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madame de La Rivaudaye ne m'ait pas traité de même; elle m'a paru digne d'avoir un ami comme vous, si on peut n'être que son ami.

109.-AU MÊME.

Le 3 de septembre.

Je suis pénétré, mon cher Cideville, des peines dont vous me faites l'amitié de me parler; c'est la preuve la plus sensible que vous m'aimez. Vous êtes sûr de mon cœur, vous savez combien je m'intéresse à vous. Pourquoi faut-il qu'un homme aussi sage et aussi aimable que vous, soit malheureux? Que serai-je donc, moi qui ai passé toute ma vie à faire des folies? Quand j'ai été malheureux, je n'ai eu que ce que je méritais; mais quand vous l'êtes, c'est une balourdise de la Providence. J'ai fait la sottise de perdre douze mille francs au biribi, chez madame de Fontaine-Martel; je parie que vous n'en'avez pas tant fait. Je voudrais bien que vous cussiez été à portée de les perdre; j'en donnerai le double pour vous voir à Paris.

Ah! quittez pour la liberté

Sacs, bonnet, épice et soutane,

Et le palais de la chicane

Pour celui de la volupté.

M. de Formont m'a écrit une lettre charmante. Je ne lui ai pas encore fait de réponse; je ne sais où le prendre.

Adieu, je vous embrasse bien tendrement.

110.A M. DE FORMONT.

Lc.... septembre.

Jr. viens d'apprendre par notre cher Cideville,

qui part de Rouen, que vous y revenez. Je ne savais où vous prendre pour vous remercier, mon cher ami, mon juge éclairé, de la lettre obligeante que vous m'avez écrite de Gaillon. Je suis bien faché que vous n'ayez vu que la première représentation de Zaïre. Les acteurs jouaient mal, le parterre était tumultueux, et j'avais laissé dans lapièce quelques endroits négligés qui furent relevés avec un tel acharnement que tout l'intérêt était détruit. Petit à petit j'ai ôté ces défauts, et le public s'est accoutumé à moi. Zaïre ne s'éloigne pas du succès d'Inès de Castro; mais cela même me fait trembler. J'ai bien peur de devoir aux grands yeux noirs de mademoiselle Gaussin, au jeu des acteurs et au mélange nouveau des plumes et des turbans, ce qu'un autre croirait devoir à son mérite. Je vais retravailler la pièce comme si elle était tombée. Je sais que le public, qui est quelquefois indulgent au théâtre par caprice, est sévère à la lecture par raison. Il ne demande pas mieux qu'à se dédire, et à siffler ce qu'il a applaudi. Il faut le forcer à être content. Que de travaux et de peines pour cette fumée de vaine gloire! Cependant, que ferions-nous sans cette chimère? elle est nécessaire à l'âme comme la nourriture l'est au corps. Je veux refondre Éryphile et la Mort de César, le tout pour cette fumée. En attendant, je suis obligé de travailler à des additions que je prépare pour une édition de Hollande de Charles XII. Il a fallu s'abaisser à répondre à une misérable critique faite par La Motraye. L'homme ne méritait pas de réponse; mais toutes les fois qu'il s'agit de la vérité, et de ne pas trom.

per le public, les plus misérables adversaires ne doivent pas être négligés. Quand je me serai dépêtré de ce travail ingrat, j'achèverai ces Lettres anglaises que vous connaissez; ce sera tout au plus le travail d'un mois, après quoi il faudra bien revenir au théâtre, et finir enfin par l'histoire du siècle de Louis XIV. Voilà, mon cher Formont, tout le plan de ma vie. Je la regarderai comme très heureuse, si je peux en passer une partie avec vous. Vous m'aplaniriez les difficultés de mes travaux, vous m'encourageriez, vous m'en assureriez le succès, et il m'en serait cent fois plus précieux. Que j'aime bien mieux laisser aller dorénavant ma vie dans cette tranquillité douce et occupée, que si j'avais eu le malheur d'être conseiller au parlement! Tout ce que je vois me confirme dans l'idée où j'ai toujours été de n'être jamais d'aucun corps, de ne tenir à rien qu'à ma liberté et à mes amis. Il me semble que vous ne désapprouvez pas trop ce système, et qu'il ne faudra pas prêcher long temps Cideville pour le lui faire embrasser dans l'occasion. Il vient de m'écrire, mais il me mande qu'il va à la campagne, et je ne sais où lui adresser ma réponse. Aimez-moi toujours, mon cher Formont, et que votre philosophie nourrisse la mienne des plaisirs de l'amitié.

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Je vous adressai avant-hier, mon cher ami et mon candide judex, la lettre à Falkener (1), telle que (1) Au-devant de Zaïre.

je l'avais corrigée et montrée à M. Rouillé. J'ai depuis ce temps reçu deux lettres de M. de Cideville à ce sujet. Je suis enchanté de la délicatesse de son amitié, mais je ne peux partager ses scrupules. Plus je relis cette épître dédicatoire,plus j'y trouve des vérités utiles, adoucies par un badinage innocent. Je dis, et je le redirai toujours jusqu'à ce qu'on en profite, que les lettres sont trop peu accueillies aujourd'hui. Je dis qu'à la cour on fait quelquefois des critiques absurdes:

Tous les jours à la cour un sot de qualité
Peut juger de travers avec impunité.

Qui ne fait que des critiques générales, n'offensc personne. La Bruyère a dit cent fois pis, et n'en a plu que davantage.

la

Les louanges que je donne avec toute l'Europe à Louis XIV, ne deviendront un jour la satire de Louis XV que si Louis XV ne l'imite pas; mais en quel endroit insinuai-je que Louis XV ne marchera pas sur ses traces ? Les vers sur Polyeucte renferment une vérité incontestable, et la manière dont ils sont amenés n'a rien d'indécent; car ne dis-je pas que la corruption du cœur humain est telle que belle âme de Polyeucte aurait faiblement attendri sans l'amour de sa femme pour Sévère, etc.? Ce quiregarde la pauvre Le Couvreur est un fait connu de toute la terre, et dont j'aime à faire sentir la honte. Mais, en parlant d'amour et de Melpomène, j'écarte toutes les idées de religion qui pourraient s'y mêler, et je dis poétiquement ce que je n'ose pas dire sérieusement.

M. Rouillé, en voyant cette épître, a dit que l'endroit de mademoiselle Le Couvreur était le seul qu'un approbateur ne puisse passer, et c'est luimême qui a donné le conseil de faire paraître deux éditions, la première sans l'épître et avec le privilége; la seconde, avec l'épître et sans le privilége. C'est à quoi je me suis déterminé. J'ai écrit à Jore en conséquence. Je lui ai recommandé d'imprimer l'épître à part avec un nouveau titre, et de me l'envoyer à Versailles, tandis que l'édition entière de la tragédie viendra à la chambre syndicale avec toutes les formalités ridicules dont la librairie est enchevêtrée. Au reste, il n'y a rien, dans cette épître, qui me fasse peine. Que diriez-vous donc de mes pièces fugitives qu'on veut imprimer, et de celles qui ont déjà paru? ne sont-elles pas pleines de traits plus hardis cent fois et de réflexions plus hasardées ? On me reprochera? dit-on, de mettre une lettre badine à la tête d'une tragédie chrétienne. Ma pièce n'est pas, Dieu merci, plus chrétienne que turque. J'ai prétendu faire une tragédie tendre et intéressante, et non pas un sermon: et dans quelque genre que Zaïre soit écrite, je ne vois pas qu'il soit défendu de faire imprimer une épître familière avec une tragédie. Le public est las de préfaces sérieuses et d'examens critiques. Il aimera mieux que je badine avec mon ami en disant plus d'une vérité, que de me voir défendre Zaïre méthodiquement et peut-être inutilement. En un mot, une préface m'aurait ennuyé, et la Lettre à Falkener m'a beaucoup diverti. Je souhaite qu'ainsi soit de vous. Adieu. On m'a dit que vous viendrez

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