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POUR MON FILS.

Sa famille maternelle.

:

J'AI pris la peine de réunir tout ce que j'ai pu savoir sur l'origine et l'existence de votre famille paternelle. Je désire que vous sachiez aussi ce qui concerne ma propre famille vous y verrez que, de ce côté, tout ce qui vous a précédé dans le monde a possédé une louable ambition, un grand amour pour le travail, et une moralité parfaite; puissent ces exemples vous indiquer la route que vous avez à suivre et vous y faire trouver les mêmes avantages!

Quand votre aïeul maternel Edme-Jacques Genet, après avoir été secrétaire du cardinal Albéroni, revint d'Espagne en France, il y rentra avec 200,000 liv. en or, acheta plusieurs biens de campagne et la charge de premier huissier audiencier au Châtelet, qu'il paya 80,000 liv., et qui lui rapportait 15,000 liv. de rente. Ce revenu le détermina dans ce choix, car cette charge était pénible, assujettissante et peu considérée.

Votre aïeul pensa alors à s'établir: il voyait dans un couvent du faubourg Saint-Germain une jeune

personne liée avec une pensionnaire en chambre, qu'il allait souvent visiter à la grille. Cette jeune personne était d'une famille très-ancienne, et en portait le nom. Mais des malheurs, dus aux troubles de la religion dans les temps où la France livrée, avaient fait regarder comme illégale l'union de son père, qui était catholique, avec une demoiselle d'une famille protestante, parce que ce mariage n'avait été fait dans les deux églises.

pas

y fut

Jeanne-Louise de Béarn, votre aïeule, fut une femme remplie d'esprit et de qualités distinguées. Elle vécut parfaitement avec son mari, eut plusieurs enfans dont elle ne conserva que deux fils : l'aîné était mon père, dont vous m'entendez chaque jour parler avec un amour et une vénération qui ne s'effaceront qu'à la fin de mon existence. Mon père fut, dès sa plus tendre enfance, un être fort surprenant. A quatre ans juste, il porta luimême à la poste une lettre entièrement écrite de sa main. Ces dispositions précoces furent suivies des succès les plus brillans dans ses études. Elevé au collège de Navarre à Paris, puis aux Jésuites, il enlevait à quinze ans tous les prix de l'Université. Quand ses études furent terminées, il se livra avec passion à la connaissance parfaite de l'ancienne et moderne littérature et des langues vivantes. Il avait fait ses études avec une partie des membres distingués de l'Académie : leurs goûts les rapprochèrent, et ils lui restèrent fidèlement attachés jusqu'à sa

mort.

Il fut impossible à mon père de rester dans la maison paternelle il n'y trouvait de douceurs que dans les momens qu'il pouvait passer auprès d'une mère tendre et éclairée, qui l'adorait et appréciait tout son mérite. Pour mon grand-père, il avait puisé, pendant les vingt années qu'il avait passées en Espagne, une foule de préjugés qu'il liait aux principes purs et simples de sa religion. Non-seulement il fallait assister tous les jours à la messe, se confesser deux fois par mois, communier tous les mois, ne pas manquer une seule fois la grand'-messe, les vêpres, suivre exactement les processions; mais, à la maison, il exigeait encore que le chapelet et même le rosaire fussent dits en sortant de table. Mon père, qui savait qu'un Horace, un Virgile, ou un Anacréon, l'attendaient dans sa chambre, grognait ou murmurait en marmottant son rosaire dans le salon, et ne pouvait supporter un pareil sacrifice. Son père se fàchait, s'emportait contre lui, et, l'esprit noirci par toutes les causes qui se plaidaient au palais, et dont par sa charge il ne manquait pas une seule, voyait dans la plus légère opposition à ses volontés un fils rebelle, un dissipateur. C'est dans cette sévérité excessive et dont mon père a eu tant à souffrir, qu'il a, dès sa jeunesse, puisé le désir de vivre avec ses enfans, s'il était jamais père de famille, d'une manière absolument opposée; et, fidèle à sa parole, nous n'avons eu en lui qu'un chef, un guide, un tendre ami et le meilleur des pères.

La manière triste et sévère avec laquelle votre grand-père fut traité dans la maison paternelle, après avoir été couronné pour tous les premiers prix dans ses colléges, devait lui paraître d'autant plus insoutenable, qu'il sentait ses moyens.

Il fut alors question de choisir un état. Son père lui proposa de suivre le barreau, ou de lui acheter, pour l'établir en même temps avec une fille fort riche, une charge de conseiller au Châtelet. Le premier parti lui convenait mieux : je l'ai vu même regrettant quelquefois cet état dans les momens où il éprouvait quelques dégoûts auprès des ministres. Il eût été un des plus célèbres avocats de son siècle, ayant une éloquence naturelle, pleine de charme et de douceur, la tête la mieux meublée, et une rapidité étonnante dans les idées. Son style aussi était facile, élégant et correct; mais, pour suivre cet état, il fallait rester à Paris et sous une férule aussi sévère et aussi injuste que celle de son père. Cette crainte lui fit donc préférer les voyages et la carrière diplomatique.

Il fallut employer tous les vieux amis du papa, tous les marguilliers de la paroisse Saint-Sulpice, ses collègues, pour obtenir son consentement. Ce fut l'ouvrage de plusieurs mois, pendant lesquels mon malheureux père ne parut ni à la table de son père, ni dans son salon. Il mangeait tristement un morceau, et retournait à sa chambre. Enfin l'aveu de son père étant obtenu, il lui fit faire un trousseau, lui donna une montre d'or et 1500 liv. en

argent, avec la permission de partir. Il ajouta à cela sa bénédiction et un ordre de ne plus paraître en sa présence.

Fallait-il qu'un cœur aussi sensible que celui de mon père fût privé de cette tendresse paternelle qui fait le bonheur, le charme de la jeunesse, et qui lui est en même temps si utile? Sa bonne mère, qui trouvait cette séparation trop cruelle et trop peu faite pour son cœur, lui donna rendez-vous à minuit, trouva le moyen de sortir de la chambre de son mari sans être entendue, et vint se livrer aux doux épanchemens de son cœur. Elle promit au jeune voyageur qu'elle veillerait à ses besoins, en lui recommandant, comme de raison, une sévère économie; car elle ne disposait que d'une trèspetite partie du revenu confié à ses soins pour un ménage décent, mais très-modeste et peu nombreux. Mon père passa la nuit à faire ses préparatifs, et le plaisir de voyager et de quitter un asile aussi sévère que la maison de son père, était balancé par la douleur de s'éloigner d'une aussi tendre

mère.

Le matin, à six heures, tous ses paquets faits et n'ayant plus qu'à serrer ses 1500 liv. et quelques louis que la maman avait ajoutés à cette somme, il reçut la visite d'un jeune mousquetaire qui prétendait être de ses amis. A la vue de cet or et de ces écus, ce jeune insensé se permit de conseiller à mon père de différer son départ, et d'essayer de doubler cette somme qui lui paraissait trop mince

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