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cesse traversait, en courant à toutes jambes, un grand nombre de chambres, et, malgré son empressement, elle n'avait elle n'avait souvent que le temps d'embrasser son père qui partait de là pour la chasse.

Tous les soirs, à six heures, Mesdames interrompaient la lecture que je leur faisais, pour se rendre avec les princes chez Louis XV cette visite s'appelait le débotter du roi, et était accompagnée d'une sorte d'étiquette. Les princesses passaient un énorme panier qui soutenait une jupe chamarrée d'or ou de broderie : elles attachaient autour de leur taille

une longue queue, et cachaient le négligé du reste de leur habillement par un grand mantelet de taffetas noir qui les enveloppait jusque sous le menton. Les chevaliers d'honneur, les dames, les pages, les écuyers, les huissiers, portant de gros flambeaux, les accompagnaient chez le roi. En un instant tout le palais, habituellement solitaire, se trouvait en mouvement; le roi baisait chaque princesse au front, et la visite était si courte, que la lecture, interrompue par cette visite, recommençait souvent au bout d'un quart d'heure : Mesdames rentraient chez elles, dénouaient les cordons de leur jupe et de leur queue, reprenaient leur tapisserie, et moi mon livre....

Pendant l'été, le roi venait quelquefois chez les princesses avant l'heure de son débotter: un jour il me trouva seule dans le cabinet de madame Victoire, et il me demanda où était Coche et comme j'ouvrais de grands yeux, il renouvela sa question,

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mais sans que je le comprisse davantage. Quand le roi fut sorti, je demandai à Madame de qui il avait voulu parler. Elle me dit que c'était d'elle, et m'expliqua d'un grand sang-froid qu'étant la plus grasse de ses filles, le roi lui avait donné le nom d'amitié de Coche, qu'il appelait madame Adélaïde Loque, madame Sophie Graille, madame Louise Chiffe. Le piquant des contrastes pouvait seul faire trouver au roi quelque gaieté dans l'emploi de mots semblables. Les gens de son intérieur avaient remarqué qu'il en savait un grand nombre, et on pensait qu'il les apprenait avec ses maîtresses; peut-être aussi s'était-il amusé à les chercher dans les dictionnaires. Si ces façons de parler triviales trahissaient ainsi les habitudes et les goûts du roi, ses manières ne s'en ressentaient nullement sa démarche était aisée et noble, il portait sa tête avec beaucoup de dignité; son regard, sans être sévère, était imposant; il joignait à une attitude vraiment royale une grande politesse, et saluait avec grâce la moindre bourgeoise que la curiosité attirait sur son passage.

Il était fort adroit à faire certaines petites choses futiles sur lesquelles l'attention ne s'arrête que faute de mieux; par exemple, il faisait très-bien sauter le haut de la coque d'un œuf d'un seul coup de revers de sa fourchette: aussi en mangeait-il toujours à son grand couvert, et les badauds, qui venaient le dimanche y assister, retournaient chez eux moins enchantés de la belle figure du roi que de l'adresse avec laquelle il ouvrait ses œufs.

Dans les sociétés de Versailles on citait avec plaisir quelques réponses de Louis XV, qui prouvaient la finesse de son esprit et l'élévation de ses sentimens. Elles ont été placées dans des recueils d'anecdotes, et sont généralement connues.

Ce prince était encore aimé; on eût désiré qu'un genre de vie, convenable à son âge et à sa dignité, vînt enfin jeter un voile sur les égaremens du passé, et justifier l'amour que les Français avaient eu pour sa jeunesse. Il en coûtait de le condamner sévèrement. S'il avait établi à la cour des maîtresses en titre, on en accusait l'excessive dévotion de la reine. On reprochait à Mesdames de ne point chercher à prévenir le danger de voir le roi se composer une société intime chez quelque nouvelle favorite. On regrettait madame Henriette, sœur jumelle de la duchesse de Parme; cette princesse avait eu de l'influence sur l'esprit du roi; on disait que, si elle eût vécu, elle se serait occupée de lui procurer des amusemens au sein de sa famille; qu'elle aurait suivi le roi dans ses petits voyages, et aurait fait les honneurs des petits soupers qu'il aimait à donner dans ses appartemens intérieurs.

Mesdames avaient trop négligé les moyens de plaire au roi, mais on pouvait en trouver la cause dans le peu de soins qu'il avait accordés à leur jeunesse.

Pour consoler le peuple de ses souffrances, et fermer les yeux sur les véritables déprédations du trésor, les ministres faisaient de temps en temps

TOM. 1.

2

peser sur la maison du roi, et même sur les dépenses personnelles, les réformes les plus exagérées.

Le cardinal de Fleury, qui, à la vérité, eut le mérite de rétablir les finances, poussa ce système d'économie au point d'obtenir du roi de supprimer la maison et l'éducation des quatre dernières princesses. Elles avaient été élevées, comme simples pensionnaires, dans un couvent, à quatre-vingts lieues de la cour. La maison de Saint-Cyr eût été plus convenable pour recevoir les filles du roi; le cardinal partageait probablement quelques-unes de ces préventions qui s'attachent toujours aux plus utiles institutions, et qui, depuis la mort de Louis XIV, s'étaient élevées contre le bel établissement de madame de Maintenon. Il aima mieux confier l'éducation de Mesdames à des religieuses de province. Madame Louise m'a souvent répété qu'à douze ans elle n'avait point encore parcouru la totalité de son alphabet, et n'avait appris à lire couramment que depuis son retour à Versailles.

Madame Victoire attribuait des crises de terreur panique qu'elle n'avait jamais pu vaincre, aux violentes frayeurs qu'elle éprouvait à l'abbaye de Fontevrauld, toutes les fois qu'on l'envoyait par pénitence prier seule dans le caveau où l'on enterrait les religieuses. Aucune prévoyance salutaire n'avait préservé ces princesses des impressions funestes que la mère la moins instruite sait éloigner de ses enfans.

Un jardinier de l'abbaye mourut enragé; sa demeure extérieure était voisine d'une chapelle de

l'abbaye où l'on conduisit les princesses réciter les prières des agonisans. Les cris du moribond interrompirent plus d'une fois ces prières.

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Les gâteries les plus ridicules se mêlaient à ces pratiques barbares. Madame Adélaïde, l'aînée des princesses, était impérieuse et emportée ; les bonnes religieuses ne cessaient de céder à ses ridicules fantaisies. Le maître de danse seul professeur de talent d'agrément qui eût suivi Mesdames à Fontevrauld, leur faisait apprendre une danse alors fort en vogue, qui s'appelait le menuet couleur de rose. Madame voulut qu'il se nommât le menuet bleu. Le maître résista à sa volonté; il prétendit qu'on se moquerait de lui à la cour, quand Madame parlerait d'un menuet bleu. La princesse refusa de prendre sa leçon, frappait du pied, et répétait bleu, bleu ; rose, rose, disait le maître. La communauté s'assembla pour décider de ce cas si grave; les religieuses crièrent bleu comme Madame; le menuet fut débaptisé, et la princesse dansa. Parmi des femmes si peu dignes des fonctions d'institutrices, il s'était cependant trouvé une religieuse qui, par sa tendresse éclairée, et par les utiles preuves qu'elle en donnait à Mesdames, mérita leur attachement et obtint leur reconnaissance : c'était madame de Soulanges qu'elles firent depuis nommer abbesse de Royal-Lieu. Elles s'occupèrent aussi de l'avance

Cette femme vertueuse mourut victime des fureurs révolutionnaires. Elle et ses nombreuses sœurs furent conduites le

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