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Dans ces murs malheureux votre voix enchantée
Ne put jamais charmer qu'un âne et les échos.
On vous prendrait pour un Orphée;

Mais vous n'avez point su, trop malheureuse fée,
Adoucir tous les animaux.

Puissiez-vous mener désormais une vie toujours heureuse, et que la tranquillité de votre séjour de Sceaux ne soit jamais interrompue que par de nouveaux plaisirs! Les agrémens seuls de votre esprit peuvent suffire à faire votre bonheur.

Dans ses écrits le savant Malezieu
Joignit toujours l'utile à l'agréable;
On admira dans le tendre Chaulieu
De ses chansons la grace inimitable.

Il vous fallait les perdre en un jour tous les deux,
Car il n'est rien que le temps ne détruise;
Mais ce beau dieu qui les arts favorise,
De ses présens vous enrichit comme eux,
Et tous les deux vivent dans Ludovise.

XCIII.

A M***. 1

Dans ce pays-ci comme ailleurs il y a beaucoup de cette folie humaine qui consiste en contradictions. Je comprends dans ce mot les usages reçus tout contraires à des lois qu'on révère. Il semble que, chez la plupart des peuples, les lois soient précisément comme ces meubles antiques et précieux que l'on conserve avec soin, mais dont il y aurait du ridicule à se servir.

Il n'y a, je crois, nul pays au monde où l'on trouve tant de contradictions qu'en France. Ailleurs les rangs

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Ce fragment semble avoir fait partie d'une lettre écrite d'Angleterre. (Ed. de Kehl.)

sont réglés, et il n'y a point de place honorable sans des fonctions qui lui soient attachées. Mais en France un duc et pair ne sait pas seulement la place qu'il a dans le parlement. Le président est méprisé à la cour, précisément parce qu'il possède une charge qui fait sa grandeur à la ville. Un évêque prêche l'humilité (si tant est qu'il prêche), mais il vous refuse sa porte si vous ne l'appelez pas Monseigneur. Un maréchal de France, qui commande cent mille hommes, et qui a peut-être autant de vanité que l'évêque, se contente du titre de Monsieur. Le chancelier n'a pas l'honneur de manger avec le roi, mais il précède tous les pairs du

royaume.

Le roi donne des gages aux comédiens, et le curé les excommunie. Le magistrat de la police a grand soin d'encourager le peuple à célébrer le carnaval; à peine a-t-il ordonné les réjouissances qu'on fait des prières publiques, et toutes les religieuses se donnent le fouet pour en demander pardon à Dieu. Il est défendu aux bouchers de vendre de la viande les jours maigres, les rôtisseurs en vendent tant qu'ils veulent. On peut acheter des estampes le dimanche, mais non des tableaux. Les jours de la Vierge on n'a point de spectacles, on les représente tous les dimanches.

On lit dévotement à l'église les chapitres de Salcmon, où il dit formellement que l'ame est mortelle; et qu'il n'y a rien de bon que de boire et de se réjouir.

On fait brûler Vanini, et l'on traduit Lucrèce pour monsieur le Dauphin, et on fait apprendre par cœur aux écoliers Formosum pastor Corydon, etc. On se moque du polythéisme, et on admet le trithéisme et les saints. En Angleterre les ducs sont appelés princes. La communion anglicane est opposée au gouvernement qui la

CORRESPONDANCE. T. I.

II

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tolère; la liberté, et les matelots enrôlés par force; défense d'injurier personne, mais permis de mettre la première lettre du nom, etc.

XCIV.

A M. THIERIOT.

A Londres, 4 auguste 1728.

Voici qui vous surprendra, mon cher Thieriot; c'est une lettre en français. Il me paraît que vous n'aimez pas assez la langue anglaise pour que je continue mon chiffre avec vous. Recevez donc en langue vulgaire les tendres assurances de ma constante amitié. Je suis bien aise d'ailleurs de vous dire intelligiblement que, si on a fait en France des recherches de la Henriade chez les libraires, ce n'a été qu'à ma sollicitation. J'écrivis, il y a quelque temps, à M. le garde des sceaux et à M. le lieutenant de police de Paris, pour le supplier de supprimer les éditions étrangères de mon livre, et surtout celle où l'on trouverait cette misérable critique dont vous me parlez dans vos lettres. L'auteur est un réfugié connu à Londres, et qui ne se cache point de l'avoir écrite. Il n'y a que Paris au monde où l'on puisse me soupçonner de cette guenille; mais Odi profanum vulgus, et arceo, et les sots jugemens et les folles opinions du vulgaire ne rendront point malheureux un homme qui a appris à supporter les malheurs réels; et qui méprise les grands peut bien mépriser les sots. Je suis dans la résolution de faire incessamment une édition correcte du poëme auquel je travaille toujours dans ma retraite. J'aurais voulu, mon cher Thieriot, que vous eussiez pu vous en charger pour votre avantage et pour mon honneur. Je joindrai à cette édition un Essai sur la poésie

épique, qui ne sera point la traduction d'un embryon anglais mal formé, mais un ouvrage complet et très curieux pour ceux qui, quoique nés en France, veulent avoir une idée du goût des autres nations. Vous me mandez que des dévots, gens de mauvaise foi ou de très peu de sens, ont trouvé à redire que j'aie osé, dans un poëme qui n'est point un colifichet de roman, peindre Dieu comme un être plein de bonté et indulgent aux sottises de l'espèce humaine. Ces faquins-là feront tant qu'il leur plaira de Dieu un tyran, je ne le regarderai pas moins comme aussi bon et aussi sage que ces messieurs sont sots et méchans.

Je me flatte que vous êtes pour le présent avec votre frère. Je ne crois pas que vous suiviez le commerce comme lui; mais, si vous le pouviez faire, j'en serais fort aise; car il vaut mieux être maître d'une boutique, que dépendant dans une grande maison. Instruisez-moi un peu de l'état de vos affaires, et écrivez-moi, je vous en prie, plus souvent que je ne vous écris. Je vis dans une retraite dont je n'ai rien à vous mander, au lieu que vous êtes dans Paris où vous voyez tous les jours des folies nouvelles qui peuvent encore réjouir votre pauvre ami, assez malheureux pour n'en plus faire.

Je voudrais bien savoir où est madame de Bernières, et ce que fait le chevalier anglais Desalleurs; mais surout parlez-moi de vous à qui je m'intéresserai toute ma vie avec toute la tendresse d'un homme qui ne trouve rien au monde de si doux que de vous aimer.

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XCV.

A M. THIERIOT.

Die Jovis, quem barbari Galli nuncupant jeudi (7 avril) 1729.

Je ne peux pas résister davantage à vos remontrances, à celles de M. de Richelieu et de M. Pallu. Puis donc que vous voulez tous que je sois ici avec un warrant, signé Louis, go to Saint-Germain; I write to the vizier Maurepas, in order to get leave to drag my chain in Paris.

Je vous renvoie Quinte- Curce et les Diètes de Pologne. Je demande les deux autres tomes de la Géographie. Si vous pouviez me dénicher quelque bon mémoire touchant la topographie de l'Ukraine et de la Petite-Tartarie, ce serait une bonne affaire. Je vous ai manqué ces jours-ci. Je mène la vie d'un rose-croix; toujours ambulant, toujours caché, mais ne prétendant point à sagesse. Quanquam, o! farewell, tell M. Nocé, thank him heartily for his opera; and whip the lady Liset for her foolish sauciness: in case she has a pretty arse, forgive her.

XCVI.

A M. THIERIOT.

Avril.

Mon cher Thieriot, vous me faites songer à mes intérêts que j'ai trop négligés. J'avoue que j'ai eu tort de tout abandonner comme j'ai fait. Je me souviens que Marc-Tulle Cicéron, dans ses bavarderies éloquentes, dit quelque part: Turpe est rem suam deserere. Muni donc du sentiment d'un ancien, et rendu à la raison par vos remontrances, je vous envoie la patente de la

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