se révèle.

Comment la bourgeoisie se sépare du peuple : organisation de la garde nationale; protestation de Robespierre. Son intervention dans les débats sur les droits de pétition et d'affiche. Le club des Jacobins, rival de l'Assemblée; influence croissante de Robespierre dans le club des Jacobins. - Robespierre fait décréter que les membres de l'Assemblée ne seront pas réélus ; violent dépit de Thouret, de le Chapelier, de Desmeuniers, de tout le parti constitutionnel. Discours mélancolique de Duport; il déclare que la Révolution est faite. Robespierre et Duport s'accordent pour demander l'abolition de la peine de mort, mais en vain. Remarquable article de l'auteur des lettres b........ patriotiques sur l'abolition de la peine de mort. - Il calomnie le peuple. - Un orateur populaire et Cazalès sur la terrasse des Feuillants. L'abbé Raynal. - Débats sur le licenciement des officiers ; Robespierre seul debout dans l'Assemblée. Combien il était déjà popuDuport, nommé président du tribunal criminel, refuse, parce que Robespierre est nommé accusateur public. Sortie de Camille Desmoulins contre Duport. Les coalitions d'ouvriers. l'homme de l'heure présente.

laire.

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Robespierre,

Où Mirabeau disparaît, Robespierre se montre.

Et en effet, nous l'allons trouver, dans les grands débats parlementaires qui remplissent le mois de mai, s'imposant à ses adversaires, effaçant ses émules, retenant autour de

son nom l'opinion attentive, et déjà primant dans l'Assemblée, tour à tour irritée et surprise d'un pouvoir qu'elle ne soupçonnait pas.

Souvent, tandis que, roide dans son habit olive, l'œil fixe, le front contracté, et d'une voix aigre qu'accompagnait un geste sec, Robespierre plaidait, à la tribune, la cause du peuple, on avait vu, au milieu des chuchotements et des moqueries, Mirabeau contempler avec une curiosité pensive cet homme au pâle visage, au sourire étrange, dont la physionomie respirait une sorte de douceur vague, en qui tout annonçait la passion de l'ordre, et qui paraissait plein du respect de lui-même, tant il y avait de soin dans sa mise, de gravité dans son attitude et d'apprêt dans sa parole.

Quel était donc ce nouveau-venu sur lequel s'arrêtaient ainsi les pressentiments du génie, et dans la révolution quel rôle sera le sien?

Il demandera justice pour tous, pour tous sans exception; il prêchera le droit.

Et avec lui, pas de compromis : est-ce que la vérité n'est pas une? Qu'aucun parti ne le réclame : il est du parti de sa conviction, cela suffit. Dès son premier pas dans la carrière où il laissera la trace de son sang et un nom maudit, on a pu le surnommer l'Immuable. Simple avocat, les honnêtes gens citaient son intégrité; législateur, les méchants la redoutent. Toujours prêt à défendre le peuple, il ne sait ce que c'est que de le flatter: il a pour cela trop d'orgueil à la fois et trop de vertu. Dans une société en désordre, c'est le culte de la règle qu'il professe. L'anarchie lui fait horreur; la popularité, mendiée par le cynisme des habitudes ou du langage, lui fait pitić; il ne se cache pas de son dédain pour les énergumènes. Et cependant, Fréron l'admire, Hébert le respecte, et il force Marat à le louer 1.

Sa vie est laborieuse, elle est austère; ses mœurs honorent ses principes. D'autres, parmi les tribuns connus, étaleront une opulence suspecte, souperont à la lucur des

1 On le verra dans le courant de ce chapitre.

lustres d'or, s'enivreront de vins exquis et s'endormiront sur le sein des courtisanes: lui, il habite, rue Saintonge, un misérable appartement dont un compagnon de sa jeunesse occupe et paye la moitié 1; il dépense à peine trente sols pour ses repas se rend à pied où son devoir l'appelle, et sur ses honoraires de député, pieusement diminués d'une rente faite à sa sœur, ne trouve pas toujours de quoi s'acheter un habit 4.

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Mais il est des imperfections que notre nature imparfaite couvre volontiers de sa sympathie, il est des faiblesses qui se font adorer, et voilà ce qui manque à Robespierre. Quelque chose d'impénétrable enveloppe son âme. Sa vertu, comme un astre malade, brille sans rayonner. Même sur les lèvres qui d'ordinaire ne s'ouvrent que pour l'exalter, il semble que sa présence arrête les louanges légères et tout sourire familier. En parlant de miséricorde, il fait peur.

Pourtant, à Arras, où il était né, son enfance, on l'assure, avait annoncé beaucoup d'abandon et des goûts charmants. Quoique déjà porté à la méditation sérieuse, il riait d'un rire facile alors, et quelquefois jusqu'aux larmes 5; une volière en ce temps-là était sa république; de bonne heure orphelin, il aimait tendrement son frère, il idolâtrait ses sœurs; après, venaient ses chers oiseaux 6. Plus tard, au sortir du collège de Louis-le-Grand, dont la protection de l'abbé de Saint-Waast lui avait ouvert les portes et où il cut Camille Desmoulins pour condisciple, ses préoccupations de jeune homme se tournaient vers l'amour, elles s'échappaient en rimes galantes; il entrait dans la société des Rosatis,

1 Mémoires de Charlotte de Robespierre sur ses deux frères, p. 413, à la suite du t. II des OEuvres de Maximilien Robespierre, par Laponneraye, Paris, 1840.

2 Révolutions de France et des royaumes, no 78.

8 Ibid.

▲ Voy. à propos de l'habit noir que Robespierre fut obligé d'emprunter pour le deuil de la mort de Franklin, l'Histoire de la Révolution, par Michelet, t. II, chap. vi, p. 323.

5 Mémoires de Charlotte de Robespierre, p. 599, ubi supra.

6 L'anecdote est racontée tout au long dans les Mémoires de sa sœur, p. 391.

célébrait le chantre léger de Vert-Vert sur un ton digne de son héros, et recueillait les couronnes académiques de sa province: que dire encore? Le serment que mademoiselle Deshortis lui avait fait de n'être jamais qu'à lui, ce serment d'amour, trahi pendant l'absence1, le jetait dans une douleur immense et naïve...

Oui, tel avait été Robespierre enfant, tel avait été Robespierre jeune homme. Mais la Révolution s'est avancée, elle l'a saisi, elle l'a façonné pour le besoin qu'elle avait de lui; et le voilà devenu l'incarnation glacée d'un principe, la statue du Droit, statue pensante, mais de marbre. Il aime l'humanité, cependant, il l'aime avec un froid délire, il l'aime jusqu'à vouloir mourir pour elle tout couvert d'opprobre. Mais dans sa tête est désormais le siége de sa sensibilité; là seulement va se passer le drame de son dévouement ne lui mettez pas la main sur le cœur, vous n'y sentiriez pas frémir la vie! Car, les pleurs qu'on voit couler, les gémissements qui frappent l'oreille, les blessures saignantes et tangibles, voilà ce qui appartient aux émotions du cœur ; le cœur ignore les attachements abstraits, il n'est pas logicien, il ne généralise pas. Or, c'est à travers le temps et l'espace, c'est en les embrassant dans leur obscur ensemble et leur masse confuse, que Robespierre écoutera, debout sur des ruines, le cri des souffrances humaines. Aussi ne sera-t-il compris que par les multitudes entassées, et tandis qu'instinctivement elles feront de lui leur idole, tout homme, pris à part, s'écartera de cet être puissant et infortuné, répulsif et sincère. Il aura des séides, mais pas d'amis.

Une preuve que les situations créent les instruments qui leur sont nécessaires, c'est que l'ascendant de Robespierre se révéla juste au moment où l'Assemblée, sacrifiant l'idée du droit à celle du privilége, s'étudiait à consacrer d'une manière définitive, dans l'organisation de la garde nationale, la distinction si injurieusement établie entre les citoyens actifs et les citoyens non actifs.

1 Mémoires de Charlotte de Robespierre, p. 401.

Le comité de constitution avait élaboré à cet égard un long projet, dont Rabaut-Saint-Étienne fut chargé de présenter le rapport. Mais Marat n'attendit point jusque-là pour pousser le cri d'alarme : « Ils ont commencé par exclure provisoirement de la garde nationale les classes indigentes, c'est-à-dire les sept dixièmes du peuple 1. - Les six premiers articles du projet font des citoyens et de leurs fils les soldats du corps législatif, ensuite ceux du monarque, non les soldats de la patrie 2. Quel est leur but? D'armer les riches contre les pauvres laissés sans armes 3. Quoique l'article xvi permette des compagnies de 102 hommes dans les grandes villes et que l'article iv en fixe le nombre à 54, les conditions exigées par les articles xiv, xv et xxiv, le réduisent nécessairement à 45 ; or, chaque compagnie ayant un capitaine, un lieutenant, deux sous-lieutenants, deux sergents et quatre caporaux, le nombre des officiers formera le quart de l'armée citoyenne, disposition dont aucune troupe du monde n'offre d'exemple, et qui a pour but d'asservir les soldats par les officiers, toujours vendus à leurs chefs, comme ceux-ci le sont à la cour1. — L'article xix attribue aux gardes nationaux l'élection de leurs officiers; mais pourquoi l'article xxII remet-il aux capitaines, lieutenants, sous-lieutenants et sergents la nomination des membres de l'état-major des bataillons? Et pourquoi ceux-ci sont-ils seuls appelés à choisir les membres de l'état-major des légions? Et pourquoi des officiers d'état-major 3? — Au côté gauche de l'habit, d'après l'article xxvi, sur la poitrine, sera un médaillon écarlate, contenant ces mots circulairement écrits en lettres blanches Constitution, Liberté, Égalité, et dans le centre le mot Veillez! Mais la constitution a tué la liberté 6. » A

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