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grands avantages. Le premier, c'est que nos périls ne sont pas égaux. Je risque bien plus à déchoir de votre bienveil lance que lui à ne pas triompher dans son accusation. Je risque, moi.... Mais je dois éviter toute parole sinistre en commençant ce discours. Lui, au contraire, il n'a rien à perdre, s'il perd sa cause. Le second avantage, c'est qu'il est dans la nature de l'homme d'écouter avec plaisir l'accusation et l'injure, et de ne supporter qu'avec peine l'apologie et l'éloge. Ce qui est fait pour plaire était donc le partage de mon rival; ce qui déplaît presque généralement est maintenant le mien. Si, d'un côté, par un sentiment de crainte, je n'ose vous entretenir de mes actions, je paraîtrai n'avoir pu détruire les reproches de mon adversaire, ni établir mes droits à la récompense qu'il voudrait Ine ravir; de l'autre, si j'entre dans les détails de ma vie publique et privée, je serai forcé de parler souvent de moi. Je le ferai du moins avec la plus grande réserve; et ce que la nature de ma cause m'obligera de dire, il est juste de l'imputer à celui qui a rendu ma justification nécessaire. >>

Il y a là presque autant de fautes que de lignes : et d'abord, quelle maladresse de débuter par une phrase coupée, par une incise, dans un discours de si grand appareil, dans un exorde, où il importe surtout de captiver l'attention en la suspendant! Si Démosthènes, dans une semblable occasion, se fût avisé de finir sa phrase, et une phrase si commune, à la première ligne, les Athéniens, qui étaient connaisseurs, se seraient mis à rire. Ensuite, quelle profusion de mots oiseux, de phrases redondantes! Les deux parties, l'une et l'autre partie; déposer toute prévention, et accorder une faveur égale, comme s'il s'agissait de faveur........ Je leur demande... je leur demande encore, etc. Je risque bien plus ; je risque, moi, etc.; et puis la froideur et l'inconvenance des expressions! Je dois éviter toute parole sinistre en commençant ce discours.... Il y a dans le grec, je veux, ce qui n'est pas la même chose. Ce discours est bien dans le texte, vou λdyou; mais selon le génie de notre langue, le mot de discours convient peu dans une affaire criminelle. Un homme si gravement accusé ne doit ni songer ni avertir qu'il fait un discours. Mon rival est encore plus déplacé. Démosthènes est bien loin de donner nulle part à Eschine un titre si honorable; il l'appelle son ennemi, son adversaire, son calomniateur. Il ne dit pas non plus que l'on supporte avec peine l'apologie; ce qui n'est pas vrai il dit qu'on entend avec peine ceux qui se louent eux-mêmes ce qui est fort différent. Je laisse de côté beaucoup d'autres fautes dans ce morceau, qui d'ailleurs pèche encore davantage par ce qui n'y est pas : et, sans prétendre égaler l'original, voici, ce me semble, comme on pouvait le rendre, et même en se tenant beaucoup plus près de lui :

« Je commence par demander aux dieux immortels qu'ils vous inspirent à mon égard, 6 Athéniens! les mêmes dispositions où j'ai toujours été pour vous et pour l'État; qu'ils vous persuadent, ce qui est d'accord avec votre intérêt, votre équité, votre gloire, de ne pas prendre conseil de mon adversaire pour régler l'ordre de ma défense. Rien ne serait plus injuste et plus contraire au serment que vous avez prêté d'entendre également les deux parties, ce qui ne signifie pas seulement que vous ne devez apporter ici ni préjugé, ni faveur, mais que vous devez permettre à l'accusé d'établir à son gré ses moyens de justification. Eschine a déjà, dans cette cause, assez d'avantages sur moi; oui, Athéniens, et deux surtout bien grands. D'abord, nos risques ne sont pas égaux : s'il ne gagne pas sa cause, il ne perd rien; et moi, si je perds votre bienveillance.... Mais non, il ne sortira pas de ma bouche une parole sinistre au moment où je commence à vous parler. Un autre avantage qu'il a sur moi, c'est qu'il n'est que trop naturel d'écouter volontiers l'accusation et le blâme, et de n'entendre qu'avec peine ceux qui sont forcés de dire du bien d'eux-mêmes. Ainsi donc Eschine a pour lui tout ce qui flatte la plupart des hommes; il m'a laissé ce qui leur déplaît et les blesse. Si, dans cette crainte, je me tais sur les actions de ma vie publique, je paraîtrai me justifier mal, je ne serai plus celui que vous avez jugé digne de récompense. Si je m'étends sur ce que j'ai fait pour le service de l'État, je serai dans la nécessité de parler souvent de moi-même. Je le ferai du moins avec toute la réserve dont je suis capable; et ce que je serai obligé de dire, ô Athéniens! imputez-le à celui qui m'a réduit à me défendre. »

Une chose dont l'abbé Auger ne paraît pas se douter, c'est que l'éloquence a ses chevilles comme la poésie, et qu'un mot de trop ou mal placé gâte une phrase ainsi qu'un vers. Un style ferme, tel que celui de Démosthènes, n'admet rien d'inutile, rien dé languissant. Son traducteur n'avait pas d'ailleurs étudié sa propre langue autant que les langues anciennes; il la savait fort médiocrement, et y faisait des fautes de toute espèce. Il partit en Arcadie. C'est un latinisme: In Arcadiam profectus est. On dit en français : il partit pour l'Arcadie. · IL le poursuit en crime. Ceci n'est d'aucune langue. On poursuit quelqu'un en réparation d'un crime, on le poursuit au criminel, etc.

Ses idées générales manquent quelquefois de justesse. Par exemple, il ne reconnaît d'éloquence proprement dite que celle qu'on appelle délibérative ou judiciaire; cela n'est pas exact. S'il se contentait de dire que cette éloquence est la première de toutes, il aurait raison, parce qu'en effet c'est celle qui, ayant pour objet immédiat une victoire à remporter, c'est-à-dire des juges à convaincre, une assemblée à persuader, demande de plus grands efforts, exige toutes les ressources de l'esprit et de l'imagination, tous les mouvements de l'âme, toutes

les forces du raisonnement. Mais d'abord, de ce qu'un genre d'éloquence est au premier rang, il ne s'ensuit pas qu'il soit le seul. C'est comme si l'on disait que la poésie dramatiqué est la seule véritable, parce que des juges renommés, à compter depuis Aristote, l'ont regardée comme la plus difficile, comme celle qui renferme le plus de sortes d'esprit et de talent; et pourtant l'épopée, l'ode, la satire, l'épître, etc. sont aussi de la vraie poésie : quelquesuns même, avec quelques raisons, mettent l'épopée au-dessus de la tragédie. On aurait de la peine à nous faire comprendre que Bossuet et Massillon ne soient pas des orateurs. Ils ont travaillé dans le genre démonstratif, que tous les anciens ont classé parmi ceux de l'éloquence. Il y a plus, celle qui n'est pas oratoire, c'est-à-dire qui ne comporte pas1 le débit public et la déclamation, n'en est pas moins aussi une éloquence très-réelle, de l'aveu de ces mêmes anciens qui la demandaient dans tous les genres d'écrire où elle peut entrer, comme, par exemple, dans l'histoire. Qu'est-ce qu'un historien qui ne sera pas éloquent? dit Cicéron. Ainsi, Rousseau est regardé universellement comme un écrivain éloquent dans sa philosophie et dans ses fictions romanesques et

passionnées, quoiqu'il ne soit pas un orateur, et

qu'il n'eût même aucun des moyens naturels nécessaires pour parler en public. Les anciens admet taient, comme nous, cette distinction, puisqu'on opposait à l'éloquence de Cicéron celle de Sénèque, qui n'a écrit que des Traités de philosophie.

Après Isocrate et Démosthènes, qu'Auger traduisit en entier, il nous donna deux volumes de traductions de quelques plaidoyers de Cicéron, deux de discours tirés des historiens grecs, et cinq d'homélies des Pères de l'Église. Toutes ces différentes versions ont le même caractère et les mêmes défauts. Je dirai un mot des orateurs de l'Église grecque. C'étaient, sans contredit, des hommes d'un grand talent: saint Chrysostome et saint Basile sont les plus célèbres, et le premier est certainement supérieur à tous les autres. Dans le sermon qu'il prononça en faveur d'Eutrope, réfugié auprès de l'autel, et dans celui qu'il prête à Flavien pour fléchir Théodose, il règne un pathétique vrai, une abondance de sentiments nobles, que l'on peut comparer aux harangues immortelles pour Ligarius et pour Marcellus. Ces deux morceaux de saint Chrysostôme sont certainement des chefs-d'œuvre de l'éloquence chrétienne dans les Pères grecs. La critique peut y relever quelques longueurs. La mesure, et non le génie, manque à ces grands ora

Orateur, orator, vient d'orure, qui signifie proprement parler, du mot os, oris, bouche.

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FRAGMENTS. Sur une traduction des Poésies d'Ossian, par M. LETOURNEUR.

l'un de nos meilleurs recueils de ce genre, sont les Les auteurs de la Gazette littéraire de l'Europe, premiers qui nous aient fait connaître les poëmes d'Ossian*, sous le nom de Poésies erses, quoique M. le Tourneur ne daigne pas même en dire un légante de plusieurs morceaux de ces chants des mot. Ils donnèrent une traduction aussi fidèle qu'èbardes, composés en langue gallique, qui est encore celle des peuples qui habitent les montagnes du nord de l'Écosse, l'ancienne Calédonie, limitrophe des possessions romaines dans la Grandebardes écossais, ne paraissent pas avoir jamais été Bretagne. Les poëmes d'Ossian, le plus célèbre des écrits d'original; ils se sont conservés de la manière la plus honorable pour tout genre de poëme, c'està-dire, dans la mémoire des hommes : on les chante encore en Écosse, quoique depuis longtemps il n'y ait plus de bardes; et c'est sur cette traduction orale que M. Macpherson les a recueillis et les a traduits en anglais. En France, ils ont été traduits sur la version anglaise. C'est un monument curieux, qui sert à faire connaître ce que peut être la poésie chez une nation simple et guerrière. On y remarque une répétition continuelle des mêmes pensées et des mêmes images, toutes empruntées des qualités physiques du climat et du pays; de fréquentes idées du retour et de l'apparition des âmes, idées communes à presque toutes les nations sauvages, et bien plus puissantes sur l'homme de la nature que sur l'homme de la société ; l'expression des sentiments qui tiennent au courage militaire, la générosité, l'amitié, enfin l'amour, tel qu'il est dans l'extrême simplicité des mœurs, ne sachant ni rougir, ni se cacher, et susceptible de cet enthousiasme qui conduit à l'héroïsme.

Le traducteur, dans un discours préliminaire, composé en grande partie, comme il le dit luimême, des dissertations anglaises de M. Macpherson, donne des notions instructives sur les anciens Calédoniens et sur leurs bardes: on y trouve des rapports marqués avec la mythologie des Grecs. << Les nuages étaient, suivant l'opinion des Calédoniens,

* Voyez le Cours de Littérature française de M. Villemain, tableau du dix-huitième siècle, u part. vio leç.

raissent analogues à la nature d'un pays reculé et nébuleux, où les vapeurs des montagnes, le bruit monotone de la mer et les vents sifflant dans les rochers, donnent aux esprits une tristesse habituelle et réfléchissante, en ne donnant aux sens que des impressions lugubres. C'est toujours aux mânes, aux esprits, que s'adressent les héros des poëmes d'Ossian, dans la douleur ou dans la joie. Écoutez Cu

le séjour des âmes après le trépas. Ceux qui avalent été,
vaillants et vertueux étaient reçus avec joie dans le palais
aérien de leurs pères 1; mais les méchants et les barba-
res étaient exclus de la demeure des héros, et condamnés
à errer sur les vents. Il y avait même différentes places
dans le palais des nuages, et on en obtenait une plus ou
moins élevée, à proportion de son mérite et de sa bra-
voure; opinion qui ne contribuait pas peu à exciter l'ému-
lation des guerriers. L'âme conservait dans les airs les
mêmes goûts, les mêmes passions qu'elle avait eus pen-chullin après sa défaite :
dant sa vie. L'ombre d'un guerrier conduisait encore des
armées fantastiques, les rangeait en bataille, livrait des
combats dans l'espace. S'il avait aimé la chasse, il pour-
suivait des sangliers de nuages, monté sur un coursier
de vapeurs. En un mot, le bonheur dont on jouissait dans
le palais aérien était de se livrer éternellement aux mêmes
plaisirs qu'on avait goûtés pendant la vie.... Jamais héros
ne pouvait entrer dans le palais aérien de ses pères si les
bardes n'avaient chanté son hymne funèbre.... Si on ou-
bliait cette cérémonie, l'âme restait enveloppée dans les
brouillards du lac Légo.

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On retrouve là plusieurs des idées répandues dans le sixième livre de l'Énéide, celle des âmes condamnées à errer sur les bords du Styx, jusqu'à ce qu'on eût donné la sépulture à leurs corps; celle des ombres occupées des mêmes choses qu'elles avaient coutume de faire pendant la vie; idée que ce fou de Scarron a rendue assez plaisamment dans sa parodie burlesque de l'Enéide :

J'aperçus l'ombre d'un cocher
Qui, tenant l'ombre d'une brosse,
En frottait l'ombre d'un carrosse.

« Quand un Calédonien était sur le point d'exécuter quelque grande entreprise, les ombres de ses pères des cendaient de leur nuage pour lui en prédire le bon ou le mauvais succès.... Chaque homme avait son ombre tutélaire, qui le servait depuis sa naissance. »>

« Ombre du solitaire Éromla, esprits des héros qui ne sont plus, soyez désormais les compagnons de Cuchullin, et parlez-lui quelquefois dans la grotte où il va chercher sa douleur. Non, je ne serai plus renommé parmi les guerriers célèbres, J'ai brillé comme un rayon de lumière; mais j'ai passé comme lui: je m'évanouis comme la vapeur que dissipent les vents du matin, lorsqu'il vient éclairer les collines. Comul, ne me parle plus d'armes ni de combats; ma gloire est morte. J'exhalerai mes gémissements sur les vents, jusqu'à ce que la trace de mes pas s'efface sur la terre. Et toi, belle et tendre Bragila, pleuro la perte de ma renommée, car jamais je ne retournerai vers toi; je suis vaincu. »

Les sentiments de la nature sont quelquefois exprimés avec une éloquence simple et touchante, surtout lorsque le barde a quelque occasion de faire un retour sur lui-même. Fingal, son père, est le héros de presque tous ses chants, et ce caractère en effet est vraiment héroïque il joint la générosité envers les vaincus, la pitié envers les faibles, et l'intrépidité dans les périls. Ces vertus morales, réunies aux vertus guerrières, sont célébrées sans cesse dans tous les chants des bardes; et ils n'estiment point la bravoure, si elle n'est accompagnée de la bonté. Ces mœurs, très-différentes de celles des héros d'Homère, sont très-remarquables dans des temps reculés et barbares, et chez un peuple beau

Voilà l'idée des génies protecteurs, qui est de coup plus près de la nature que de la police des toute antiquité.

« C'était aux esprits que les Calédoniens attribuaient en général la plupart des effets naturels. L'écho des rochers frappait-il leurs oreilles, c'était l'esprit de la montagne qui se plaisait à répéter les sons qu'il entendait; ce bruit sourd et lugubre qui précède la tempête, bien connu de ceux qui ont habité un pays de montagnes, c'était le rugissement de l'esprit de la colline. Si le vent faisait résonner les harpes des bardes, ce son était produit par le tact léger des ombres, qui prédisaient ainsi la mort d'un personnage illustre et rarement un chef ou un roi perdait la vie sans que les harpes des bardes attachés à sa famille rendissent ce son prophétique.

Ces opinions fabuleuses reviennent à tout moment dans les poésies d'Ossian: il y règne une sorte d'imagination mélancolique, dont les illusions pa

N. B. Les mots marqués en italique le sont aussi dans l'ouvrage, comme des dénominations singulières.

grandes sociétés qu'on nomme États. Il est d'ailleurs difficile de croire que ces vertus ne fussent pas réellement en honneur chez ces montagnards, puisque leurs bardes les célébraient. Quoi qu'il en soit, voici un morceau où Ossian parle de son père Fingal avec une sensibilité qui ferait honneur au meilleur poëte. Il vient de retracer les regrets de Fingal sur la mort de..., le plus jeune de ses fils. Il ajoute :

« Quelle doit donc être la douleur d'Ossian, depuis que toi-même tu n'es plus, ô mon père! Je n'entends plus le son de ta voix; mes yeux ne peuvent plus te voir. Souvent, dans ma mélancolie solitaire et sombre, je vais m'asseoir auprès de ta tombe, et je me console en la touchant de mes tremblantes mains. Quelquefois je crois entendre ta voix; mais ce n'est point ta voix, ce n'est que le murmure des vents du désert. Il y a longtemps que tu es endormi pour toujours, o Fingal! arbitre suprême des combats.

Nous citerons encore la chanson que le poëte met dans la bouche de la jeune Colma, lorsqu'elle attend Salgar son amant pendant la nuit. C'est une espèce d'églogue, que l'on peut comparer à celles de Théocrite.

« Il est nuit je suis délaissée sur cette colline où se rassemblent les orages. J'entends gronder les vents dans les flancs de la montagne; le torrent, enflé par la pluie, rugit le long du rocher. Je ne vois point d'asile où je puisse me mettre à l'abri. Hélas! je suis seule et délaissée. Lèvetoi, lune, sors du sein des montagnes; étoiles de la nuit, paraissez. Quelque lumière bienfaisante ne me guidera-telle pas vers les lieux où est mon amant? Sans doute il se repose en quelque lieu solitaire des fatigues de la chasse, son arc détendu à ses côtés, et ses chiens haletants autour de lui. Hélas! il faudra donc que je passe la nuit abandonnée sur cette colline! Le bruit des vents et des torrents redouble encore, et je ne puis entendre la voix de mon amant. Pourquoi mon fidèle Salgar tarde-t-il si longtemps malgré sa promesse? Voici le rocher, l'arbre et le ruisseau où tu m'avais promis de revenir avant la nuit. Ah! mon cher Salgar, où es-tu? Pour toi j'ai quitté mon frère; pour toi j'ai fui mon père : depuis longtemps nos deux fa milles sont ennemies. Mais nous, ô mon cher Salgar! nous ne sommes pas ennemis. Vents, cessez un instant; torrents, apaisez-vous, afin que je fasse entendre ma voix à mon amant. Salgar! Salgar! c'est moi qui t'appelle, Salgar : ici est l'arbre, ici est le rocher, ici t'attend Colma. Pourquoi tardes-tu? >>

Le contraste des mœurs de ces guerriers calédoniens avec celles des héros d'Homère et de Virgile, que nous avons déjà indiqué, nous a frappés, surtout dans le poëme intitulé Lathmor, où deux amis, Ossian fils de Fingal, et Gaul fils de Morni, attaquent seuls, pendant la nuit, l'armée de Lathmor. C'est précisément l'histoire d'Euryale et de Nisus; et Ossian et Gaul sont unis de la même amitié qui est représentée avec des couleurs si touchantes dans les deux héros de Virgile. Ce n'est pas que l'on veuille comparer cet admirable épisode, chef-d'œuvre d'imagination, de sensibilité et de poésie, conduite et terminée avec tant d'intérêt, aux chants sans art du barde gallique. Dans ce dernier récit, l'attaque nocturne ne produit rien que du carnage, et l'on sait combien l'amitié et la tendresse maternelle jouent un rôle pathétique dans le morceau du poëte latin. La ressemblance consiste dans le projet que forment deux guerriers d'attaquer de nuit le camp des ennemis; mais observez la différence. Dans Virgile, ils égorgent tout ce qu'ils trouvent endormi, jusqu'au moment où ils craignent d'être surpris. Voici le récit que fait Ossian lui-même :

« Nous nous élançons à travers les ténèbres de la nuit. Un torrent tournait autour de l'armée ennemie, et roulait entre des arbres dont l'écho répétait son murmure. Nous

arrivons sur ses bords, et nous voyons les emmemis endormis, leurs feux éteints, leurs gardes éloignés. Je m'ap-. puyais déjà sur ma lance pour franchir le torrent, quand Gaul, me prenant par le bras, me parla en héros : Le fils de Fingal veut-il fondre sur un ennemi qui dort? Veut-il ressembler au vent furieux qui déracine en secret les jeunes arbres au milieu de la nuit? Ce n'est pas ainsi que Fingal a immortalisé son nom; ce n'est pas pour de tels exploits que la gloire couronne les cheveux blancs de Morni. Frappe, Ossian, frappe le bouclier des combats. Que tous ces ennemis se réveillent, qu'ils viennent attaquer Gaul. C'est sa première bataille; il veut essayer la force de son bras. Ce discours me transporta, et me fit verser des larmes de joie. Oui, fils de Morni, l'ennemi viendra te combattre en face. Ta gloire va s'élever jusqu'aux cieux. Mais ne te laisse point emporter trop loin, ô mon héros! Que les éclairs de ton épée étincellent toujours près d'Ossian! Restons unis dans le carnage, et que nos bras frappent ensemblent. Gaul, vois-tu ce rocher dont les flancs obscurs sont faiblement éclairés par la lueur des étoiles? Si nous n'avons pas l'avantage, appuyons-nous contre ce rocher, et faisons face à l'ennemi. Il craindra d'approcher de nos lances, car la mort est dans nos mains. Je frappe trois fois mon bouclier. L'ennemi tressaille et se lève. Nous nous précipitons à l'instant. Ils fuient en foule au travers des bruyères; ils crurent que c'était Fingal lui-même : la force, le courage, les abandonnent, etc. »

Ce n'est pas là la maxime: Dolus an virtus, quis in hoste requirat? On ne peut avoir un sentiment plus délicat de la vraie gloire, et il faut avouer que, si l'épisode de Virgile est bien plus intéressant, les héros calédoniens sont bien plus généreux. Observons que cette générosité n'est pas moindre chez leurs ennemis; car, au point du jour, l'armée de Lathmor se rassemble sur une hauteur, les deux guerriers se retirent, et l'on conseille à Lathmor de descendre de la colline avec les siens, et de fondre sur eux. Ils ne sont que deux, répond Lathmor, et il s'avance seul pour défier Ossian au combat. Ce mot est bien beau, et c'est là sans doute du véritable héroïsme.

Tel est le genre de beautés qui caractérise les poésies galliques; mais il ne faut pas en lire plusieurs morceaux de suite. On sent alors tous les défauts d'une composition brute point d'idées, point de variété, point de transitions, des images faibles et monotones, et point de tableaux. On est fatigué surtout de la répétition fastidieuse des mêmes tour

nures.

J'ai vu leur chef: je l'ai vu haut comme un rocher de glace. Sa lance ressemble à ce vieux sapin. Son bouclier est aussi grand que la lune au bord de l'horizon. Ses troupes roulaient comme de sombres nuages autour de lui.... Ses flancs sont comme l'écume de la mer agitée.... La tempête s'ar

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réte sur les noires bruyères, semblable à un brouil- | confondre la raison. Les dieux des Grecs, les dieux lard d'automne.... Ils sont terribles comme ce flot d'Homère et de Virgile, étaient sans doute des êtres menaçant qui roule sur la côte.... Fingal balaye supérieurs à l'homme, mais qui participaient beaules guerriers, comme les vents de la tempête dis- coup de l'humanité. C'étaient des êtres mixtes, persent la bruyère.... Le bruit des armes plait à aussi favorables à l'imagination d'un poëte que mon oreille; il me plait comme le bruit du tonnerre contraires à la raison de la philosophie. Ils étaient avant les douces pluies du printemps.... Mes guer- corporels, mais sans les infirmités du corps, et riers s'avancent brillants comme le rayon du soleil pouvaient, quand ils le voulaient, changer ou déavant l'orage, etc. etc. Voilà les phrases que l'on pouiller leur forme extérieure. Ils pouvaient être trouve accumulées les unes sur les autres à toutes blessés; mais le dictame était un remède divin et les pages. M. le Tourneur, qui a retranché de ces infaillible, réservé pour leurs blessures. Ils se comennuyeuses comparaisons, avoue qu'il en reste en- battaient les uns les autres. Ils pouvaient être vaincore beaucoup trop pour tout lecteur qui voudra queurs ou vaincus. Ils avaient les passions des absolument que les montagnes d'Écosse ressem- hommes, et cependant ils étaient toujours prêts à blent à un coteau fleuri de la France, et le siècle punir le crime et à récompenser la vertu. Chacun d'Ossian au siècle de M. de Voltaire. Un tel lec- d'eux avait une certaine mesure de pouvoir qu'un teur serait bien peu sensé; mais celui qui trouve- autre pouvait combattre. Jupiter en avait plus rait qu'il y a beaucoup trop de ces comparaisons, qu'eux tous; mais lui-même était soumis au Destin, uniquement parce qu'elles l'ennuient, aurait-il beau- c'est-à-dire à cette fatalité éternelle et invincible coup de tort? dont tous les anciens systèmes nous offrent l'idée, mais dont tout le principe obscur et indéterminé laissait encore une libre carrière aux fantaisies et aux inventions du poëte. Il est clair qu'en employant de pareils agents, on pouvait en tirer les mêmes intérêts, les mêmes impressions d'espérance et de crainte, d'amour et de haine, que des personnages purement humains. Il y avait alors une communication nécessaire et infiniment heureuse de l'homme à la Divinité. Cette Divinité même n'était pour ainsi dire que le complément et la perfection de la nature humaine. Les hommes y pouvaient aspirer à force de vertus et de grandes actions. Ces demi-dieux étaient les intermédiaires qui rapprochaient la terre de l'Olympe; et cet Olympe même, son ambroisie servie par Hébé, ses foudres portés par un aigle, tout offrait au pinceau du poëte des objets sensibles et pittoresques; et jamais on n'inventera rien de plus favorable à ces formes dramatiques qui doivent animer toute grande poésie.

Cette traduction est correcte et élégante, et le style se rapproche autant qu'il est possible de l'original. On pourrait y blâmer quelques inversions forcées, comme celle-ci : Redoutable était Fingal dans la force de sa jeunesse; redoutable est encore son bras dans la vieillesse.... Terrible était l'éclat de son acier. Cela vaut-il mieux que de dire : Fingal était redoutable, l'éclat de son acier était terrible? Le maître de philosophie de M. Jourdain nous apprend que cette dernière façon de parler est la meilleure.

Sur le Paradis perdu de MILTON.

Et quel objet enfin à présenter aux yeux,
Que le diable toujours hurlant contre les cieux?

Si Boileau était choqué de ce défaut dans le poëme de la Jérusalem, où l'enfer`ne joue qu'un rôle très-subordonné, et qui d'ailleurs est plein de tant de beautés poétiques de tous les genres, qu'aurait-il donc dit d'un ouvrage dont Satan est le héros, dont le sujet est la guerre de l'enfer contre le ciel, et le projet de séduire le premier homme, pour combattre le Créateur? Sans doute il eût répété ces deux autres vers de l'Art poétique :

De la foi d'un chrétien les mystères terribles D'ornements égayés ne sont point susceptibles. En effet, si l'on veut y réfléchir, on verra que cet esprit si judicieux avait rencontré juste sur ce point, comme sur tout le reste, et que le merveilleux de notre religion ne peut pas se substituer heureusement au merveilleux de l'ancienne mythologie. Ce dernier donnait prise à l'imagination et aux sens; l'autre échappe même à la pensée, et ne peut que

Les fables mêmes des Orientaux, quoique prodigieusement inférieures à celles des Grecs, ces bons, ces mauvais génies, ces dives, ces péris, pouvaient encore ouvrir une source d'intérêt, parce qu'il y avait une gradation de pouvoir établie entre toutes ces créatures immortelles; que les esprits rebelles à Dieu étaient subordonnés en tout aux esprits célestes; qu'ils étaient entre eux soumis à certaines lois, à certaines nécessités; et qu'enfin un mage, possesseur du cachet de Salomon, où était empreint le nom de Dieu, pouvait être le maître des uns et des autres. Ces fables n'avaient sans doute ni la variété, ni la richesse, ni le grand sens des fictions et des allégories grecques; mais l'esprit des roman

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