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LETTRE CIII.

A M. DE CIDE-VILLE.

A Paris, le 27 février.

MON tendre et aimable ami, j'ai été bien con734. folé dans ma maladie en voyant quelquefois votre ami M. du Bourgtroulde; il eft mon rival auprès de vous, et rival préféré; mais je n'étais point ja. loux. Nous parlions de mon cher Cideville avec un plaifir fi entier et fi pur! Nous nous entretenions de l'efpérance de vivre un jour à Paris avec lui, et aujourd'hui voilà mon cher Cideville qui me mande qu'en effet il pourra venir bientôt. Cela eft-il bien vrai? Puis-je y compter? Ah! c'eft alors que j'aurai de la fanté, et que je ferai heureux.

Je commence enfin à fortir. J'allai même samedi dernier à l'enterrement d'Adélaïde, dont le convoi fut affez honorable. J'avais efquivé le mien, et je fus fort content du parterre qui reçut Adélaïde mourante, et Voltaire reffufcité, avec affez de cordialité. Il eft vrai que je fuis retombé depuis; mais, malgré cette rechute, je veux aller au plus vite chez M. du Bourgtroulde pour lui parler de vous. En attendant, difons un petit mot d'Adélaïde.

On ne fe plaint point du duc de Nemours; on s'eft récrié contre le duc de Vendôme. La voix publique m'a accufé d'abord d'avoir mis fur le théâtre un prince du fang pour en faire, de gaieté de cœur, un affaffin. Le parterre eft revenu tout d'un coup de cette idée; mais noffeigneurs les courtifans, qui font trop grands feigneurs pour fe

dédire fi vite, perfiftent encore dans leur reproche. Pour moi, s'il m'eft permis de me mettre 1734au nombre de mes critiques, je ne crois pas que l'on foit moins intéreffé à une tragédie, parce qu'un prince de la nation fe laiffe emporter à l'excès d'une paffion effrénée.

Un hiftoriographe me dira bien que le comte de Vendôme n'était point duc, et que c'était le duc de Bretagne Jean, et non le comte de Vendôme, qui fit cette méchante action. Le public fe moque de tout cela ; et fi la pièce est intéressante, peu lui importe que fon plaifir vienne de Jean ou de Vendôme. Mais ce Vendôme n'intéreffe peutêtre pas affez, parce qu'il n'eft point aimé, et parce qu'on ne pardonne point à un héros français d'être furieux contre une honnête femme qui lui dit de fi bonnes raifons. Couci vient encore prouver à notre homme, qu'il eft un pauvre homme d'être fi amoureux. Tout cela fait qu'on ne prend pas un intérêt bien tendre au fuccès de cet amour. Ajoutez que le fieur Dufresne a joué ce rôle indignement, quoi qu'en dife Rochemore.

Le travail que j'ai fait pour corriger ce qui avait paru révoltant dans ce Vendôme, à la premièrereprésentation, eft très-peu de chofe. Je vous enverrai la pièce, vous la trouverez prefque la même. Le public, qui applaudit à la feconde repréfentation ce qu'il avait condamné à la première, a prétendu, pour fe juftifier, que j'avais tout refondu, et je l'ai laiffé croire.

Adieu, mon cher ami. Ecrivez, je vous en prie,
Linant qu'il a befoin d'avoir une conduite très-

circonfpecte que rien n'eft plus capable de lui faire 1734. tort que de fe plaindre qu'il n'eft pas affez bien chez

un homme à qui il eft abfolument inutile, et qui, de compte fait, dépense pour lui feize cents francs par an. Une telle ingratitude ferait capable de le perdre. Je vous ai toujours dit que vous le gâtiez. Il s'eft imaginé qu'il devait être fur un pied brillant dans le monde, avant d'avoir rien fait qui pût ly produire. Il oublie fon état, fon inutilité et la néceffité de travailler; il abufe de la facilité que j'ai eue de lui faire avoir fon entrée à la comédie; il y va tous les jours fur le théâtre, au lieu de fonger à faire une pièce. Il a fait en deux ans une fcène qui ne vaut rien; et il fe croit un perfonnage parce qu'il va au théâtre et chez Procope. Je lui pardonne tout parce que vous le protégez; mais, au nom de Deu, faites-lui entendre raifon, fi vous en efpérez encore quelque chofe.

LETTRE CIV.

A M. DE CIDEVILLE.

Ce 7 avr.1.

Mon cher ami, je pars pour être témoin d'un
mariage que je viens de faire. J'avais mis dans ma
tête, il y a long-temps, de marier M. le duc de
Richelieu à mademoiselle de Guife; j'ai conduit
cette affaire comme une intrigue de comédie: le
dénouement va fe faire à Montjeu auprès d'Autun.
Les poètes font plus dans l'uíage de faire des épi-
thalames que
des contrats; cependant j'ai fait le
contrat, et probablement je ne ferai point de vers.
Vous favez ce que dit madame de Murat:

Mais

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Mais quand l'hymen eft fait, c'eft en vain qu'on réclame
Le di u d'amour et les neuf doctes fœurs;
C'est le fort des amours, et celui des auteurs,

D'échouer à l'épithalame.

Je pars dans une heure, mon aimable Cideville; j'envoie d vant, tragédie, opéra, verficulets, et totam nugarum fuppellectilem. C'eft pour le coup que je vais travailler à vous faire tranfcrire tout ce que je vous dois. Formont vient de m'écrire une lettre où je reconnais fa raifon faine et fon goût délicat. Meffieurs les normands

Vous

avez bien de l'efprit. L'abbé du Refuel, autre normand, traducteur de Pope, homme qui fait penfer, fentir et écrire, eft ou doit être à Rouen; je lui ai dit que mon cher Cideville y était; il le verra, et il en penfera comme moi. C'eft un admirateur et un ami de plus que vous allez acquérir l'un et l'autre en fefant connaiffance.

Je ne crois pas que Linant ait jamais un talent fupérieur, mais je crois qu'il fera un ignorant inutile aux autres et à lui-même; plein de goût et d'efprit, d'imagination, il n'a rien de ce qu'il faut ni pour briller ni pour faire fortune. Il a la forte d'efprit qui convient à un homme qui aurait' vingt mille livres de rente. Voilà de quoi je le plains, mais de quoi je ne lui parle jamais. J'ai été mécontent de lui, mais je ne l'ai dit qu'à Yous et à M. de Formont.

Adieu; je vous aime avec tendreffe. Je pars. Valete cura.

T. 79. Corresp. générale. T. I. R

1734

734,

LETTRE

CV.

A M. DE FORM ON T.

Avril,

PHILOSOPHIE aimable, à qui il eft permis d'ètre pareffeux, fortez un moment de votre douce molleffe, et ne donnez pas au chanoine Linant l'exemple dangereux d'une oifiveté qui n'eft pas faite pour lui. Je lui mande, et vous en con. viendrez, que ce qui eft vertu dans un homme devient vice dans un autre. Ecrivez-moi donc fouvent pour l'encourager, et renvoyez-le-moi quand vous l'aurez mis dans le bon chemin. J'ai befoin qu'il vienne m'exciter à rentrer dans la carrière des vers. Il y a bien long-temps que je n'ai monté les cordes de ma lyre. Je l'ai quittée pour ce qu'on appelle philofophie, et j'ai bien peur d'avoir quitté un plaifir réel pour l'ombre de Ja raifon. J'ai relu le raifonneur Clarke, Mallebranche et Locke. Plus je les relis; plus je me confirme dans l'opinion où j'étais que Clarke eft le meilleur fophifte qui ait jamais été, Malle branche le romancier le plus fubtil, et Locke l'homme le plus fage. Ce qu'il n'a pas vu claire. ment, je défefpère de le voir jamais. Il eft le feul, à mon avis, qui ne fuppofe point ce qui eft en queftion. Maliebranche commence par établir le péché originel, et part de là pour la moitié de fon ouvrage ; il fuppofe que nos fens font toujours trompeurs, et de là il part pour l'autre moitié.

Clarke, dans fon fecond chapitre de l'exiftence

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