enfermé depuis longtemps goûte avec plus de plaisir le charme de la liberté qui vient de lui être offerte. BARTHOLO, bas, au comte. Toujours des idées romanesques en tête. 5 LE COMTE, bas. En sentez-vous l'application? Parbleu ! (Il va s'asseoir dans le fauteuil qu'a occupé Rosine.) ROSINE chante. Quand dans la plaine Le printemps Si chéri des amants, Dans les fleurs Et dans les jeunes cœurs. Dans tous les coteaux Tout augmente; Mais Lindor enflammé Ne songe guère Qu'au bonheur d'être aimé De sa bergère. Loin de sa mère, Cette bergère Va chantant Où son amant l'attend. Par cette ruse, Mais chanter Tout l'excite, Il vient de l'embrasser. Elle, bien aise, Feint de se courroucer PETITE REPRISE.1 Les soupirs, Les soins, les promesses, Les plaisirs, Sont mis en usage; Et bientôt la bergère Ne sent plus de colère. Si quelque jaloux Trouble un bien2 si doux, Nos amants d'accord Ont un soin extrême... 5 De voiler leur transport. Mais quand on s'aime, La gêne ajoute encor (En l'écoutant, Bartholo s'est assoupi. Le comte, pendant la petite reprise, se hasarde à prendre une main qu'il couvre de baisers. L'émotion ralentit le chant de Rosine, l'affaiblit et finit même par lui couper la voix au milieu de la cadence, au mot extrême. L'orchestre suit le mouvement 10 de la chanteuse, affaiblit son jeu et se tait avec elle. L'ab 15 sence du bruit qui avait endormi Bartholo le réveille. Le comte se relève, Rosine et l'orchestre reprennent subitement la suite de l'air. Si la petite reprise se répète, le même jeu recommence, etc.) LE COMTE. En vérité, c'est un morceau charmant, et madame l'exécute avec une intelligence. . . ROSINE. Vous me flattez, seigneur; la gloire est tout entière au maître. BARTHOLO, bâillant. Moi, je crois que j'ai un peu dormi 20 pendant le morceau charmant. J'ai mes malades. Je vas,2 je viens, je toupille, et sitôt que je m'assieds mes pauvres jambes. . . (Il se lève et pousse le fauteuil.) 25 ROSINE, bas au comte. Figaro ne vient point. BARTHOLO. Mais, bachelier, je l'ai déjà dit à ce vieux Bazile est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de lui faire étudier des choses plus gaies que toutes ces grandes aria, qui vont en haut, en bas, en roulant, hi, ho, a, a, a, a, et qui me semblent autant d'enterrements? Là, de ces petits airs 30 qu'on chantait dans ma jeunesse, et que chacun retenait facilement. J'en savais autrefois... Par exemple... (Pendant la ritournelle, il cherche en se grattant la tête, et chante en faisant claquer ses pouces et dansant des genoux2 comme les vieillards.) Veux-tu, ma Rosinette, Faire emplette Du roi des maris?... 5 (Au comte, en riant.) Il y a Fanchonnette dans la chanson; mais j'y ai substitué Rosinette pour la lui rendre plus agréable et la faire cadrer 3 aux circonstances. Ah! 10 ah! ah! ah! Fort bien! pas vrai? LE COMTE, riant. Ah! ah! ah! Oui, tout au mieux. SCÈNE V FIGARO, dans le fond, ROSINE, BARTHOLO, LE COMTE. BARTHOLO chante. Veux-tu, ma Rosinette, Faire emplette Du roi des maris? Je ne suis point Tircis;4 Mais, la nuit, dans l'ombre, Je vaux encor mon prix; Et, quand il fait sombre, Les plus beaux chats sont gris,5 (Il répète la reprise, en dansant. Figaro, derrière lui, imite ses mouvements.) Je ne suis point Tircis. (Apercevant Figaro.) Ah! entrez, monsieur le barbier; avancez, vous êtes charmant! 15 20 25 FIGARO salue. Monsieur, il est vrai que ma mère me l'a dit autrefois; mais je suis un peu déformé depuis ce tempslà. (A part, au comte.) Bravo, monseigneur. (Pendant toute cette scène le comte fait tout ce qu'il peut pour parler 5 à Rosine, mais l'œil inquiet et vigilant du tuteur l'en empêche toujours, ce qui forme un jeu muet de tous les acteurs étrangers au débat du docteur et de Figaro.) BARTHOLO. Venez-vous purger encore, saigner, droguer, mettre sur le grabat toute ma maison? FIGARO. Monsieur, il n'est pas tous les jours fête 1; mais, sans compter les soins quotidiens, monsieur a pu voir que, lorsqu'ils 2 en ont besoin, mon zèle n'attend pas qu'on lui commande... 2 BARTHOLO. Votre zèle n'attend pas! Que direz-vous,3 15 monsieur le zélé, à ce malheureux qui bâille et dort tout éveillé ? et l'autre qui, depuis trois heures, éternue à se faire sauter le crâne et jaillir la cervelle ! que leur direzvous ? 20 25 FIGARO. Ce que je leur dirai? BARTHOLO. Oui! FIGARO. Je leur dirai... Eh parbleu, je dirai à celui qui éternue, Dieu vous bénisse; et Va te coucher à celui qui bâille. Ce n'est pas cela, monsieur, qui grossira le mémoire. BARTHOLO. Vraiment non; mais c'est la saignée et les médicaments qui le grossiraient, si je voulais y entendre.5 Est-ce par zèle aussi que vous avez empaqueté les yeux de ma mule? et votre cataplasme lui rendra-t-il la vue? FIGARO. S'il ne lui rend pas la vue, ce n'est pas cela 30 non plus qui l'empêchera d'y voir. |