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Puis, dans un autre passage inédit, elle ajoute : « J'ai >> beaucoup vécu ; la fortune m'a mise à portée de voir et » de juger les femmes célèbres de plusieurs époques. J'ai » fréquenté de jeunes personnes, dont les grâces et l'aima>> Lle caractère seront connus long-temps après elles. Ja» mais dans aucun rang, dans aucun âge, je n'ai trouvé » de femme d'un naturel aussi séduisant que Marie-Antoi»> nette ; à qui l'éclat éblouissant de la couronne laissât un *» cœur aussi tendre; qui, sous le poids du malheur, se » montrât plus compatissante aux malheurs d'autrui : je » n'en ai pas vu d'aussi héroïque dans le danger, d'aussi » éloquente dans l'occasion, d'aussi franchement gaie dans » la prospérité. »

Ces mots suffisent. On connaît à présent l'esprit de l'ouvrage, le vif intérêt qui l'anime, les sentimens qui l'ont dicté. J'en ai quelques regrets pour les ennemis de madame Campan; elle ne satisfera ni leur haine ni leur espoir : ses Mémoires sont piquans sans le secours du scandale, et pour être touchante il lui a suffi d'être vraie 1.

Jetons un coup

res années.

d'œil sur sa famille et sur ses premiè

Un mot d'explication sur la Notice qu'on va lire me paraît nécessaire. Aucun des passages, aucune des anecdotes qu'elle contient ne se retrouve dans les Mémoires. Je dois les anecdotes aux souvenirs des parens, des amis, des élèves de madame Campan. La lecture de ses manuscrits, de sa correspondance, de tous ses papiers, m'a procuré des fragmens intéressans que je n'ai point hésité à mettre en œuvre. Ils donnent aux moindres détails, comme aux faits les plus importans, un ton de vérité qui doit attacher et plaire. Ces fragmens ont d'autant plus de prix qu'ils sont écrits en entier de la main de madame Campan: chaque fois que je les citerai, j'aurai soin d'en prévenir le lecteur,

Jeanne-Louise-Henriette Genet était née à Paris, le 6 octobre 1752. M. Genet, son père, devait à son mérite, autant qu'à la protection de M. le duc de Choiseul, l'emploi de premier commis au ministère des affaires étrangères. Les lettres, qu'il avait cultivées avec succès dans sajeunesse, occupaient encore ses loisirs . Entouré de nombreux enfans, il cherchait un délassement à ses travaux dans les soins qu'exigeait leur éducation: rien ne fut négligé de ce qui pouvait la rendre brillante. Dans l'étude de la musique ou des langues étrangères, les progrès de la jeune Henriette Genet surprenaient les meilleurs maîtres; le célèbre Albanèze lui avait donné des leçons de chant, et Goldoni lui montra l'italien. Bientôt le Tasse, Milton, Dante, Shakspeare même lui étaient devenus familiers. On l'exerçait surtout à l'art difficile de bien lire. En parcourant tour à tour de la prose ou des vers, une ode, une épître, une comédie, un sermon, il fallait qu'elle changeât sur-le-champ de ton, d'inflexions et de débit. Rochon de Chabannes, Duclos, Barthe, Marmontel, Thomas, se plaisaient à lui faire réciter les plus belles scènes de Racine. A quatorze ans sa mémoire et son esprit les charmaient. Ils le disaient dans le monde, et peut-être un peu trop; une jeune personne paie toujours assez cher la célébrité qu'elle obtient belle, toutes les femmes deviennent ses rivales; a-t-elle de l'esprit, des talens, beaucoup d'hommes ont encore la faiblesse d'en être jaloux.

:

On parla de mademoiselle Genet à la cour. Des femmes

'On trouvera, dans les Souvenirs de madame Campan, des détails intéressans écrits par elle sur l'éducation, les ouvrages, les aventures et le mariage de son père.

d'un haut rang, qui s'intéressaient à sa famille, sollicitèrent pour elle la place de lectrice de Mesdames: huit jours après elle quitta la maison paternelle pour habiter le château de Versailles. La cour, une robe à queue, des paniers, peut-être même du rouge, quel changement! quelle joie! Sa présentation et les circonstances qui la précédèrent avaient laissé de vives impressions dans son esprit. « J'avais alors quinze ans, dit-elle dans un écrit qu'elle ne destinait point à l'impression; mon père éprouvait quelques regrets de me livrer si jeune à la malignité des courtisans. Le jour où, revêtue pour la première fois de l'habit de cour, je vins l'embrasser dans son cabinet, des larmes s'échappèrent de ses yeux, et vinrent se mêler à l'expression de sa joie. Je joignais quelques talens agréables à l'instruction qu'il avait pris plaisir à me donner. Il me fit l'énumération de tous mes petits avantages, pour me mieux faire connaître les chagrins qu'ils ne manqueraient pas de m'attirer. « Les princesses, me dit-il, » vont se plaire à faire usage de vos talens : les grands ont >> l'art de louer avec grâce et toujours avec excès. Que ces >> complimens ne vous procurent pas un plaisir bien vif; >> qu'ils vous mettent plutôt en défiance. Chaque fois que >> vous recevrez ces témoignages flatteurs, vous aurez >> quelques ennemis de plus. Je vous préviens, ma fille, >> des peines inévitables attachées à votre nouvelle car»rière, et je vous proteste, dans ce jour où vous jouissez >> avec transport de votre heureuse fortune, que si j'avais » pu vous établir autrement, jamais je n'aurais livré ma » fille chérie aux tourmens et aux dangers des cours. >> >> On croirait à ce langage, ajoute madame Campan qui écrivait ces lignes en 1796, à Saint-Germain, sous le Directoire, on croirait que mon père avait dans son cœur

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un principe de républicanisme; on se tromperait : il était royaliste par opinion politique, mais il connaissait et craignait le séjour de la grandeur. On peut être royaliste et philosophe, comme il arrive d'être républicain intrigant et ambitieux 1. »

Mademoiselle Genet, à quinze ans, était un peu moins philosophe que son père à quarante. Ses yeux furent éblouis de l'éclat dont brillait Versailles. « La reine » Marie Leckzinska, femme de Louis XV, venait de » mourir, dit-elle, lorsque j'y fus présentée. Ces grands » appartemens tapissés de noir, ces fauteuils de parade » élevés sur plusieurs marches, et surmontés d'un dais >> orné de panaches; ces chevaux caparaçonnés; ce cortége >> immense en grand deuil; ces énormes nœuds d'épaules » brodés en paillettes d'or et d'argent qui décoraient les >> habits des pages, et même ceux des valets de pied; >> tout cet appareil enfin produisit un tel effet sur mes » sens, que je pouvais à peine me soutenir, lorsqu'on >> m'introduisit chez les princesses. Le premier jour où » je fis la lecture dans le cabinet intérieur de madame » Victoire, il me fut impossible de prononcer plus de » deux phrases; mon cœur palpitait, ma voix était » tremblante et ma vue troublée. Magie puissante de la » grandeur et de la dignité qui doivent entourer les sou>> verains, que vous étiez bien calculée! Marie-Antoinette, » vêtue en blane avec un simple chapeau de paille, une légère badine à la main, marchant à pied suivie d'un seul » valet, dans les allées qui conduisaient au petit Trianon, »> ne m'aurait pas fait éprouver un pareil trouble ; et

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Fragment manuscrit.

>> cette extrême simplicité fut, je crois, le premier et » peut-être le scul des torts qu'on lui reproche 1. »

que

Ce prestige une fois dissipé, mademoiselle Genet vit mieux sa position : elle n'avait rien d'attrayant. La cour de Mesdames, éloignée des plaisirs bruyans et licencieux recherchait Louis XV, était grave, méthodique et sombre. Madame Adélaïde, l'aînée de princesses, vivait beaucoup dans son intérieur : madame Sophie était fière; madame Louise était dévote. Les tristes plaisirs de l'orgueil, ou les pratiques d'une dévotion minutieuse, ont peu d'attrait pour la jeunesse. Mademoiselle Genet cependant ne quittait pas l'appartement de Mesdames, mais elle s'était plus particulièrement attachée à madame Victoire. Cette princesse avait été belle : sa figure exprimait la bonté, sa conversation était douce, facile et simple. Mademoiselle Genet lui inspirait ce sentiment qu'une femme âgée, mais affectueuse, accorde volontiers aux jeunes personnes qu'elle voit croître sous ses yeux, et qui possèdent déjà des talens utiles. Des journées entières se passaient à lire auprès de la princesse qui travaillait dans son appartement. Mademoiselle Genet y vit souvent Louis XV. Dans le cercle de ses amis intimes, elle aimait à raconter l'anecdote suivante.

« Un jour au château de Compiègne, disait-elle, le roi interrompit la lecture que je faisais à Madame. Je me lève, et je passe dans une autre chambre. Là, seule dans une pièce qui n'avait point d'issue, sans autre livre qu'un Massillon, que je venais de lire à la princesse, légère et

1 Nous placerions ici même une réponse à ce reproche, s'il ne devait se trouver repoussé plus bas dans la Notice, et surtout dans les notes qui accompagnent les Mémoires.

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