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ET

MÉLANGES

LITTÉRAIRES
Abel

PAR M. VILLEMAIN

Nouvelle édition
revue, corrigée et augmentée.

PARIS

DIDIER, LIBRAIRE ÉDITEUR

33, quai des Augustins.

1850

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ET

MÉLANGES LITTÉRAIRES.

ÉLOGE

DE MONTAIGNE.

Dans tous les siècles où l'esprit humain se perfectionne par la culture des arts, on voit naître des hommes supérieurs, qui reçoivent la lumière et la répandent, et vont plus loin que leurs contemporains, en suivant les mêmes traces. Quelque chose de plus rare, c'est un génie qui ne doive rien à son siècle, ou plutôt qui, malgré son siècle, par la seule force de sa pensée, se place, de lui-même, à côté des écrivains les plus parfaits, nés dans les temps les plus polis tel est Montaigne. Penseur profond, sous le règne du pédantisme, auteur brillant et ingénieux dans une langue informe et grossière, il écrit avec le secours de sa raison et des anciens son ouvrage reste, et fait seul toute la gloire littéraire d'une nation et lorsque, après longues années, sous les auspices de quelques génies sublimes, qui s'élancent à la fois, arrive enfin l'âge du bon goût et du talent, cet ouvrage, longtemps unique, demeure toujours original; et la France, enrichie tout à coup de tant de brillantes merveilles, ne

D. M.

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sent pas refroidir son admiration pour ces antiques et naïves beautés. Un siècle nouveau succède, aussi fameux que le précédent, plus éclairé peut-être, plus exercé à juger, plus difficile à satisfaire, parce qu'il peut comparer davantage : cette seconde épreuve n'est pas moins favorable à la gloire de Montaigne. On l'entend mieux, on l'imite plus hardiment ; il sert à rajeunir la littérature, qui commençait à s'épuiser; il inspire nos plus illustres écrivains ; et ce philosophe du siècle de Charles IX semble fait pour instruire le xvIIIe siècle.

Quel est ce prodigieux mérite qui survit aux variations du langage, aux changements des mœurs? c'est le naturel et la vérité : voilà le charme qui ne peut vieillir. La grandeur des idées, l'artifice du style ne suffisent pas pour qu'un écrivain plaise toujours. Et ce n'est pas seulement de siècle en siècle, et à de longs intervalles, que le goût change et que les ouvrages éprouvent des fortunes diverses dans la vie même de l'homme, il est un période où, détrompés de ce monde idéal que les passions formaient autour de nous, ne sachant plus excuser des illusions qui ne se retrouvent plus dans nos cœurs, perdant l'enthousiasme avec la jeunesse, et réduits à ne plus aimer que la raison, nous devenons moins sensibles aux plus éclatantes beautés de l'éloquence et de la poésie. Mais qui pourrait se lasser d'un livre de bonne foy1 écrit par un homme de génie? Ces épanchements familiers de l'auteur, ces révélations inattendues sur de grands objets et sur des bagatelles, en donnant à ses écrits la forme d'une longue confidence, font disparaître la peine légère que l'on éprouve à lire un ouvrage de morale. On croit converser; et comme la conversation est piquante et variée, que souvent nous y venons à

Expression de Montaigne.

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