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successeur un pape d'un génie plus doux; Ganganelli comprenait les exigences de son temps: il abolit les jésuites, et il chercha à se concilier les princes, en prêchant le respect de l'autorité temporelle. C'est un autre signe de décadence. Ganganelli, organe et chef du pouvoir spirituel, constate le mal croissant de l'incrédulité : « A quelle époque vit-on jamais s'élever, presque chaque jour, et circuler de si pernicieuses opinions, tendantes à affaiblir et à détruire la foi? Aussi sommes-nous remplis de douleur à la vue de cette pestilentielle maladie des âmes, qui s'étend et se propage malheureusement de jour en jour. » Le mal est certes un mal spirituel. Or, n'y a-t-il pas un pouvoir spirituel, qui se concentre dans le pape? Pourquoi Ganganelli n'a-t-il point recours aux armes spirituelles? Le pape sait ce qu'elles valent; il sait, par sa propre expérience, que ce sont les rois qui font la loi à l'Église. Il cherche à les intéresser au salut de la religion : « Personne, dit-il, n'a jamais déclaré la guerre aux divines prescriptions du Christ, qu'il n'ait en même temps diminué le respect dû aux princes, et troublé la tranquillité des peuples (1). » Ganganelli ne voyait point que les rois étaient de mauvais protecteurs; car eux-mêmes avaient besoin d'être protégés. Que penser de l'Église, quand on voit le pape la placer sous l'appui de Louis XV?« Après Dieu, dit-il, il met sa principale confiance dans la religion dont est pénétré le cœur du roi, son très cher fils en Jésus-Christ, et il attend tout de son royal concours (2). »

Un fait éclate avec évidence dans cette décrépitude de l'Église: les papes, aussi bien que les hauts prélats de France, font sans cesse appel à la solidarité de l'autel et du trône. Et qu'était-ce que la royauté, dont ils invoquaient la protection? La royauté du crapuleux Louis XV! L'Église éveillait la sollicitude des princes, en leur disant que la licence religieuse et la licence politique allaient toujours de pair. Ce qu'elle appelait licence, était le premier éveil de la liberté, de ces droits innés à l'homme, sans lesquels il serait sur la même ligne que la brute. La solidarité du trône et de l'autel voulait donc dire : maintien de l'ancien régime, pour l'État comme pour l'Église. Le pape, pas plus que le clergé de France, ne voyait

(1) Theiner, Epistol. Clementis XIV, pag. 39. Histoire du pontificat de Clément XIV, t. I, pag. 277-279.

(2) Idem, Histoire du pontificat de Clément XIV, t. I, pag. 454.

que le passé qu'il voulait maintenir tombait en ruine, et était destiné à mourir. Il n'y avait qu'une prévision juste dans ces éternelles jérémiades la royauté et l'Église étaient effectivement solidaires, en ce sens que représentant la vieille société, elles devaient mourir ensemble. Elles sont mortes. La réaction ne sauvera pas plus l'Église que la royauté.

CHAPITRE II

LA TOLERANCE PHILOSOPHIQUE

§ 1. Liberté religieuse

No 1. La doctrine de l'Église et les sentiments de l'humanité

I

Nous avons dit qu'en révoquant l'édit de Nantes, Louis XIV fut l'organe de l'opinion publique. Les sentiments de la société laïque ne tardèrent pas à se modifier. Au dix-huitième siècle, il se fit une vive réaction contre l'intolérance du grand roi; elle fut telle qu'insensiblement les horribles édits contre les réformés tombèrent en désuétude. Il n'en fut pas de même du clergé : c'est à peine si les hauts prélats, tous sortis de la noblesse, conservaient quelques croyances chrétiennes, mais on dirait qu'il suffit de passer pour catholique, pour être intolérant. Les évêques et les abbés vont nous dire eux-mêmes quel abîme il y avait entre le clergé et le monde laïque : l'Église était restée immobile, tandis que la société civile avait déserté le catholicisme persécuteur du dix-septième siècle pour une philosophie, dont le premier article de foi était, humanité, tolérance.

Nous sommes en 1750. L'assemblée générale du clergé jette un cri de détresse; elle s'écrie que la foi s'en va. Pourquoi? est-ce la faute de Montesquieu? est-ce la faute de Voltaire? Écoutons l'archevêque d'Albi, exposant ses doléances en comité secret : « Les protestants, dit monseigneur, s'assemblent en très grand nombre;

leurs ministres tiennent des synodes; ils marient et donnent le baptême aux enfants, au mépris de toutes les lois du royaume. De si grands maux sont très affligeants pour l'Église, et en même temps dangereux pour l'État. Tous les prélats de la métropole d'Albi réclament la protection de l'Assemblée, et ses bons offices auprès du roi, qui peut seul arrêter les progrès rapides de l'hérésie. » Ces plaintes ne pouvaient manquer d'être bien accueillies par l'Assemblée. Le cardinal de la Rochefoucauld qui la présidait, dit que le clergé voyait avec la plus profonde douleur la foi s'affaiblir de jour en jour, qu'on devait faire les derniers efforts pour la ranimer, et supplier le roi, avec les plus vives instances, d'exécuter les édits donnés contre les réformés (1).

L'Assemblée remit un mémoire au roi. Elle y rappelle que déjà en 1745, les entreprises des religionnaires avaient formé l'objet de ses justes plaintes; que Sa Majesté s'était montrée sensible au détail affligeant des pertes que faisait la religion, et au progrès d'une secte également ennemie de l'Église et de l'État. Viennent ensuite les griefs : « Les ministres et les prédicants, au mépris des édits et des déclarations qui les ont proscrits sous les peines les plus rigoureuses (la mort), continuent à inonder les provinces et les diocèses où il y a des prétendus réformés; ils y ont aussi rétabli, par voie de fait, l'exercice public de leur religion; ils ont chacun leur département; ils exercent les mêmes fonctions et la même autorité qu'avant la révocation de l'édit de Nantes; ils prêchent, ils baptisent, ils marient, ils visitent et exhortent les malades, ils enterrent les morts avec appareil; ils tiennent des synodes, ils font des règlements, leur subsistance est assurée (2). » Tels étaient les sentiments du clergé de France, au milieu du dixhuitième siècle. Aujourd'hui la force des choses oblige l'Église à accepter la tolérance civile, et à l'entendre, elle n'a jamais prêché que l'intolérance dogmatique. Hypocrisie! Au dix-huitième siècle, alors que le souffle de la révolution agitait déjà la France, l'assemblée générale du clergé regarde comme une abomination, que les prédicants baptisent les nouveau-nés et enterrent les morts, elle s'indigne de ce que la subsistance des ministres réfor

(1) Procès-verbaux de l'assemblée générale du clergé, t. VIII, f" partie, pag. 338. 339. (2) Ibid., pag. 342.

més est assurée. L'on dira qu'ils violaient la loi. Cela est vrai, et la violation des lois est toujours un mal, mais quand le législateur foule aux pieds les droits de l'homme, quand il veut le dépouiller de la liberté la plus sacrée, celle de sa conscience, alors il est bon qu'il éprouve de la résistance: ce sont ces héroïques révoltes qui ont sauvé l'avenir de l'humanité, car il n'y a point de vie sans liberté.

Louis XV se souciait fort peu que des prédicants baptisassent et enterrassent. Pour se concilier son appui, sans lequel, le clergé n'avait pas honte de le dire, il ne pouvait arrêter le progrès de l'hérésie, l'Assemblée dénonce les huguenots comme étant toujours prêts à se révolter. « C'est sous ce caractère, dit le Mémoire, qu'ils sont représentés dans la déclaration de 1724 ils ne sont occupés, y est-il dit, qu'à exciter les peuples à la révolte. L'expérience des siècles passés l'avait appris. Il y a deux cents ans que trois ou quatre novateurs, dont la licence ne fut pas d'abord réprimée, remplirent l'Europe de trouble et de confusion. On doit craindre les mêmes malheurs, si on laisse les peuples en proie à ceux qui ont hérité de leurs principes. » Nous citons ces paroles pour apprendre aux hommes du dix-neuvième siècle, quelle confiance ils doivent attacher aux déclarations et aux protestations du clergé. Dire, en 1750, que les réformés étaient toujours prêts à s'insurger, c'était se moquer du bon sens. Les calvinistes auraient été très heureux si on les avait tolérés: comment faibles, opprimés, dispersés, auraient-ils pu songer à une insurrection?

Quel était le remède au mal déploré par le clergé de France? Il était plus facile de combattre les huguenots que les philosophes. Louis XIV avait rendu contre eux une série d'édits odieux que Louis XV réunit dans sa déclaration de 1724. Il s'agissait de tenir la main à l'exécution des lois. Quelles lois, grand Dieu! Les catholiques de nos jours prétendent que l'Église n'a jamais persécuté cette sainte mère est toute charité! En effet, celui qui persécute par charité, ne persécute point. Écoutons l'assemblée générale du clergé : « Par l'article 3 de la déclaration de 1724, les religionnaires sont obligés de faire porter à l'église dans les vingt-quatre heures, leurs enfants pour y être baptisés. Cet article a été exécuté jusqu'en 1743, époque funeste du changement. Depuis ce temps, ceux de la religion prétendue réformée, réser

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