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On s'eft très - fouvent repenti du facrement de mariage, et jamais de l'onction épifcopale.

Les petits vers fur le mariage de M. de Sade ne font bons que pour votre trinité indulgente (19); je vous deftinais des vers un peu plus ampoulés : c'eft une nouvelle édition de la Henriade. J'ai remis entre les mains de M. de Malijac un petit pa. quet contenant une Henriade pour vous et une pour M. de Caumont. Je vous remercie de tout mon cœur de m'avoir procuré l'honneur et l'agrément de fon commerce; mais c'eft à lui que je dois à préfent m'adreffer pour ne pas perdre le vôtre. Il-femble que vous ayez voulu vous défaire de moi pour me donner à M. de Caumont, comme on donne fa vieille maîtreffe à fon ami. Je veux lui plaire, mais je vous ferai toujours des coquetteries. Je n'ai pu lui envoyer les Lettres en anglais, parce que je n'en ai qu'un exemplaire, ni en fran çais, parce que je ne veux point être brûlé fitôt.

Comment! M. de Caumont fait auffi l'anglais ! Vous devriez bien l'apprendre. Vous l'apprendrez furement, car madame du Châtelet l'a appris en quinze jours. Elle traduit déjà tout courant : elle n'a eu que cinq leçons d'un maître irlandais. En vérité madame du Châtelet eft un prodige, et on est bien neuf à votre cour.

Voulez-vous des nouvelles? le fort de Kehl vient d'être pris; la flotte d'Alicante eft en Sicile; et tandis qu'on coupe les deux ailes de l'aigle impériale en Italie et en Allemagne, le roi Stanislas

(19) Ils étaient trois frères. Voyez les Poéfies mêlées, vol. de Contes, etc.

1733.

eft plus empêché que jamais. Une grande moitié 3733. de fa petite armée l'a abandonné pour aller rece voir une paye plus forte de l'électeur-roi.

Cependant, le roi de Pruffe fe fait faire la cour par tout le monde, et ne fe déclare encore pour perfonne. Les Hollandais veulent être neutres, et vendre librement leur poivre et leur cannelle. Les Anglais voudraient fecourir l'empereur, et ils le feront trop tard.

Voilà la fituation présente de l'Europe; mais à Paris on ne fonge point à tout cela. On ne parle que du roffignol que chante mademoiselle PetitPas, (*) et du procès qu'a Bernard avec Servandoni pour le payement de fes impertinentes magnificences.

Adieu; quand vous ferez las de toute autre chofe, fouvenez-vous que Voltaire est à vous toute la vie avec le dévouement le plus tendre et le plus inviolable.

LETTRE XCVII.

A M.

M. DE CIDEVILLE.

A Paris, le 6 novembre.

AIMABLE
IMABLE ami, aimable critique, aimable poëte,
en vous remerciant tendrement de votre allégorie.
Eile eft pleine de très-beaux vers, pleine de fens
et d'harmonie ;mon cœur, mon efprit, mes oreilles
vous ont la dernière obligation. Je me fuis ren-
(*) Dans l'opéra d'Hypolite et Aricie

contré avec vous dans un vers que peut-être vous
n'aurez point encore vu dans ma tragédie :

Toutes les paffions font en moi des fureurs.
Voici l'endroit tel que je l'ai corrigé en entier.
C'eft Vendôme qui parle àAdélaïde, au fecond acte.
Pardonne à ma fureur, toi feule en es la caufe.
Ce que j'ai fait pour toi fans doute eft peu de chose;
Non, tu ne me dois rien: dans tes fers arrêté,
J'attends tout de toi feule, et n'ai rien mérité.
Te fervir en efclave eft ma grandeur suprême,
C'est moi qui te dois tout puifque c'est moi qui t'aime.
Tyran que j'idolâtre et que rien ne fléchit,

Crael objet des pleurs dont mon orgueil rougit,
Oui, tu tiens dans tes mains les deftins de ma vie,
Mes fentimens, ma gloire, et mon ignominie.
Ne fais point fuccéder ma haine à mes douleurs,
Toutes les paffions font en moi des fureurs.

Dans mes foumiffions, crains-moi, crains ma colère,etc.

Il y a encore bien d'autres endroits changés, et bien des corrections envoyées aux comédiens depuis que je vous ai fait tenir la pièce. Pour le fond, il est toujours le même, on ne peut élever de nouveaux fondemens comme on peut changer une anti-chambre et un cabinet, et toutes les beautés de détail font des ornemens prefque perdus au théâtre. Le fuccès eft dans le fujet même. Si le fujet n'eft pas intéreffant, les vers de Virgile et de Racine, les éclairs et les raifonnemens de Corneille, ne feraient pas réuffir l'ouvrage. Tous mes amis m'affurent que la pièce eft tou chante, mais je confu terai toujours votre cœur et votre efprit de préférence à tout le monde.

1733.

C'est à eux à me parler; il n'y a point de vérité 1733. qui puiffe déplaire quand c'est vous qui la dites.

Souffrez aulfi, mon cher ami, que je vous dise avec cette même franchife que j'attends de vous, que je ne fuis pas auffi content du fond de votre allégorie et de la tiffure de l'ouvrage, que je le fuis des beaux vers qui y font répandus. Votre but eft de prouver qu'on fe trouve bien dans la vieilleffe d'avoir fait provifion dans fon printemps, et qu'il faut à vingt ans fonger à habiller l'homme de cinquante. La longue defcription des âges de l'homme eft donc inutile à ce but. Pourquoi éten dre en tant de vers ce qu'Horace et Defpréaux ont dit en dix ou douze lignes connues de tout le monde? Mais, direz-vous, je préfente cette idée fous des images neuves. A cela je vous répondrai que cette image n'eft ni naturelle, ni aimable, ni vraisemblable. Pourquoi cette montagne? Pour quoi fera-t-il plus chaud au milieu qu'au bas? Pourquoi différens climats dans une montagne? Pourquoi fe trouve - t- on tout d'un coup au fommet? Une allégorie ne doit point être recherchée, tout s'y doit préfenter de foi-même, rien ne doit y être étranger. Enfin, quand cette allégorie ferait jufte, et que vous en auriez retranché les longueurs, il refterait encore de quoi dire, non erat bis locus.

Votre ouvrage ferait, je crois, charmant, fi vous vous renfermiez dans votre première idée; car de quoi s'agit-il? de faire voir l'ufage et l'abus du temps. Préfentez-moi une déeffe à qui tous les vieillards s'adreffent pour avoir une vieilleffe

heureuse; alors chaque fexagénaire vient expofer ce qu'il a fait dans fa vie, et leurs dernières an- 1733. nées font condamnées aux remords ou à l'ennui. Mais ceux qui ont cultivé leur efprit, comme mon cher Cideville, jouiffent des biens acquis dans leur jeuneffe, et font heureux et honorés. Voilà un champ affez vafte; mais tout ce qui fort de ce fujet eft une morale hors d'oeuvre. Votre montagne eft une longue préface, une digreffion qui abforbe le fonds de la chofe. N'ayez fimplement que votre sujet devant les yeux, et votre ouvrage deviendra un chef-d'œuvre.

Pour m'encourager à vous ofer parler ainfi, envoyez-moi une bonne critique d'Adélaïde; mais fur tout ne gâtez point Linant. Je ne fuis pas trop content de lui. Il eft nourri, logé, chauffé, blanchi, vêtu, et je fais qu'il a dit que je lui avais fait manquer un beau pofte de précepteur, pour l'attirer chez moi. Je ne l'ai cependant pris qu'à votre confidération, et après que la dignité de précepteur lui a été refufée. Il ne travaille point, il ne fait rien, il fe couche à fept heures du foir pour fe lever à midi. Encouragez-le et grondez-le en général. Si vous le traitez en homme du monde, vous le perdrez. Adieu.

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