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un soulèvement général, d'où serait sortie la Confédération helvétique. Mais de cette tyrannie, comme de ce soulèvement et de l'alliance qui en aurait été la suite, ni les narrations contemporaines ni les documents authentiques n'ont retenu nulle trace, et ce que ces derniers nous apprennent de l'état intérieur des Waldstätten ne peut guère se concilier avec l'existence d'un régime oppresseur supprimé par une insurrection.

Sans revenir sur ce que nous avons déjà raconté d'Uri, de Schwyz et d'Unterwalden, - où l'on peut, il est vrai, reconnaître, comme du temps du roi Rodolphe, un temps d'arrêt dans les progrès de l'affranchissement politique, mais nul symptôme d'un système de compression rigoureuse, et bien moins encore la perpétration d'actes de débauche, de barbarie et de folle cruauté, nous constatons, vers la fin du règne d'Albert, des incidents qui se concilieraient mal avec un état de choses aussi désordonné. Ainsi, en 1307, le 7 décembre, les gens de Steinen sont tout occupés de régler pacifiquement avec leur curé des intérêts de paroisse, dont il n'est pas probable qu'ils eussent pris tant de souci, au plus fort d'un temps de crise et de perturbation. Six mois plus tôt, la reine Élisabeth s'occupe, de son côté, à doter le monastère d'Engelberg de biens qu'elle vient d'acquérir dans le Bas-Unterwalden, afin que les moines prient pour son propre salut, pour celui de son mari Albert, roi des Romains, et pour celui de leurs enfants. Ceci ne cadre guère mieux avec les scènes sanglantes dont la tyrannie exercée au nom et à l'instigation de ce roi aurait été la cause dans cette vallée. Quand, quelques mois après la mort d'Albert, les gens d'Uri parlent de son règne, ils le font sans que rien indique qu'il ait même été

pour eux, comme les confédérés l'avaient donné à entendre de celui de son père, une époque d'usurpation (bi Kunig Albrechtes seligen von Rom ziten) 26.

Nul changement d'ailleurs n'est survenu dans le régime intérieur des Waldstätten. Ce ne sont pas des baillis envoyés du dehors, mais des landammanns pris parmi eux qui sont à leur tête. La vallée d'Uri possède toujours celui qu'elle a eu depuis quatorze ans, de même qu'à Schwyz ce sont tour à tour un Ab Iberg et un Stauffach qui remplissent cette charge 27. Dans l'Unterwalden où, jusque-là, on n'en avait pas constaté l'existence, elle se montre pour la première fois sous Albert, et le landammann y consacre en sa personne l'unité des deux vallées. Il est difficile de voir, dans tout cela, rien qui s'accorde avec les excès et les abus d'un régime d'intolérable oppression, mis en œuvre par des agents impitoyables; de même qu'on ne comprendrait pas qu'il eût fallu recourir, pour s'y soustraire, à de secrètes ententes et à de mystérieux conciliabules, dans l'un desquels on aurait résolu, pour la première fois, de former, comme si elle n'avait pas été déjà constituée seize ans plus tôt, une confédération défensive. Un annaliste contemporain, dont la narration renferme à peu près autant d'erreurs que de faits exacts, place, il est vrai, en 1306 le premier pacte formé entre les trois Waldstätten (daz was der êrst pund) 28. Mais c'est immédiatement après avoir dit que le roi Albert, bien que porté à s'agrandir à cause de sa nombreuse famille, < était un prince juste et pieux, et qu'il avait si bien maintenu la paix dans le pays, que la ville de Zurich, durant son règne, n'avait jamais fermé ses portes. En sorte que le chroniqueur, qui se trompe du reste complétement sur ce prétendu premier pacte, › pa

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raît l'envisager, moins comme un symptôme d'hostilité et de résistance, que comme un événement conforme au caractère pacifique du temps. Ce qui est sûr, tout au moins, c'est qu'il n'en rapporte l'origine à aucun conflit qui aurait éclaté entre les vallées et la maison d'Autriche, et dont c'eût été précisément l'occasion de dire quelque chose. Nouvelle confirmation de l'ignorance absolue où étaient les contemporains de toute lutte de ce genre.

Il n'y a donc rien, ni dans l'histoire du roi Albert, ni dans celle des Waldstätten, qui puisse justifier, directement ou par déduction, l'imputation de tyrannie féroce par laquelle on a, du même coup, flétri la mémoire de ce prince et expliqué la formation de la Confédération suisse. Cette accusation purement gratuite n'a d'ailleurs pris naissance (comme nous le verrons dans la seconde partie de cette étude) qu'au seizième siècle. Jusque-là le prétendu soulèvement des Waldstätten n'avait pas encore reçu de date précise, et on n'avait pas songé à le rattacher au gouvernement d'Albert. Au seizième siècle même, des deux grands narrateurs de l'histoire nationale, un seul, le plus récent, attribue à ce prince les excès systématiquement commis dans les Waldstätten, l'autre les rapporte au règne de son fils, le roi Frédéric d'Autriche 29.

C'est donc plus de deux siècles après la mort d'Albert, et en contradiction avec tous les témoignages antérieurs quels qu'ils fussent, que s'est produite et définitivement établie une accusation que l'on peut, à juste droit, classer au rang des calomnies, puisqu'elle n'a pas d'autre fondement que l'invention même sur laquelle on prétend l'étayer. La perpétuer serait s'en rendre complice, tandis que le plus simple sentiment d'équité exige que dorénavant on la supprime

comme une injure faite à la vérité. L'histoire est un tribunal qui n'admet pas les procès de tendances, et devant lequel les déclamations passionnées d'une date récente ne sauraient prévaloir contre le silence ou l'affirmation des témoins d'un autre âge. C'est un tribunal qui, lorsqu'il est mieux informé, casse les arrêts déjà rendus en son nom, et qui apporte à l'accomplissement de ce devoir plus de scrupules encore, quand il peut se croire solidaire des jugements qu'il s'agit de réformer. Ce sont des plumes suisses qui ont répandu l'erreur, c'est à des plumes suisses qu'il appartient de la redresser. Aussi n'y a-t-il pas lieu de s'étonner en voyant les plus dignes représentants de la culture historique parmi nous répudier l'héritage du préjugé. ‹ Le règne du roi Albert, › dit l'un d'eux, qui ne méconnaît pas du reste l'état de stricte dépendance où ce prince tenait la haute Allemagne, <fut, pour notre pays, une période de paix presque complète, durant laquelle les documents et les récits contemporains ne signalent nul événement extraordinaire; il ne provoqua aucune résistance, et tout demeura dans un profond repos jusqu'à la mort de ce prince.> << Sous le gouvernement d'Albert, » dit tout récemment encore un autre historien suisse qui ne méconnaît pas davantage son esprit d'envahissement, ‹ on put jouir de l'ordre et de la tranquillité que l'autorité royale avait rétablis dans l'Empire 3o. >

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Ce n'est pas tout le démenti que l'histoire inflige, soit par ses affirmations, soit par son mutisme, à l'existence d'une insurrection qu'aurait suscitée, en 1308, chez les Waldstätten, la tyrannie du roi Albert, trouve sa pleine confirmation dans ce qu'il nous est donné de connaître de la conduite de ce prince durant les derniers mois de son règne et de celle de ses fils

après sa mort. Une révolte qui aurait eu pour conséquence, non-seulement de braver, mais d'outrager son autorité souveraine en allant jusqu'à l'expulsion et au meurtre de ses officiers, n'eût pas été un instant tolérée par un prince non moins jaloux de son pouvoir que résolu à le faire respecter. La ville de Vienne en 1288, les nobles de Styrie quatre ans plus tard, les seigneurs autrichiens en 1297, avaient tous fait l'expérience de la promptitude et de la fermeté avec lesquelles il supprimait les résistances et l'opposition, et nous avons vu plus haut comment, en 1292, il avait, en Suisse même, rapidement dissipé la ligue formée contre lui.

Aussi, quand on le voit, au printemps de 1308, alors qu'il venait recruter, dans la haute Allemagne, des auxiliaires. pour sa guerre de Bohême, séjourner sur les bords du Rhin et de la Limmat, et se rapprocher ainsi du théâtre de cette rébellion prétendue sans faire le moindre préparatif où perce l'intention d'en châtier les auteurs; quand on le voit, au contraire, se servir des troupes qu'il a sous la main pour guerroyer contre les partisans de l'évêque de Bâle et mettre le siége devant le château de Fürstenstein; quand on le voit ensuite tout occupé à célébrer avec éclat les fêtes de Pâques, en s'entourant d'un brillant cortége de grands seigneurs et de prélats; quand on le voit peu après (25 avril), pendant son séjour à Bade, confirmer à l'abbaye de Zurich la possession de domaines dans lesquels se trouvent compris les lieux mêmes qui auraient été le foyer de la révolte; quand on le voit, six jours plus tard, sans vouloir ajouter foi à la révélation du complot qui devait lui coûter la vie, s'égayer dans un banquet avec ses fils et avec le neveu dont la main était déjà levée sur lui, puis s'en aller plein d'empressement à la rencontre de la reine qui venait le rejoin

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