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sensible et vraie! tu as entendu, l'un des premiers, l'ordre éternel de la justice. Oui, tout homme a droit à la terre et doit y avoir en propriété le domaine de son existence... Dans le pacte associatif qui constitue une nation, selon les souverains décrets de la nature et de l'équité, l'homme se donne entièrement à la patrie, et reçoit tout d'elle; chacun lui livre ses droits, ses forces, ses facultés, ses moyens d'existence, et il participe aux droits, aux forces, aux facultés, aux moyens d'existence de tous: grande unité d'où résultent une puissance harmonique, une sécurité entière, toute la somme de bonheur dont chacun est susceptible, et le complément parfait des volontés de la nature 1! »

Qui ne croirait entendre ici comme un écho lointain de ce socialisme, qui est le scandale du XIXe siècle, son épouvante, et sa gloire?

Que ces opinions fussent entièrement celles de tous les membres du Cercle social, non sans doute ni Goupil de Préfeln, ni Mailly de Château-Regnauld, ni Condorcet, n'auraient signé de tels programmes, du moins sans y changer quelque chose. Mais ce n'était point leur cachet que portait la Bouche de fer, c'était celui de Fauchet sous le rapport social, et celui de Bonneville sous le rapport philosophique. Or, tandis que Fauchet recommandait aux hommes, comme le suprême secret du bonheur, l'association universelle, Bonneville s'étudiait à propager le panthéisme :

L'esprit divinisé se conçoir, s'éternise,

Remonte vers les cieux, par les cicux aimanté 2.
L'homme est Dieu.. Connais-toi! Dicu, c'est la vérité.

Ce qui servait aussi à caractériser le Cercle social, c'est que les femmes y étaient admises à revendiquer les droits de leur sexe; à protester contre les institutions et les mœurs qui font si souvent du mariage un vil marché et de l'amour un mensonge. Demander à la révolution d'élever la condi

1 Bouche de Fer, no xv.

2 lbid., no XIV.

tion de la mère, de l'épouse, de l'amante, c'était certaincment lui adresser une requête digne d'elle 1 !

Est-il besoin d'aller plus loin pour marquer la différence qui existait entre le club des Jacobins et le Cercle social? Autant le premier l'emportait par l'intelligence politique, l'énergie et l'activité révolutionnaires, autant le second était supérieur à l'autre, comme portée de vues, hardiesse philosophique, science des idées, intuition de l'avenir. Mais, au Cirque du Palais-Royal, on parlait des avantages de la paix, lorsque partout grondait la guerre; on y agitait les profondeurs de la société, lorsque, à sa surface, mille puissances malfaisantes attiraient les regards et concentraient les inquiétudes. Il était donc naturel que l'influence prépondérante appartînt au club des Jacobins qui répondait mieux, en effet, soit aux nécessités, soit aux préoccupations du jour. D'un autre côté, Voltaire continuait d'être, aux yeux de beaucoup, le premier saint de la révolution; et quand on voyait Claude Fauchet s'attaquer à ce grand nom, involontairement on se rappelait que Fauchet le tribun était, après tout, un prêtre. Ainsi s'expliquent les attaques que dirigèrent contre le Cercle social, et Anacharsis Clootz, et les rédacteurs des Révolutions de Paris, et des patriotes, très-sincères, très-décidés, mais qui n'entendaient point qu'on touchât au patriarche de Ferney, leur idole.

Cependant, tel était l'éclat des prédications du Cirque, telle était la foule qui se pressait à l'entrée de ces routes nouvellement frayées, que le club des Jacobins s'en alarma. Exercé au maniement des passions jalouses, Laclos épiait, pour les mettre en mouvement, une occasion favorable: il prit texte de quelques lettres où des sociétés affiliées interrogcaient sur le Cercle social la société-mère, et, dans une séance qu'il sut rendre orageuse, il éclata. Le crime impardonnable du Cercle social, selon Laclos, était de vouloir la loi agraire. Or, jamais accusation ne fut plus injuste loin de prêcher l'égal partage des terres, système absurde et

1 Voyez dans la Bouche de Fer le discours de madame Palm d'Aelders, lu au Cercle par un des secrétaires, le 3 janvier 1791.

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chimérique, la Bouche de fer ne cessait d'insister sur l'adoption du principe d'association comme seul moyen d'appeler chaque membre de la famille nationale à la jouissance du droit de propriété. A la vérité, Bonneville avait vanté la loi agraire dans un de ses livres, mais cette opinion n'avait prévalu ni dans les enseignements oraux du Cercle social, ni dans le journal qui était le Moniteur officiel de sa doctrine. Camille Desmoulins assistait à la séance où Laclos prononça son réquisitoire. Sans entrer dans l'examen de la question soulevée, il prit généreusement la défense des absents; il affirma que les révolutionnaires du Cirque étaient les frères des Jacobins en apostolat; qu'il avait fait nombre d'agapes avec eux et les avait reconnus à la fraction du pain; » qu'il n'y avait pas de différence entre les deux clubs, sinon qu'à l'entrée on payait neuf livres dans l'un et douze dans l'autre... On ne le laissa pas achever. Laclos avait fait à l'esprit de corps un appel qui n'avait été que trop bien entendu. Le pauvre Camille dont c'était le coup d'essai oratoire, et qui, comme il le raconte lui-même fort plaisamment, s'était attendu à quelque magnifique triomphe, fut obligé de descendre de la tribune, au milieu des huées, sauf à reprendre dans son journal le plaidoyer resté sur ses lèvres. On adopta la motion de Laclos, qui consistait à envoyer aux sociétés affiliées une adresse pour les avertir de ne point confondre les deux clubs; et, le lendemain, usant de représailles, le directoire du Cercle social décida que désormais les cartes des Jacobins ne vaudraient plus billets d'entrée au Cirque 1.

Vers la fin d'octobre 1790, le club des Impartiaux, qu'on avait cru mort, ressuscita tout à coup sous le nom de club Monarchique, et avec une organisation plus complète, avec des moyens d'action plus puissants. Cette fois, c'était Clermont-Tonnerre qui figurait sur le premier plan. Son but était de pousser l'opinion publique à l'adoption d'un système constitutionnel à peu près semblable à celui des An

1 Révolutions de France et de Brabant, no 54.

glais 1. Il n'ignorait point que, pour cela, il aurait à combattre les Jacobins : il s'y prépara résolûment. Des affiliations du club Monarchique furent établies en province; on admit comme membres des personnes de toute classe, de toute profession; l'on convint que les associés, en se faisant recevoir, paycraient une somme proportionnée à leurs res · sources, et que ces fonds seraient employés en largesses 2. Bientôt les distributions commencèrent. Des cartes émanant de la société et signées par son directoire mirent un grand nombre de pauvres en état de se procurer du pain chez certains boulangers, au prix d'un sol six deniers la livre sculement, et même pour rien. Le pain de quatre livres se vendait alors neuf sols 3. Mais ce que le club

Monarchique avait cru propre à servir ses desseins fut justement ce qui tourna contre lui. On l'accusa de manœuvres corruptrices. Quoi! il osait tenter de séduire la multitude! La conscience du pauvre est-elle done de si peu de valeur qu'on pût lui demander de la livrer en échange d'un morceau de pain? L'opinion publique en France allait-elle être mise à l'encan, comme autrefois l'empire dans Rome avilie? De brûlantes dénonciations, parties du club de la rue SaintHonoré, trouvèrent en chaque quartier de Paris des échos qui leur donnèrent, en les répétant, l'accent de la menace. Les faubourgs s'ébranlèrent. La municipalité se montrait indécise et troublée. Le 25 janvier 1791, dans la séance du jour, Barnave n'hésita pas à porter à la tribune le ressentiment des Jacobins. Il invoqua les magistrats chargés de veiller à la tranquillité publique ; il invoqua, contre le danger de ees distributions de pain à moitié prix, la prudente sévérité du comité des recherches, laissant entendre qu'elles n'étaient que le salaire payé d'avance aux émeutes qui sont à vendre. Le bruit avait couru que le pain distribué était empoisonné. Cette rumeur, le discours de Barnave, le ser

1 Mémoires de Ferrières, t. II, liv. VIII, p. 222.

2 Ibid.

Voyez le Club des Jacobins, par Ribeyrolles, dans la Réforme, no du 10 janvier 1849.

ment fait par les Jacobins dans leur club de défendre de leur sang et de leur fortune, comme si la chose publique cût été en danger, tout citoyen assez dévoué pour dénoncer les conspirateurs, les traîtres, bouleversèrent Paris. ClermontTonnerre se vit entouré, dans sa maison, d'une foule irritée. Il se présente, on crie à la lanterne! Il parle, les cris redoublent. Il propose de s'expliquer à sa scction et se met en marche, on se précipite sur ses pas, mais si tumultueusement, que quelques-uns de ses collègues, le jugeant en péril, accoururent et le dégagèrent '.

Dans ces circonstances critiques, Clermont-Tonnerre déploya une fermeté stoïque. Il alla trouver Bailly, lui représenta que le droit de réunion existait pour tous les citoyens, se plaignit d'être opprimé. Bailly lui disant qu'il était luimême du club des Jacobins : « Tant pis, monsieur, répondit-il, le chef de la municipalité ne doit être d'aucun club,» et il déclara qu'il tiendrait bon. Mais comment? Le mouvement imprimé aux esprits était d'une violence telle qu'il emportait jusqu'au pouvoir municipal. Une fois encore, le club Monarchique se rassembla; ce fut la dernière. Ferrières assure que le peuple s'étant de nouveau attroupé, cinq ou six Jacobins lui montrèrent des cocardes blanches qu'ils avaient apportées dans leurs poches et qu'ils prétendirent avoir saisies sur les monarchiens. Il n'en fallait pas tant pour combler la mesure des colères : la salle fut prise d'assaut. Bailly survenant dans son carrosse, on l'enivra d'acclamations qui le firent complice du désordre; si bien que, le lendemain, un arrêté de la municipalité, qui rejetait sur le club Monarchique la responsabilité de l'émeute dont il avait été victime, défendit aux membres qui le composaient de s'assembler à l'avenir 2.

S'il en faut croire Ferrières, les Jacobins des départcments répétèrent les mêmes scènes dans toutes les villes où existaient des clubs monarchiques. On les dénonça, on les

1 Mémoires de Ferrières, t. II, liv. VIII, p. 227.

2 Ibid., p. 230.

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