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des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux 5 gens de lettres, achevaient de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait; fatigué d'écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et léger d'argent ; à la fin convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid; et, 10 mon bagage en sautoir,2 parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadure, la Sierra-Morena, l'Andalousie, accueilli dans une ville, emprisonné dans l'autre, et partout supérieur aux événements; loué par ceux-ci, blâmé3 par ceux-là, aidant au bon temps, supportant 15 le mauvais, me moquant des sots, bravant les méchants, riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde, vous me voyez enfin établi dans Séville, et prêt de nouveau à servir Votre Excellence en tout ce qu'il lui plaira 4 m'ordonner.

LE COMTE. Qui t'a donné une philosophie aussi gaie? FIGARO. L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer.5 Que regardezvous donc toujours de ce côté ?

LE COMTE. Sauvons-nous ! 6

FIGARO. Pourquoi?

LE COMTE. Viens donc, malheureux! tu me perds.

(Ils se cachent.)

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SCÈNE III

BARTHOLO, ROSINE. (La jalousie du premier étage s'ouvre, et Bartholo et Rosine se mettent à la fenêtre.)

ROSINE. Comme le grand air fait plaisir à respirer! Cette jalousie s'ouvre si rarement. . .

BARTHOLO. Quel papier tenez-vous là?

ROSINE. Ce sont des couplets de la Précaution inutile, que mon maître à chanter m'a donnés hier.

BARTHOLO. Qu'est-ce que la Précaution inutile?

ROSINE. C'est une comédie nouvelle.

BARTHOLO. Quelque drame encore! Quelque sottise d'un nouveau genre (1).

ROSINE. Je n'en sais rien.

BARTHOLO. Euh! euh !2 les journaux et l'autorité nous en feront raison.3 Siècle barbare! ...

ROSINE. Vous injuriez toujours notre pauvre siècle. BARTHOLO. Pardon de la liberté ! pour qu'on le loue? Sottises de toute

Qu'a-t-il produit espèce: la liberté de penser, l'attraction,5 l'électricité, le tolérantisme, l'inoculation, le quinquina, l'encyclopédie, et les drames. . .

ROSINE. (Le papier lui échappe et tombe dans la rue.) Ah!

ma chanson! ma chanson est tombée en vous écoutant.. Courez, courez donc, monsieur ! ma chanson, elle sera perdue!

BARTHOLO. Que diable 6 aussi, l'on tient ce qu'on tient. 25 (Il quitte le balcon.)

(1) Bartholo n'aimait pas les drames. Peut-être avait-il fait quelque tra gédie dans sa jeunesse. [Note by Beaumarchais.]

ROSINE regarde en dedans et fait signe dans la rue. St! st! (Le comte paraît.) Ramassez vite et sauvez-vous. (Le comte ne fait qu'un saut, ramasse le papier et rentre.)

BARTHOLO Sort de la maison et cherche. Je ne vois rien.

ROSINE. Sous le balcon, au pied du mur.

Où donc est-il?

5

BARTHOLO. Vous me donnez là une jolie commission !

Il est donc passé quelqu'un?

ROSINE. Je n'ai vu personne.

BARTHOLO, à lui-même.

...

Et moi qui ai la bonté de 10

chercher ! . Bartholo, vous n'êtes qu'un sot, mon ami: ceci doit vous apprendre à ne jamais ouvrir de jalousies sur la rue. (Il rentre.)

ROSINE, toujours au balcon. Mon excuse est dans mon malheur seule, enfermée, en butte 3 à la persécution d'un 15 homme odieux; est-ce un crime de tenter à sortir d'esclavage?

BARTHOLO, paraissant au balcon. Rentrez, señora ; c'est ma faute si vous avez perdu votre chanson; mais ce malheur ne vous arrivera plus, je vous jure.

jalousie à la clef.)

SCÈNE IV

(Il ferme la 20

LE COMTE, FIGARO. (Ils entrent avec precaution.)

LE COMTE. A présent qu'ils sont retirés, examinons cette chanson, dans laquelle un mystère est sûrement renfermé. C'est un billet!

FIGARO. Il demandait ce que c'est que la Précaution inutile!

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LE COMTE lit vivement. "Votre empressement excite ma curiosité; sitôt que mon tuteur sera sorti, chantez indifféremment, sur l'air connu de ces couplets, quelque chose qui m'apprenne enfin le nom, l'état et les intentions de 5 celui qui paraît s'attacher si obstinément à l'infortunée Rosine."

FIGARO, contrefaisant la voix de Rosine. Ma chanson, ma chanson est tombée; courez, courez donc! (Il rit.) Ah ah ah ah! Oh! ces femmes ! voulez-vous donner 10 de l'adresse à la plus ingénue? enfermez-la.

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I

LE COMTE. Ma chère Rosine!

FIGARO. Monseigneur, je ne suis plus en peine des motifs de votre mascarade; vous faites ici l'amour en perspective.

LE COMTE. Te voilà instruit, mais si tu jases. . .

FIGARO. Moi, jaser! Je n'emploierai point pour vous rassurer les grandes phrases d'honneur et de dévouement dont on abuse à la journée; je n'ai qu'un mot: mon intérêt vous répond de moi; pesez tout à cette balance,

20 etc...

LE COMTE. Fort bien. Apprends donc que le hasard m'a fait rencontrer au Prado, il y a six mois, une jeune personne d'une beauté ! ... Tu viens de la voir. Je l'ai fait chercher en vain par tout Madrid. Ce n'est que 25 depuis peu de jours que j'ai découvert qu'elle s'appelle Rosine, est d'un sang noble, orpheline et mariée à un vieux médecin de cette ville, nommé Bartholo.

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FIGARO. Joli oiseau, ma foi! difficile à dénicher! Mais

qui vous a dit qu'elle était femme du docteur ?

LE COMTE. Tout le monde.

I

FIGARO. C'est une histoire qu'il a forgée en arrivant de Madrid, pour donner le change 1 aux galants et les écarter; elle n'est encore que sa pupille,2 mais bientôt. . .

LE COMTE, vivement. Jamais! ... Ah! quelle nouvelle ! J'étais résolu3 de tout oser pour lui présenter mes regrets, 5 et je la trouve libre ! Il n'y a pas un moment à perdre, il faut m'en faire aimer, et l'arracher à l'indigne engagement qu'on lui destine. Tu connais donc ce tuteur?

FIGARO. Comme ma mère.

LE COMTE. Quel homme est-ce ?

FIGARO, vivement. C'est 4 un beau gros, court, jeune vieillard, gris pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette et furette, et gronde et geint tout à la fois.

ΙΟ

LE COMTE, impatienté. Eh! je l'ai vu. Son caractère ? FIGARO. Brutal, avare, amoureux et jaloux à l'excès de 15 sa pupille, qui le hait à la mort.

LE COMTE. Ainsi ses moyens de plaire sont...

FIGARO. Nuls.

LE COMTE. Tant mieux. Sa probité?

FIGARO. Tout juste autant qu'il en faut pour n'être point 20 pendu.

LE COMTE. Tant mieux. heureux...

Punir un fripon en se rendant

FIGARO. C'est faire à la fois le bien public et particulier chef-d'œuvre de morale, en vérité, monseigneur ! LE COMTE. Tu dis que la crainte des galants lui fait fermer sa porte?

FIGARO. A 5 tout le monde s'il pouvait la calfeutrer. . . LE COMTE. Ah diable ! tant pis. Aurais-tu de l'accès chez lui?

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