Images de page
PDF
ePub

88

NOTICE

SUR FENELON.

Fénelon, François de Salignac de Lamotte, d'une famille ancienne et illustre, naquit au château de Fénelon en Périgord, le 6 août 1651. Sous les yeux d'un père vertueux, il fit avec autant de succès que de rapidité ses études littéraires; et dès l'enfance, nourri de l'antiquité classique, élevé dans la solitude parmi les modèles de la Grèce, son goût noble et délicat parut en même temps que son heureux génie. Appelé à Paris par son oncle, le marquis de Fénelon, pour achever ses études philosophiques et commencer le cours de théologie nécessaire à sa vocation naissante, il soutint, à quinze ans, la même épreuve que Bossuet, et prêcha devant un auditoire moins célèbre à la vérité que celui de l'hôtel de Rambouillet. Cet éclat d'une réputation prématurée alarma le marquis de Fénelon, qui, pour soustraire le brillant jeune homme aux séductions du monde et de l'amourpropre, le fit entrer au séminaire de Saint-Sulpice. Dans cette retraite, Fénelon se pénétra de l'esprit évangélique, et mérita l'amitié d'un homme vertueux, M. Tronson, supérieur de Saint-Sulpice. Il y reçut les ordres sacrés.

Ce fut alors que sa ferveur religieuse lui inspira le dessein de se consacrer aux missions du Canada. Tra

་་

[ocr errors]

་་

versé dans ce projet par les craintes de sa famille et la faiblesse de son tempérament, il tourna bientôt ses regards vers les missions du Levant, vers la Grèce, où le profane et le sacré, où saint Paul et Socrate, où l'église de Corinthe, le Parthénon et le Parnasse appelaient son imagination poétique et religieuse. Enchanté par les souvenirs d'Athènes, il s'indignait à la pensée que cette patrie des lettres et de la gloire fût la proie des barbares : Quand verrai-je, s'écriait-il, le sang des Perses se mêler à celui des Turcs dans les champs de Marathon, pour laisser la Grèce entière à la religion, à la philosophie et aux beaux-arts qui la réclament comme << leur patrie ! >> Ces divers enthousiasmes du jeune apôtre cédèrent cependant à de plus graves considérations. Et Fénelon, détourné de ces missions lointaines, se consacra tout entier à un apostolat qu'il ne croyait pas moins utile, l'instruction des Nouvelles Catholiques. Les devoirs et les soins de cet emploi, dans lequel il ensevelit son génie pendant dix années, le préparèrent à la composition de son premier ouvrage, le Traité de l'éducation des Filles, chef-d'œuvre de délicatesse et de raison, que n'a point surpassé l'auteur d'Émile et le peintre de Sophie. Cet ouvrage était destiné à la duchesse de Beauvilliers, mère pieuse et sage d'une famille nombreuse. Fénelon, dans la modeste obscurité de son ministère, entretenait déjà avec les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse cette amitié vertueuse, qui résista également à la faveur et à la disgrâce, à la cour et à l'exil.

Il avait trouvé dans Bossuet un attachement qui devait être moins durable. Admis à la familiarité de ce grand homme, il étudiait son génie et sa vie. L'exemple de Bossuet, dont la religion toute polémique s'exerçait par des controverses et des conversions, inspira sans doute à Fénelon le Traité du ministère des Pasteurs, ouvrage

dans lequel il combat les hérétiques avec plus de modération que n'en montrait son illustre modèle. Le sujet, le mérite de cet ouvrage, et le suffrage tout-puissant de Bossuet engagèrent Louis XIV à confier à Fénelon le soin d'une mission nouvelle dans le Poitou. L'uniformité rigoureuse que Louis XIV voulait étendre sur toutes les consciences de son royaume, et la résistance qui naissait de l'oppression, obligeaient souvent le monarque à faire soutenir ses missionnaires par des soldats. Fénelon ne se borna point à rejeter absolument l'odieuse assistance des dragons; il voulut choisir lui-même les collègues ecclésiastiques qui partageraient un ministère de persuasion et de douceur. Il convertit sans persécuter, et fit aimer la croyance dont il était l'apôtre.

L'importance que l'on attachait alors à de semblables missions attira, plus que jamais, les regards sur Fénelon, qui s'en était heureusement acquitté. Un grand objet était offert à l'ambition et au talent. Le Dauphin, petitfils de Louis XIV, sortait de la première enfance; et le roi cherchait en quelles mains il confierait ce précieux dépôt1. La vertu, aidée de la faveur de madame de Maintenon, obtint la préférence. M. de Beauvilliers fut nommé gouverneur ; et il choisit et fit agréer au roi Fénelon, pour précepteur du jeune prince. Ces vertueux amis, secondés par les soins de quelques hommes dignes de les imiter, commencèrent la noble tâche d'élever un roi. L'histoire atteste que jamais on ne vit un concours plùs parfait de volontés et d'efforts. Fénelon, par la supériorité naturelle de son génie, était l'âme de cette réunion. C'était lui qui, transporté par l'espérance de placer un jour la vertu sur le trône, et voyant le bonheur de la France dans l'éducation de son roi, détruisait avec un art admirable tous

En 1689.

les germes dangereux que la nature et que le sentiment prématuré du pouvoir avaient jetés dans ce jeune cœur, et faisait succéder à tous les défauts d'un caractère indomptable l'habitude des plus salutaires vertus. Cette éducation, dont il nous reste d'immortels monuments dans quelques écrits de Fénelon, paraissait le chef-d'œuvre du génie qui se consacre au bonheur des hommes.

Fénelon, transporté au milieu de la cour, et ne s'y livrant qu'à demi, se faisait admirer par les grâces d'un esprit brillant et facile, par le charme de la plus noble et de la plus éloquente conversation. Il y avait en lui quelque chose de séduisant et d'inspiré. L'imagination, le génie lui échappaient de toutes parts; et la plus élégante politesse embellissait et faisait pardonner l'ascendant du génie. Cette supériorité personnelle excitait beaucoup plus d'admiration que le petit nombre d'ouvrages sortis de sa plume. C'est sous ce rapport qu'il fut loué à l'époque de sa réception à l'Académie; et, peu de temps après, la Bruyère le peignit encore sous les mêmes traits, reconnaissables pour tous les contemporains. «< On « sent, dit-il, la force et l'ascendant de ce rare esprit, « soit qu'il prêche de génie et sans préparation, soit qu'il « prononce un discours étudié et oratoire, soit qu'il explique ses pensées dans la conversation: toujours maître « de l'oreille et du cœur de ceux qui l'écoutent, il ne «<leur permet pas d'envier ni tant d'élévation, ni tant de facilité, de délicatesse, de politesse.

་་

[ocr errors]

>>

Cet ascendant de vertu, de grâce et de génie, qui excitait, dans le cœur des amis de Fénelon, une tendresse mêlée d'enthousiasme, et qui avait séduit madame de Maintenon, malgré sa défiance et sa réserve, échoua toujours contre les préventions de Louis XIV. Ce prince estimait sans doute l'homme auquel il confiait l'éducation de son petit-fils; mais il n'eut jamais de goût pour lui.

On a cru que l'élocution brillante et facile de Fénelon gênait un prince qui ne voulait nulle part sentir une autre prééminence que la sienne. Mais, si l'on jette les yeux sur une lettre où Fénelon, dans l'épanchement de la confiance, avertissait madame de Maintenon que Louis XIV n'avait aucune idée de ses devoirs de roi, on supposera sans peine qu'une opinion aussi dure, dont Fénelon paraît trop pénétré pour n'en avoir jamais laissé échapper quelque révélation indiscrète, ne dut pas rester complétement ignorée d'un monarque trop accoutumé aux louanges, et qui pouvait s'offenser même d'un jugement moins sévère. L'histoire n'a point partagé l'extrême rigueur de cette opinion sur un prince qui, dans l'exercice d'un pouvoir absolu, il est vrai, porta toujours de la bienséance et de la grandeur, et maintint l'honneur sous le despotisme, son plus grand ennemi. Fénelon avait conservé à la cour le plus irréprochable désintéressement. Il y passa cinq années dans la place éminente de précepteur du Dauphin, sans demander, sans recevoir aucune grâce. Louis XIV, qui savait récompenser noblement et avec choix, voulut réparer cet oubli, et il nomma Fénelon à l'archevêché de Cambrai1. Ce moment de faveur et de prospérité était celui où Fénelon devait être frappé d'un coup funeste à son crédit, et qui même aurait mortellement blessé une réputation moins inviolable.

Depuis longtemps, Fénelon, que le mouvement de son âme portait à une dévotion vive et spirituelle, avait cru reconnaître une partie de ses principes dans la bouche d'une femme pieuse et folle, mais qui sans doute avait beaucoup de persuasion et de talent, puisqu'elle obtint une influence extraordinaire sur plusieurs esprits supérieurs. Madame Guyon, écrivant et dogmatisant sur la

En 1694.

« PrécédentContinuer »