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Tout-à-coup, transporté de joie et d'espérance,
Il conçoit un projet qui l'enivre d'avance.

A peine relevé de ce lit douloureux,
Son œil osa fixer Azélie et les cieux :

« O fille vertueuse! ô mon dieu tutélaire !

Dit-il avec transport, que sert un vain mystère?
Nos feux se sont trahis; et ces feux innocens
Ne sont pas, tu le sais, le délire des sens;
Formés dans la douleur, nourris dans la souffrance,
Ils s'épurent encor par la reconnaissance.
C'est par toi que je vis, daigne vivre pour moi;
Ne me fais pas haïr des jours sauvés par toi.
D'un amour malheureux trop malheureuse fille,
Tu n'as, on me l'a dit, ni parens ni famille,
Eh bien ! ces sentimens qu'eût partagés ton cœur,'
Sur moi seul réunis, feront mieux mon bonheur.
Je suis libre, tu l'es: viens, ma chère Azélie,
Viens, je veux te devoir le bonheur et la vie. »

Tel qu'un faible arbrisseau, dans la serre nourri,
Ne quitte qu'à regret son doux et sûr abri;

En vain d'un ciel brillant la liberté l'appelle :
Timide, il craint les vents et leur souffle infidèle.
Ainsi, les yeux baissés, rougissant de pudeur,
Azélie, en pleurant, accepta son bonheur.

Les beaux jours renaissaient, la terre était plus belle;
Le fortuné Volnis s'embellissait comme elle,

Et goûtait, retiré dans un riant séjour,

Le repos, la santé, le printemps et l'amour.

Que renaître au printemps est un charme suprême !
Mais combien les beaux jours sont plus beaux quand on aime!
Tous deux savaient jouir de ces charmes touchans :
Le véritable amour se plaît toujours aux champs.

« Vois-tu, disait Volnis, ces fleurs, cette verdure? Du ruisseau libre en fin entends-tu le murmure? Tout renaît au printemps, tout se ranime; et moi, Dans mes beaux jours, hélas! j'étais flétri sans toi. »

Il disait; et tous deux mêlant leurs douces larmes,
De la nature ensemble ils goûtaient mieux les charmes.
Hâtez-vous, couple heureux, hâtez-vous de jouir!
Ces boutons, que l'aurore a vus s'épanouir,
Peut-être avant le soir vont céder à l'orage:
Ah! que de vos destins ils ne soient point l'image!
Vain souhaits! Azélie, au milieu du bonheur,
N'avait pas vainement pressenti le malheur.
Des parens, qu'illustrait le nom de leurs ancêtres,
Visitèrent Volnis dans ces réduits champêtres.
Azélie essuya leur superbe dédain,

Et son cœur en conçut un noir et long chagrin :
Non que sa vanité, secrètement blessée,
Ne sût pas d'un dédain supporter la pensée;
Mais de ce cœur si pur le noble sentiment
Se reprochait d'avoir dégradé son amant :
Le cœur voudrait toujours ennoblir ce qu'il aime.
Azélie enferma son désespoir extrême;

Et Volnis de ce cœur sensible, mais discret,
S'efforça vainement d'arracher le secret.

Mais un jour qu'ils passaient, rêveurs et solitaires,
Dans un salon rempli des portraits de ses pères,
L'esprit déjà frappé, d'un accent plein d'effroi,
« Les voyez-vous? dit-elle; ils ont honte de moi! >>
Elle dit, et s'enfuit au fond de sa retraite ;

Dès lors rien ne calma sa tristesse secrète;
Dès lors son tendre époux, de moment en moment,
Vit se décolorer ce visage charmant ;

Et, malgré ses secours, des âmes la plus belle

S'exhala doucement de ce corps digne d'elle,
Comme au gré d'un feu pur s'exhale vers les cieux
D'un beau vase d'albâtre un parfum précieux.

Pour pleurer tant d'amour, de vertus et de charmes, Le malheureux Volnis a-t-il assez de larmes?

Non il ne pleure pas; mais son cœur éperdu

:

Voit toujours, ou croit voir l'objet qu'il a perdu.
Il le voit, il l'entend, il poursuit son image.
Tantôt il l'entrevoit à travers un nuage;
Tantôt, comme au retour d'un voyage lointain :
« O charme de mon cœur ! je te retrouve enfin !
Pourquoi m'as-tu privé de ta douce présence?

Dieu! combien j'ai souffert pendant ta longue absence! »
Tantôt, dans son délire, heureux de revenir

Vers ce lit de douleur, plein d'un doux souvenir, Il croit se voir soigner par l'objet qu'il adore; Vers cet objet charmant sa main s'étend encore. Tantôt au bord des eaux, dans les bois, dans les lieux Que tous deux parcouraient, qu'ils chérissaient tous deux, Il croit la voir encore embellir ces campagnes ; Souvent il la demande à ses jeunes compagnes : Les fleurs qu'elle élevait frappent-elles ses yeux : « Donnez, qu'à son réveil j'en pare ses cheveux. » Tantôt de son hymen il préparait la fête; La couronne de rose et la pompe était prête. Malheureux ! lui rendant tout-à-coup sa douleur, L'affreuse vérité retombait sur son cœur. Alors son œil troublé ne voyait que ténèbres, Que crêpes, que linceuls et que torches funèbres. Il marchait, s'asseyait, se levait sans dessein, Commençait un discours, l'interrompait soudain. A force de douleurs, quelquefois plus tranquille, Un long accablement le tenait immobile :

Tels qu'on voit, enchaînés dans leur triste repos,
Ces simulacres vains pleurant sur des tombeaux.
Mais toujours il voyait cette image si chère :
Vainement l'amitié tâcha de le distraire:

Lorsqu'un hasard heureux, que l'on n'eût pu prévoir,
D'adoucir ses malheurs fit naître quelque espoir.
Une jeune beauté d'une grâce accomplie,
Dieux! comment pûtes-vous faire une autre Azélie?
De celle qui n'est plus intéressant portrait,
De cet objet charmant rappelait chaque trait.
C'était son doux maintien, son aimable indolence,
Le charme de sa voix, celui de son silence;
On croyait voir son air, son visage, ses yeux.
Deux gouttes de rosée ou du nectar des dieux,
Deux matins du printemps, deux des plus fraîches roses,
Sur une même tige, à la même heure écloses,
Se ressembleraient moins. Par ce nouvel objet,
De distraire son cœur on forme le projet :
Heureux, si cette aimable et douce ressemblance
Pouvait de sa douleur tromper la violence!

Sous un voile d'abord on cache ses attraits;

Il vient le voile tombe et laisse voir ses traits;

:

Il tressaille à sa vue, et d'un regard avide

Il la fixe en gardant un silence stupide;
Puis, égaré de joie, et de crainte, et d'amour,
Son œil sur deux objets semble errer tour à tour;
Enfin, jetant un cri: « Mes amis, quel prestige!
Elles sont deux. » L'Amour avait fait ce prodige;
L'Amour montrait de même à ses yeux éperdus,
Et celle qui respire, et celle qui n'est plus :
Tant, avec ce penchant toujours d'intelligence 12,
L'Imagination lui prête de puissance!

CHANT III.

L'IMPRESSION DES OBJETS EXTÉRIEURS.

Voyez ce luth muet! tant qu'une habile main
N'éveille pas le son endormi dans son sein,
Dans le bois insensible en secret il sommeille;
Mais si d'un doigt savant l'impulsion l'éveille,
Il frémit, il résonne, exprime tour à tour
La pitié, la terreur, et la haine, et l'amour;
Et, quand rien n'agit plus sur l'organe sonore,
Le bois mélodieux long-temps résonne encore.
Ainsi l'âme se tait, quand rien ne parle aux sens :
Ainsi l'objet émeut ses fils obéissans;

Et même, quand des sens la secousse est passée,
L'écho des souvenirs prolonge la pensée.

De tous les instrumens le plus ingénieux,
Dont les savans accords retentissent le mieux,
L'âme est organisée. Il est temps de connaître
Comment elle résonne et répond à chaque être ;
Et comment, de nos nerfs ébranlant le faisceau,
L'objet court s'imprimer dans les plis du cerveau,
Vaste et profond sujet ! Pour peindre ce mystère 1,
Il faudrait un Descarte instruisant un Voltaire.
Essayons toutefois, et montrons dans mes vers
L'âme entière à l'aspect de l'immense univers.

1

Les couleurs avant tout ont des charmes suprêmes; Leurs beautés quelquefois plaisent par elles-mêmes,

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