1732. abfolument le grand prêtre. Je donne plus au tra gique et moins à l'épique, et je fubftitue, autan que je peux, le vrai au merveilleux. Je conferv pourtant toujours mon ombre, qui n'en fera que plus d'effet lorfqu'elle parlera à des gens pou lefquels on s'intéreffera davantage. Voilà en gé néral quel eft mon plan. Je me fais bon gré d'en avoir arrêté l'impreflion, et de m'être retenu fu le bord du précipice dans lequel j'allais tombe comme un fot. Adieu; je vous aime bien tendrement, mon cher ami; il faudra que vous reveniez ici ou que je retourne à Rouen, car je ne peux plus me paffer de vous voir. LETTRE LX. A M. DE FORM ON T. Paris, juillet. E ne comptais vous écrire, mon cher ami, qu'en vous envoyant Eriphyle et Zaïre. J'espère que vous les aurez inceffamment. En attendant, il faut que je me difculpe un peu fur l'édition de mes Oeuvres, foi- difant complètes, qui vient de paraître en Hollande. Je n'ai pu me difpenfer de fournir quelques corrections et quelques changemens au libraire qui avait déjà mes ouvrages, qui les imprimait malgré moi fur les copies dé fectueufes qui étaient entre fes mains. Mais ne fachant pas précisément quelles pièces fugitives il avait de moi, je n'ai pu les corriger toutes. Nonfeulement je ne réponds point de l'édition, mais et J'empêcherai qu'elle n'entre en France. Nous en aurons bientôt une corrigée avec plus de foin et plus complète. Je doute que dans cette édition que je médite, je change beaucoup de chofes dans l'épitre à M. de la Faye. Il eft vrai que j'y parle un peu durement de Rouffeau; mais lui ai-je fait tant d'injustice? n'ai-je pas loué la plupart de fes épigrammes et de fes pfaumes? J'ai feulement oublié les odes, mais c'est, je crois, une faute du libraire; j'ai rendu juftice à ce qu'il y a de bon dans fes épitres, et j'ai dit mon fentiment librement fur tous fes ouvrages en général, Serez-vous donc d'un autre avis que moi, quand je vous dirai que, dans tous fes ouvrages raifonnés, il n'y a nulle raifon; qu'il n'a jamais un deffein fixe, et qu'il prouve toujours mal ce qu'il veut prouver ? Dans fes allégories, fur-tout dans les nouvelles, a-t-il la moindre étincelle d'imagination? et ne ramène-t-il pas perpétuellement fur la fcène, en vers fouvent forcés, la defcription de l'âge d'or et de l'âge de fer, et les vices mafqués en vertus, que M. Defpréaux avait introduits auparavant en vers coulans et naturels? Pour la perfonne de Rouffeau, je ne lui dois aucuns égards; je n'ai feulement qu'à le remercier d'avoir fait contre moi une épigramme fi mauvaise qu'elle eft inconnue quoique imprimée. Le petit abbé Linant va faire une tragédie: je l'y ai encouragé. C'eft envoy.r un homme à la tranchée, mais c'eft un cadet qui a befoin de faire fortune, et de tout rifquer pour cela. M. de Nesle m'avait promis de le prendre, mais il ne lui donne 1732. pas l'effet qu'elle devrait faire, parce qu'elle en 1732. dit moins que Théandre n'en a fait entendre. Enfin, la reine ne finit point cet acte par les fentimens qu'elle devrait avoir. Elle ne marque que 1 le défir d'époufer Aleméon. Il faut qu'elle exprime des fentimens de tendreffe, d'horreur et d'incertitude. Il me paraît qu'il y a très-peu à réformer au Comme un arrêt de Melpomène. LETTRE LVII. A M. DE CIDEVIL L E. JE lifais ces jours paffé, mon cher ami, que les que autre, et j'ai pris une ferme réfolution de ne jeter les yeux fur Eriphyle que quand la nouvelle tragédie fera achevée. Celle-ci fera faite pour le cœur autant qu'Eriphyle était faite pour l'imagination. La fcène fera dans un lieu bien fingulier; l'action fe paffera entre des turcs et des chrétiens. Je peindrai leurs mœurs autant qu'il me fera pollible, et je tâcherai de jeter dans cet ouvrage tout ce que la religion chrétienne femble avoir de plus pathé tique et de plus intéreffant, et tout ce que l'amour a de plus tendre et de plus cruel. Voilà ce qui va m'occuper fix mois; quod felix, fauftum mufulmanumque fit. Je vis avant-hier l'abbé Linant, pour qui je me feas bien de l'eftime et de l'amitié. Ce qu'il vaut, c'est à-dire, ce que vous pensez de lui, me fait extrêmement regretter de n'avoir pu le fervir comme je le défirais. Vous favez que mon deffein était de vivre avec lui chez madame de FontaineMartel; j'y étais même intéreffé. Un homme de lettres qui eft né avec tant de talens, et qui ne paraît fi aimable, que vous aimez, et qui m'aurait entretenu de vous, aurait fait la douceur de ma vie. Madame de Fontaine n'a pas voulu entendre raifon; elle prétend que Thiriot l'a rendu fage. Elle lui donnait douze cents francs de penfion, et avec cela n'en a point été contente. Elle croit que tout jeune homme en ufera de même. Le fils du pauvre Crébillon, frère ainé de Rbadamiste, et encore plus pauvre que fon père, lui a été préfenté dans cet intervalle. Elle l'a affez goûté; mais fachant qu'il avait vingt-cinq ans, 1732 elle n'a pas voulu le loger. Je crois qu'elle ne m'a 1732. dans fa maifon que parce que j'ai trente-fix ans et une trop mauvaise fanté pour être amoureux; Je fuis en vérité bien faché de la haine que |