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comme les plus grandes figures de l'humanité. Dans cet ordre d'idées, les miracles cessent d'être une imposture inventée pour confirmer la fraude. Que faut-il donc penser des prodiges attribués à Moïse et à Jésus-Christ? Spinoza a inauguré une explication des miracles que la science moderne peut accepter. Il remarque d'abord que l'on a mal entendu l'Écriture sainte. Quand elle dit qu'une chose est l'œuvre de Dieu, elle veut dire qu'elle a été faite suivant les lois et l'ordre de la nature, et point du tout, comme le croit le vulgaire, que la nature a cessé d'agir pour laisser faire Dieu. Si donc nous rencontrons dans l'Écriture ⚫ certains faits dont la cause naturelle nous échappe, ou même qui semblent contraires aux lois de la nature, cela ne doit point nous arrêter; nous devons demeurer convaincus que tout ce qui est effectivement arrivé est arrivé naturellement. Si l'Écriture rapporte tout directement à Dieu, en négligeant les causes naturelles, c'est que son but n'est pas d'expliquer les choses par leurs causes prochaines, mais de les présenter de façon à exciter la dévotion des hommes et particulièrement du vulgaire. Il faut encore tenir compte, dit Spinoza, de l'imagination de ceux qui rapportent les faits. Quand on lit dans la Bible que le mont Sinaï a lancé de la fumée parce que Dieu venait d'y descendre entouré de flammes, ou que le prophète Élie est monté au ciel sur un char enflammé traîné par des chevaux de feu, il ne faut voir dans ces représentations fantastiques que les opinions de ceux qui les racontent; ils les donnent comme réelles, et ils les croient réelles. Ce n'est pas une raison pour que nous prenions ces imaginations pour des réalités. Restent les événements qui sont évidemment contraires aux lois de la nature. Spinoza n'hésite pas à dire que ces choses ont été mises dans les livres saints par une main sacrilége: car ce qui est contre la nature, dit le philosophe, est contre la raison, et ce qui est contre la raison est absurde et doit être rejeté (1).

Sur ce dernier point, les interprètes modernes se sont écartés de la doctrine de Spinoza; non pas qu'ils admettent des faits contraires à la nature, mais ils les expliquent par la tradition ou par le mythe, comme disent les écrivains allemands. C'est dire que

(1) Spinoza, Tractatus theologico-politicus, c. vI.

l'illusion de la foi est la source principale des faits miraculeux. Mais la foi exclut-elle nécessairement la fraude? Nous avons des fraudes sans nombre que l'on appelle pieuses; puisqu'on accole ces deux mots qui semblent s'exclure l'un l'autre, il faut croire qu'il y a une espèce de piété qui se concilie avec le calcul, disons le mot, avec l'imposture. Ce ne sont pas des libres penseurs qui ont imaginé les fraudes pieuses, ce sont des chrétiens. Les chrétiens ne doivent donc ni s'étonner, ni se plaindre si les libres penseurs les prennent au mot; seulement là où les premiers honorent la piété, lors même qu'elle a recours à la fraude, ceux-ci flétrissent la fraude, lors même que la piété s'y mêle; pour mieux dire, ils ne veulent pas voir une vraie piété là où il y a un mélange d'imposture. Il faut appeler les choses par leur nom : que la tradition, que le mythe aient produit des miracles, nous le croyons volontiers, mais quand le mensonge, quand l'imposture jouent un rôle dans la tradition, ou dans la formation du mythe, flétrissons-les, sinon nous aurons l'air d'excuser ce qui ne mérite pas d'excuse, la mauvaise foi.

Les miracles de l'Évangile remontent à ce qu'on appelle les beaux temps du christianisme; et il répugne à ceux auxquels la religion est chère, de croire que les chrétiens, dans la première ferveur de la foi, aient forgé des miracles pour y appuyer leur croyance ou pour la répandre. Toutefois il est certain qu'il y a des faux qui remontent au berceau du christianisme : « Les premiers chrétiens, dit Voltaire, ont imaginé de fausses prédictions des sibylles; ils ont supposé des Évangiles; ils ont cité d'anciennes prophéties qui n'existaient pas; ils ont fabriqué des lettres de Paul à Sénèque et de Sénèque à Paul; ils ont supposé même des lettres de Jésus-Christ; ils ont interpolé des passages dans l'historien Josèphe; ils ont forgé des constitutions apostoliques et jusqu'au symbole des apôtres. S'ils sont reconnus faussaires sur tant de points, ils doivent être reconnus faussaires sur les autres. Or, les Évangiles sont les seuls monuments des miracles de Jésus; ces Évangiles si longtemps ignorés se contredisent; donc ces miracles sont d'une fausseté palpable (1). »

La conclusion est trop absolue. Toujours est-il que des fraudes

(1) Voltaire, Questions sur les miracles. (OEuvres, t. XLI, pag. 302-324.)

pieuses furent employées pour accréditer les miracles. Des prodiges inouïs, si nous en croyons les évangelistes, arrivèrent à la mort de Jésus. Saint Mathieu dit que depuis la sixième heure du jour jusqu'à la neuvième, toute la terre fut couverte de ténèbres. Voilà un miracle qui était bien fait pour convertir toute la terre, puisque toute la terre en était témoin. Malheureusement, sauf une poignée de chrétiens, la terre n'a jamais rien su de ces ténèbres. Comment se tirer de ce mauvais pas? Origène réduisit toute la terre aux environs de Jérusalem. Ainsi les ténèbres générales deviennent locales; mais celles-ci mêmes ne sont pas constatées; le dire d'un évangéliste ne suffit évidemment pas pour les prouver, il faudrait le témoignage d'un Juif ou d'un païen. Un zélé chrétien eut recours à une fraude pieuse pour sauver le miracle; il fabriqua des écrits qu'il attribua à saint Denis l'Aréopagite. On y fait dire à ce saint fabuleux que lui et l'ami auquel il écrit virent distinctement la lune quitter la place qu'elle occupait dans le ciel, vis-à-vis du soleil, et se rapprocher de cet astre qu'elle couvrit entièrement de son ombre. Voilà un mensonge palpable, inventé pour confirmer un des miracles les plus importants de l'Evangile. C'est une impiété, un sacrilége, de faire intervenir Dieu, pour légitimer par son autorité les bêtises et les fraudes des hommes. Non, Dieu n'intervertit pas les lois de la nature pour chasser une légion de démons du corps de deux possédés, et pour les envoyer dans deux mille porcs lesquels vont se jeter à la mer. Non, Dieu ne bouleverse pas les lois de la nature, pour changer l'eau en vin dans un repas de noces où les convives sont déjà ivres. Non, Dieu n'envoie pas le diable pour tenter son Fils, lequel est consubstantiel avec le Père. Non, Dieu ne fait pas sortir les morts de leurs tombeaux, pour attester la divinité impossible du Christ. Les orthodoxes prétendent que Dieu a opéré ces prodiges pour établir et propager la vraie religion. Mais si cette religion est la seule vraie, si elle doit durer jusqu'à la fin des siècles, les moyens employés, il y a deux mille ans, par la Providence pour l'établir, doivent servir encore aujourd'hui pour la consolider. Cependant tout le contraire arrive. Les miracles, au lieu de fortifier la foi, l'ébranlent et la détruisent. Déjà au dix-septième siècle, Voltaire disait : « Je veux faire de Jésus un juste et un sage; il ne serait ni l'un ni l'autre, si tout ce que disent les Évangiles était vrai, et ces

aventures ne peuvent être vraies, parce qu'elles ne conviennent ni à Dieu ni aux hommes. Permettez-moi, pour estimer Jésus, de rayer des Évangiles les miracles qui le déshonorent. Je défends Jésus contre vous (1). » Voltaire a raison. Le monde moderne ne croit plus au surnaturel; dès lors, s'obstiner à maintenir les miracles, c'est compromettre l'existence même du christianisme. Si l'on veut sauver la religion chrétienne, il en faut séparer tout ce qui tient du prodige. Ce travail se fait dans la conscience générale en dépit des efforts d'une aveugle orthodoxie.

(1) Voltaire, Dieu et les hommes, ch. xxxi. (OEuvres, t. XXX, pag. 276.)

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CHAPITRE II

L'IDÉE DE LA RÉVÉLATION

§ 1. La révélation miraculeuse

No 1. La révélation miraculeuse est-elle en harmonie avec la destinée humaine?

Avec les miracles et les prophéties s'écroulent les fondements du christianisme traditionnel. Est-ce à dire que toute religion tombe avec la religion du Christ? Pendant longtemps amis et ennemis s'accordaient sur cette question capitale. Les philosophes du dernier siècle, les matérialistes du moins, comptaient bien qu'en ruinant le christianisme, ils ruinaient pour toujours toute religion, ou, comme ils disaient, toute superstition. Il y avait, il est vrai, des spiritualistes qui n'attaquaient dans le christianisme que ses dogmes absurdes, sa prétention à une origine divine, et qui voulaient mettre à sa place la religion naturelle. Mais à ceux-ci les défenseurs de l'Église objectaient que la religion révélée était la seule religion possible; qu'il y avait donc à choisir voulait-on conserver une religion, il fallait maintenir le christianisme traditionnel si l'on détruisait le catholicisme, on détruisait par cela même toute religion, et avec la religion, la morale et la société. Il faut nous arrêter à cette nouvelle phase de la lutte entre la libre pensée et l'orthodoxie chrétienne; c'est celle qui pour nous, hommes du dix-neuvième siècle, a le plus d'intérêt, car c'est de notre avenir qu'il s'agit. Nous avons la conviction qu'il n'y a point de vie sans religion. Reste à savoir s'il n'y a point de religion possible en dehors de l'Église catholique.

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