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Je ne fais fi elle eft propre à la fupporter; ou fi je m'étois trompé d'abord en le fuppofant: mais fans entrer dans les raifons qui m'ont fait changer d'avis, celle-ci, Madame, répond à tout.

Notre Mufique Dramatique reffemble trop encore à notre Mufique chanfonnière pour en attendre un véritable intérêt ou de la gaieté franche. Il faudra commencer à l'employer férieufement au Théâtre quand on fentira bien qu'on ne doit y chanter que pour parler; quand nos Muficiens fe rapprocheront de la nature, & fur - tout cefferont de s'imposer l'abfurde loi de toujours revenir à la première partie d'un air après qu'ils en ont dit la feconde. Eft-ce qu'il y a des Reprifes & des Rondeaux dans un Drame? Ce cruel radotage eft la mort de l'intérêt, & dénote un vide infupportable dans les idée

Moi qui toujours ai chéri la Mufique fans inconftance & même fans infidélité; fouvent, aux Pièces qui m'attachent le plus, je me surprends à pouffer de l'épaule, à dire tout bas avec humeur : Eh! va donc Mufique! pourquoi toujours répéter? N'es-tu pas affez lente? Au lieu de narrer vivement, tu rabaches! au lieu de peindre la paffion, tu t'accroches aux mots! Le Poëte fe tue à ferrer l'évènement, & toi tu le délaies! Que lui fert de rendre fon ftyle énergique & preffé, fi tu l'enfevelis fous d'inutiles

fredons? Avec ta ftérile abondance, refte, refte aux Chanfons pour toute nourriture, jufqu'à ce que tu connoiffes le langage fublime & tumultueux des paffions.

En effet, fi la déclamation est déja un abus de la narration au Théâtre, le chant, qui est un abus de la déclamation, n'eft donc, comme on voit, que l'abus de l'abus. Ajoutez-y la répétition des phrases, & voyez ce que devient l'intérêt. Pendant que le vice ici va toujours en croiffant, l'intérêt marche à fens contraire; l'action s'allanguit; quelque chofe me manque; je deviens diftrait; l'ennui me gagne; & si je cherche alors à deviner ce que je voudrois, il m'arrive fouvent de trouver que je voudrois la fin du Spectacle.

Il est un autre art d'imitation, en général beaucoup moins avancé que la Mufique; mais qui femble en ce point lui fervir de leçon. Pour la variété feulement la Danfe élevée eft déja le modèle du chant.

Voyez le fuperbe Veftris ou le fier d'Auberval engager un pas de caractère. Il ne danfe pas encore; mais d'auffi loin qu'il paroît, fon port libre & dégagé fait déja lever la tête aux Spectateurs. Il infpire autant de fierté qu'il promet de plaifirs. Il est parti... Pendant que le Muficien redit vingt fois fes phrases &

monotone fes mouvemens, le Danfeur varie les fiens à l'infini.

Le voyez-vous s'avancer légèrement à petits bonds; reculer à grands pas & faire oublier le comble de l'art par la plus ingénieufe négligence? Tantôt fur un pied, gardant le plus favant équilibre, & fufpendu fans mouvement pendant plusieurs mesures, il étonne ̧ il furprend par l'immobilité de fon aplomb.... Et foudain, comme s'il regrettoit le temps du repos, il part comme un trait, vole au fond du Théâtre, & revient, en pirouettant, avec une rapidité que l'œil peut fuivre à peine.

L'air a beau recommencer, rigaudonner, fe répéter, fe radoter; il ne fe répète point, lui! tout en déployant les mâles beautés d'un corps fouple & puiffant, il peint les mouvemens violens dont fon ame eft agitée: il vous lance un regard paffionné que fes bras mollement ouverts rendent plus expreffif: &, comme s'il fe laffoit bientôt de vous plaire, il fe relève avec dédain, fe dérobe à l'œil qui le fuit, & la paffion la plus fougueuse femble alors naître & fortir de la plus douce ivreffe. Impétueux, turbulent, il exprime une colere fi bouillante & fi vraie qu'il m'arrache à mon fiége & me fait froncer le fourcil. Mais, reprenant foudain le gefte & l'accent d'une volupté paisible, il erre nonchalamment avec une

grace, une molleffe, & des mouvemens fi délicats, qu'il enlève autant de fuffrages qu'il y a de regards attachés fur fa Danfe enchantereffe.

Compofiteurs! chantez comme il danfe, & nous aurons, au lieu d'Opéra, des Mélodrames! Mais j'entends mon éternel Cenfeur, (je ne fais plus s'il eft d'ailleurs ou de Bouillon,) qui me dit: Que prétend-t-on par ce tableau? Je vois un talent fupérieur, & non la Danse en général. C'est dans fa marche ordinaire qu'il faut faifir un art pour le comparer & non dans fes efforts les plus fublimes. N'avons-nous pas....

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Je l'arrête à mon tour. Eh quoi? fi je veux peindre un courfier & me former une jufte idée de ce noble animal; irai-je le chercher hongre & vieux, gémiflant au timon du fiacre, ou trottinant fous le plâtrier qui fiffle? Je le prends au haras, fier Étalon, vigoureux, découplé, l'œil ardent, frappant la terre & foufflant le feu par les nazeaux; bondiffant de defirs & d'impatience, ou fendant l'air qu'il électrife, & dont le brufque hennissement réjouit l'homme & fait treffaillir toutes les cavalles de la contrée. Tel eft mon Danfeur.

Et quand je crayonne un art, c'est parmi les plus grands fujets qui l'exercent que j'entends choifir mes

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modèles; tous les efforts du génie.... Mais je m'éloigne trop de mon fujet, revenons au Barbier de Séville.... ou plutôt, Monfieur, n'y revenons pas. C'eft affez pour une bagatelle. Infenfiblement je tomberois dans le défaut reproché trop juftement à nos François, de toujours faire de petites Chanfons fur les grandes affaires, & de grandes differtations fur les petites.

Je fuis, avec le plus profond respect,

MONSIEUR,

Votre très-humble
& très-obéiffant ferviteur;

L'AUTEUR.

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