Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

riait et ne répondait jamais rien; la reine paraissait en souffrir. L'empereur terminait souvent ses récits, sur les choses qu'il avait admirées à Paris, par des reproches au roi sur ce qu'elles lui étaient inconnues : il ne pouvait concevoir comment tant de richesses en tableaux restaient dans la poussière d'immenses magasins (1); et lui dit un jour, que si l'usage n'était pas d'en placer quelques-uns dans les appartemens de Versailles, il ne connaîtrait pas même les principaux chefs-d'œuvre qu'il possédait (2). Il lui reprochait aussi de n'avoir pas visité l'hôtel des Invalides, et celui de l'École militaire;

que traite madame Campan, puisqu'elles ajoutent quelques traits de plus à la ressemblance de Joseph II.

Son humeur caustique avait, au reste, matière à s'exercer sur l'étiquette en usage à la cour de France. Si l'on veut avoir une idée de cette tyrannie qui pesait sur les princes dans tous les instans de la journée, et les suivait, pour ainsi dire, jusque dans le lit nuptial, on peut lire un morceau très - curieux placé par madame Campan dans les éclaircissemens qu'elle destinait à son ouvrage [**].

(Note des édit.)

(1) Quelque temps après le départ de l'empereur, le comte d'Angiviller présenta des plans au roi pour la construction du Muséum qui fut alors commencé.

(Note de madame Campan.)

(2) L'empereur blâmait beaucoup l'usage, alors existant, de laisser des marchands construire des boutiques près des murs extérieurs de tous les palais, et même d'établir des espèces de foires sur les escaliers, dans les galeries de Versailles et de Fontainebleau, et jusqu'à chaque repos des grands escaliers.

(Note de madame Campan.)

et lui disait même, en notre présence, qu'il devait connaître non-seulement tout ce qui existait à Paris, mais voyager en France, et résider quelques jours dans chacune de ses grandes villes.

La reine finit par être blessée de l'indiscrète sincérité de l'empereur, et par lui faire elle-même quelques leçons sur la facilité avec laquelle il se permettait d'en donner. Un jour qu'elle était occupée à signer des brevets et des ordonnances de paiemens pour sa maison, elle s'entretenait avec M. Augeard, son secrétaire des commandemens, qui lui présentait successivement les objets à signer, et les replaçait dans son porte-feuille. L'empereur, pendant ce travail, se promenait dans la chambre; tout-à-coup il s'arrête pour reprocher assez sévèrement à la reine de signer tous ces papiers sans les lire, ou, au moins, sans y jeter les yeux, et lui dit les choses les plus justes sur le danger de donner légèrement sa signature. La reine lui répondit que l'on pouvait appliquer très-mal de fort judicieux principes; que son secrétaire des commandemens, qui méritait toute sa confiance, ne lui présentait, en ce moment, que les ordonnances du paiement des trimestres des charges de sa maison, enregistrées à la Chambre des comptes; et qu'elle ne risquait pas de donner inconsidérément sa signature (1).

(1) Ces paroles se trouvent confirmées par les renseignemens que donne madame Campan sur l'ordre établi dans la comptabilité des fonds appartenant à la cassette de la reine [***].

(Note des édit.)

La toilette de la reine était aussi un sujet perpétuel de critique pour l'empereur. Il lui reprochait d'avoir introduit trop de modes nouvelles, et la tourmentait sur l'usage du rouge auquel ses yeux ne pouvaient s'habituer. Un jour qu'elle en mettait plus que de coutume, de coutume, devant aller au spectacle, il lui conseilla d'en ajouter encore, et indiquant une dame qui était dans la chambre, et qui en avait à la vérité beaucoup : « Encore un peu, sous les yeux, >> dit l'empereur à la reine; mettez du rouge, en >> furie, comme madame. » La reine pria son frère de cesser ses plaisanteries, et surtout de ne les adresser qu'à elle seule, quand elles seraient désobligeantes. Cette manière de critiquer les usages et les modes établies convenait assez à l'esprit frondeur qui régnait alors; autrement l'empereur eût été généralement blâmé. Les gens qui tenaient par principes aux anciens usages, furent seuls affligés, et lui surent très-mauvais gré de quelques accès d'une franchise par trop déplacée (1).

La reine lui avait donné rendez-vous au Théâtre

(1) Sans nier le penchant que montrait l'empereur à la raillerie, l'on doit ajouter qu'il savait aussi, selon l'occasion, tourner agréablement des choses flatteuses. Madame de Genlis rapporte même, dans ses Souvenirs de Félicie, un trait qui vaut mieux qu'un mot spirituel. On sait que Joseph Il parcourut plusieurs provinces de la France. «< A Nantes, dit d'abord madame de Genlis, il partit de son auberge à la petite pointe du jour; il trouva, dans la cour sa voiture entourée de toutes les jeunes dames de la ville, toutes excessivement parées : l'empereur, après les avoir saluées, dit,

Italien; Sa Majesté changea d'avis, et se rendit aux Français. Elle envoya un page aux Italiens prier son frère de venir la rejoindre. L'empereur sortit de sa loge, éclairé par le comédien Clairval, et accompagné de M. de La Ferté, intendant des menus-plaisirs, qui souffrit beaucoup d'entendre Sa Majesté Impériale dire à Clairval, en lui exprimant obligeamment son regret de ne point assister à la représentation des Italiens : « Elle est bien étourdie votre jeune reine; mais heureusement cela ne vous déplaît pas trop à vous autres Français. »

Je me trouvais avec mon beau-père dans un des cabinets de la reine; l'empereur vint l'y attendre, et sachant que M. Campan remplissait les fonctions de bibliothécaire, il l'entretint des livres qui de

en les regardant : Voilà une si charmante aurore, qu'elle promet plus d'un beau jour.

» Un trait, ajoute-t-elle, que j'aime mieux que tout cela, est celui-ci :

>> Il passa le bois de Rosny, tandis qu'il dormait dans sa voiture; quand il se réveilla, il en était à un quart de lieue. Se rappelant que Sully avait, durant les guerres civiles, vendu ce bois pour en donner l'argent à Henri IV, alors dénué de tout, l'empereur ordonna aux postillons de retourner sur leurs pas et de rentrer dans le bois, voulant mesurer, par ses yeux, l'étendue du sacrifice qu'un grand homme et un sujet affectionné avait fait, dans un moment de détresse, à l'un de nos plus grands rois *.

(Note des édit.)

* « Ce bois est immense: Sully en retira trente mille francs, somme énorme dans ce temps, et la donna tout entière à Henri IV. »

(Note de madame de Genlis.)

vaient naturellement composer la bibliothèque de la reine. Après avoir parlé de nos auteurs les plus célèbres, le hasard lui fit dire : Il n'y a sûrement pas ici d'ouvrages sur les finances, ni sur l'administration.

Ces mots furent suivis de son opinion sur tout re qu'on avait écrit dans ce genre, sur les diffé– rens systèmes de nos deux célèbres ministres Sully et Colbert; sur les fautes qui se commettaient sans cesse, en France, dans des parties si essentielles à la prospérité de l'empire; sur les réformes qu'il ferait lui-même à Vienne, lorsqu'il en aurait le pouvoir: tenant M. Campan par le bouton de son habit, il passa plus d'une heure à parler avec véhémence et sans aucun ménagement sur le gouvernement français; chose d'autant plus blamable, qu'avec du tact et de la dignité, l'empereur ne devait entretenir le secrétaire-bibliothécaire que des objets analogues à ses fonctions. Mais il était si préoccupé du grand talent qu'il se croyait pour gouverner les peuples, que cet orgueil lui faisait commettre, en ce moment, une faute d'écolier. Cet entretien dura près d'une heure. L'étonnement autant que le respect nous tint, mon beau-père et moi, dans le plus profond silence; et, lorsque nous fûmes seuls, nous prîmes la résolution de ne point parler de cet entretien.

L'empereur aimait à raconter les anecdotes secrètes des cours d'Italie qu'il avait visitées; les querelles de jalousie, entre le roi et la reine de Naples,

« ZurückWeiter »