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Que serait-il arrivé s'il eût vécu? Question posée mille fois, et bien vaine ! Dans le drame du temps, chacun a son rôle, tracé d'avance par le grand auteur mystérieux. Or, qu'il soit illustre ou non, vêtu de pourpre ou couvert de guenilles, quand l'acteur s'en va, c'est qu'il n'avait plus rien à faire sur la scène, et la preuve que son rôle est fini, c'est sa mort. La Révolution, d'ailleurs, jusqu'à ce qu'elle eût atteint le dernier terme de son développement, se trouvait avoir quelque chose d'évidemment indomptable; elle allait à son dénoûment, en vertu d'une logique contre laquelle il n'y avait rien de possible; et c'est ce que Robespierre luimême sembla ne pas bien comprendre, lorsque, par allusion à un mot de Mirabeau agonisant, il s'écria: Achille est mort, Troie ne sera pas prise 1. Comme si le sort de Troie, à cette époque, eùt pu dépendre de la vie d'Achille! Non, non : tout Mirabeau qu'il était, Mirabeau n'aurait ni arrêté ni troublé la Révolution dans sa course fatidique. Que ses aptitudes dominantes fussent d'un homme d'État, et qu'en lui l'orateur au repos cût pu se montrer sous l'aspect d'un Richelieu, il est permis de le supposer; et cependant, quand on lit sa correspondance secrète avec la cour, on est frappé de son impuissance. A chaque pas il hésite; ses contradictions sont palpables; ses conseils manquent de portée autant que de grandeur; l'indigence de ses combinaisons est manifeste, et si, parmi les divers moyens de salut qu'il propose, vous cherchez les vues d'un Richelieu, vous ne trouvez que les ruses vulgaires d'un capucin Joseph. Et luimême il ne se faisait point illusion à cet égard, lui-même il n'ignorait pas que la cour, en l'achetant, lui avait donné à combattre une force bien supérieure à la sienne : on le devine aux cris de découragement que, de loin en loin, sa situation lui arrache, et, plus encore, à ce perpétuel besoin qu'il a de se rendre la nation favorable, de la flatter, de s'appuyer sur elle... pour la trahir. Mais quoi! la Révolution n'était-elle pas, elle aussi, environnée de périls? N'apparais

1 Révolutions de France et de Brabant, no 72.

RÉVOLUTION FRANÇAISE. 5.

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sait-elle pas déjà flottant, dans un frêle esquif, sur une mer agitée? Sans doute, et qu'importe? Comme César, plus nécessairement que César, elle avait ses destinées à accomplir, et au nautonier, entre les flots de l'abîme soulevés et le ciel en feu, au nautonier saisi d'épouvante, elle avait certes le droit de dire : « Va, ne crains rien tu portes le peuple et sa fortune! »

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CHAPITRE IX.

LA FAYETTE DÉCLINE.

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Les brefs du

Jeune fille

Puissance de la Fayette minée par Marat et Fréron. Polémique entre Marat et Camille Desmoulins. Ils se réunissent néanmoins contre la Fayette. Portée de ces attaques. — Troubles religieux. pape. Le mannequin du pape promené sur des ànes. fouettée sur les marches d'une église. - Louis XVI écrit secrètement à l'évêque de Clermont pour savoir s'il peut faire ses pâques. Réponse de l'évêque. Communion du roi aux mains d'un prêtre réfractaire. Soulèvement de l'opinion. Le club des Cordeliers dénonce Louis XVI à Ja nation. Projet d'un voyage à Saint-Cloud. - Catilinaire de Fréron.— Le peuple s'oppose violemment au départ de la famille royale.—La Fayette désobéi par la garde nationale. - Adresse au roi, rédigée par Kersaint et Danton. Louis XVI à l'Assemblée. - Imprudente duplicité de la cour. Comment la Fayette reprend sa démission. Serment d'obéissance aveugle au chef de la bourgeoisie armée; énergique protestation de Dubois-Crancé et de Girardin (d'Ermenonville). ---Déclin de la popularité de la Fayette.

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La Fayette, on l'a vu, était le seul homme dont Mirabeau eût envié la popularité, le seul dont il eût craint la puissance. Et en effet, depuis le commencement de la révolution la Fayette exerçait un pouvoir incomparable. Chef de la bourgeoisic parisienne enrégimentée et armée, il la faisait mouvoir d'un signe; toutes les gardes nationales du royaume obéissaient à son impulsion; le peuple le respectait; la municipalité tenait à lui comme le corps tient au bras, et Bailly se sentait heureux d'être son compère; chargé de veiller sur les jours du roi et en même temps d'observer ses démarches, il avait rempli de ses gardes l'intérieur des Tuileries, dont l'accès lui était ouvert à toute heure; à l'Assemblée, sa pa

role avait quelque chose de l'autorité d'un commandement, et son vote le poids d'une épée; en un mot, la Révolution semblait toujours à la veille de recevoir de lui son mot d'ordre, et le roi s'estimait son prisonnier. De là mille appréhensions en sens divers. Prenez garde à Cromwell! disaient les uns. Prenez garde à Monk! disaient les autres; et Camille Desmoulins, désespéré, s'écriait : « Paris, à bien meilleur droit que la ville des États-Unis, pourrait s'appeler Fayetteville1. »

Mirabeau mort, il était naturel que la Fayette s'attendît à paraître plus grand. Marat en eut le frisson, et son effroi se changea aussitôt en rage. Il avait trouvé dans Fréron un auxiliaire dont les fureurs, pour être déclamatoires et factices, n'en agitaient pas moins les faubourgs. Dans des lettres qu'il se faisait adresser et qu'il accompagnait de frénétiques commentaires, Fréron enregistrait chaque matin la prétendue preuve des noirs complots ourdis par la Fayette". Rien de moins concluant que les faits dénoncés par l'Orateur du peuple; mais du SOMMAIRE de chaque feuille se détachaient en gros caractères des titres propres à frapper vivement l'esprit: Dénonciation des nouveaux acles tyranniques de Bailly et de Mottié. La Fayette et Bailly absolument démasqués, etc..., etc... Ce qu'il entend dire sans cesse, le peuple finit par le croire. D'ailleurs, Marat savait joindre à ses calomnies des accusations fondées qui donnaient aux premières une vraisemblance sinistre.

Toujours est-il que l'astre de la Fayette commença justcment de pâlir au moment où celui de Mirabeau venait de se coucher pour jamais. La section du Théâtre-Français ayant demandé la destitution du général, quatorze sections

1 Révolutions de France et des royaumes qui, demandant une assemblée nationale et arborant une cocarde tricolore, mériteront une place dans les fastes de la liberté. - C'est le titre qu'à partir du no 73, Camille Desmoulins substitua à celui de Révolutions de France et de Brabant.

2 Voyez, par exemple, dans le no 48 de l'Orateur du peuple, la lettre signée Monselet fils.

Ibid., no 25.

4 Ibid., no 52.

exprimèrent le vœu qu'on en délibérât, et le bataillon des Champs-Élysées refusa de le reconnaître pour commandant 1. Sans être décisifs, ces symptômes étaient graves; mais cela ne répondait ni aux inquiétudes de Marat, ni aux exigences de sa haine. Parce qu'une dénonciation lancée contre la Fayette par un certain Ruttcau était allée s'engloutir dans le comité des recherches, parce qu'on ne se hâtait pas de destituer la Fayette, parce qu'on ne le déclarait pas sans plus tarder traître à la patrie, Marat s'écria: « O Parisiens, vous êtes si ignares, si stupides, si présomptueux, si lâches, que c'est folie d'entreprendre de vous retirer de l'abîme. » Et, menaçant le peuple de l'abandonner, il parla d'aller prêcher chez une nation moins corrompue l'apostolat de la liberté 2.

La menace était simulée. Camille Desmoulins la prit au sérieux et écrivit : « Marat est sans contredit celui de tous les journalistes qui a le mieux servi la Révolution. L'Ami du peuple va se déshonorer en désertant le champ de bataille. Il est bien vrai que son plan de conduire le peuple jusqu'au but, en l'emportant bien au delà, ne lui a pas réussi; cependant, ces trois bataillons qui voulaient, il n'y a pas longtemps, promener dans Paris son buste ceint de lauriers, lui prouvent qu'on rend justice à son courage. »

Qui le croirait? A ces éloges, l'intraitable Marat répondit par un torrent d'injures, ce qui lui attira de la part de son compagnon d'armes cette réplique, chef-d'œuvre de finesse, de modération ironique et de dignité cruelle : « Marat, tu écris dans un souterrain où l'air ambiant n'est pas propre à donner des idées gaies et peut faire un Timon d'un Vadé. Tu as raison de prendre sur moi le pas de l'ancienneté et de m'appeler dédaigneusement jeune homme, puisqu'il y a vingt-quatre ans que Voltaire s'est moqué de toi; de m'appeler injuste, puisque j'ai dit que tu étais celui des journa

1 Révolutions de France et des royaumes, etc., no 73.

Ibid. Une faute d'impression - apostat pour apostolat - s'était glissée dans la citation faite par Camille Desmoulins de l'Ami du peuple. 3 Révolutions de France et des royaumes, etc., no 73.

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