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laiffe la liberté à tout le monde de les examiner, on n'a pas peur que certaines gens répandent leur venin & infectent l'efprit des hommes à cet égard. Il ne faut ni Conciles, ni Canons, ni Synodes, ni Bulles pour établir les vérités qu'elles enfeignent: perfonne n'en conteste les propofitions dès qu'il les peut entendre, &: l'on ne verra jamais de brigues pour foutenir ou renverser le moindre principe de ces sciences. En un mot les hommes fe font fouvent entr'égorgés pour des erFeurs, mais jamais pour des vérités.

Ainfi que peut-on dire des Religions qui font naître des haines irréconciliables entre des nations entieres, qui les arment les unes contre les autres, qui les portent à fe détruire par le fer & par le feu, à employer le poison, la trahifon, l'affaffinat & fouvent même à étouffer les cris de la nature? Pourquoi produifent-elles ces funeftes effets? C'eft que ce font des fauffetés.

La vérité produit l'acquiefcement & la concorde; ce qui eft une fource intarisfable de guerres, de difputes, de troubles & de diffenfions doit donc être une fauffeté ou tout au moins une obfcurité, une incertitude foutenue aveuglément par la paffion & par l'intérêt.

Cela eft d'autant plus évident que le zêle de chaque Religion eft le même, quoique toutes different infiniment les unes des autres & s'anathématifent réciproquement.

Il faut au moins un an pour apprendre l'abrégé de la religion Chrétienne & dix ans pour y être un peu verfé. Il faut favoir lire & écrire dans des langues mortes; il faut paffer fa vie à feuilleter des livres ridicules, & être affez prévenu pour les regarder comme divinement inspirés quoiqu'ils choquent le bon fens prefqu'à chaque page: enfin il faut fe faire une étude férieufe de fables, de fubtilités, de concordances impoffibles, & fe mettre à la torture pour concilier des contradictions.

Revenons, mon R. P., plus précisément à notre but; il eft certain que quand une chofe eft contestée de bonne foi par un grand nombre d'hommes éclairés, cette chofe eft ou fauffe, ou obfcure, ou très-difficile à entendre.

Ainfi que peut-on penfer quand on voit que la Religion la plus étendue ou la plus univerfellement reçue, a au moins les trois quarts des hommes contre elle, & que chacune des Religions établies est regardée par les autres comme fauffe,

pernicieuse, abominable? Nous fommes donc forcés d'avouer que nous fuivons avec une opiniâtreté ridicule une fauffeté; ou au moins une chofe très-douteufe, à laquelle nous n'entendons rien nousmêmes, que nous ne pouvons démontrer aux autres, enfin dans laquelle les trois quarts des hommes croient voir clairement que nous fommes dans l'erreur.

Les partifans de chaque Religion font très clairvoyans fur les ridiculités, les abfurdités & les impoffibilités des autres. Vous voyez très-clairement, mon R. P. l'impofture & la fauffeté de la révélation de l'Alcoran; les Juifs & les Payens voient de même celles de l'Evangile, elles font encore plus frappantes pour tout homme fans préjugés. Le Pere Malebranche connoîtroit bien & mettroit dans un beau jour le ridicule du Chriftianifme, fi la prévention & les préjugés de l'éducation n'avoient mis un bandeau fur fes yeux, ou même s'il vouloit effayer d'écarter ce bandeau & de penser par lui-même.

Voyons-nous bien clairement que faute d'un verre d'eau verfé fur notre tête par un Prêtre avec quelques paroles nous fommes éternellement l'objet de la vengeance d'un être infiniment jufte ?

Tous les autres hommes voient clairement qu'un être infiniment jufte, ne peut punir que ceux qui ont librement contrevenu à une loi connue; les Juifs & les Turcs voyent-ils bien clairement que le retranchement d'une partie de leur peau foit une fainteté ? Tout le refte des hommes voit que c'eft une abfurdité.

Les Indiennes voient-elles bien clairement qu'en fe brûlant toutes vives après la mort de leurs maris elles renaîtront plus heureufes, & qu'à la huitieme fois elles gagneront une félicité de mille ans? Tout le refte des hommes voit clairement que c'eft une fotise.

Avouez-le donc, mon R. P., voiezvous auffi clairement que Jéfus-Chrift eft tout entier dans l'hoftie, corps, ame & fang, & que ce même corps eft en cent mille licux en même tems, comme tous les autres hommes qui ne font pas Catholiques Romains voyent que cela eft ab furde & impoffible?

Argument démonftratif.

La vérité ne peut être apperçue fans être reconnue, ni reconnue fans arracher le confentement.

Aucune Religion ne force l'affentiment.

Donc aucune Religion n'eft une vérité fenfible & évidente.

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Pour la mineure la chofe eft claire : autrement tous les hommes choifiroient la Religion qui forceroit leur affentiment & l'on n'auroit nul befoin de prévenir les efprits dès l'enfance, ni d'embrouiller leur jugement de fi bonne heure; il en feroit de la Religion comme de la Géométrie & l'Algèbre.

Second Argument.

Tout ce qui eft contesté de bonne foi & avec fincérité eft ou faux, ou obscur ou incertain.

Toutes les Religions font contestées fincérement & de bonne foi.

Donc toutes les Religions factices font, fauffes, ou, tout au moins, obfcures: &. incertaines.

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