Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

tueux, chargés le plus souvent d'épitaphes mensongères, à côté de ces monumens, qui semblent élevés la plupart, moins pour honorer les cendres qu'ils renferment que pour flatter l'orgueil des vivans, il est une sépulture modeste qui la vit bien des fois répandre des larmes. Aucun marbre ne la décore, on n'y lit aucune inscription : d'autant plus remarquable qu'elle est plus simple, le gazon qui la couvre, en trahissant une douleur qui se cache, pourrait seul révéler le secret de la tombe.

Après tant de chagrins, madame Campan cherchait une paisible retraite. Paris, séjour des indifférens ou des ambitieux, des méchans qui calomnient et des sots qui les croient; Paris, qu'habite cette foule d'hommes toujours prêts à flatter le puissant du jour, comme à déchirer celui qu'ils encensaient la veille; Paris, sa frivolité, ses plaisirs bruyans, son égoïsme, lui étaient depuis quelques années devenus insupportables. Une de ses élèves les plus chéries, Mlle. Crouzet, s'était mariée à Mantes, avec un médecin, homme habile, plein de savoir, de franchise et de cordialité. Madame Campan vint voir son élève. Mantes est une jolie petite ville. Les bois de Rosny qui l'entourent, la Seine qui la baigne de ses eaux, des îles plantées de hauts peupliers,

I

1 M. Maignes, médecin distingué des hospices de Mantes. Madame Campan trouvait en lui, dans ses peines comme dans ses souffrances, un ami, un consolateur, dont elle appréciait le mérite et l'affection. Les soins qu'il ne cessa de lui donner dans le cours de sa maladie, l'ont déterminé à en écrire une relation, qui est d'un excellent physiologiste, et dans laquelle il a fidèlement recueilli les derniers entretiens de madame Campan. Je dois à la communication de cet écrit plusieurs particularités intéressantes : je me fais un plaisir d'en remercier l'auteur.

et dont les allées promettent la solitude sous de frais ombrages, rendent le séjour de Mantes agréable et riant. Cette habitation lui plut; bientôt elle vint s'y établir. Un petit nombre d'amis intimes, lui composait une société dont elle goûtait la douceur. Elle s'étonnait de retrouver un peu de calme après de si longues agitations. Le soin de revoir ses Mémoires, de mettre en ordre les anecdotes piquantes dont se devaient composer ses Souvenirs, apportait seul quelque distraction au sentiment puissant qui l'attachait à la vie.

Elle ne vivait que pour son fils; pour lui seul elle aurait ambitionné la faveur ou les richesses: il était sa consolation, son bien, son espoir; elle avait rassemblé sur lui tous les penchans d'un cœur souvent déçu dans ses affections. M. Campan fils méritait la tendresse de sa mère. Aucun sacrifice n'avait été négligé pour son éducation. Son esprit était orné; il avait du goût, et faisait des vers agréables. Après avoir suivi la carrière qui a fourni, sous l'empire, des hommes d'un mérite éminent, il attendait du temps et des circonstances une occasion de consacrer ses services à son pays. Quoique sa santé fût languissante, rien n'annonçait une fin rapide et prématurée : en quelques jours cependant il fut ravi à sa famille. Comment l'apprendre à sa mère ? Comment lui porter ce coup funeste? M. Maignes, dans une relation qu'il a bien voulu nous confier, a décrit ce triste moment avec la plus douloureuse vérité.

« Je n'ai jamais été témoin, dit-il, d'une scène aussi » déchirante que celle qui se passa lorsque madame la » maréchale Ney, sa nièce, et madame Pannelier, sa » sœur vinrent lui annoncer ce malheur. Au moment » où elles entrèrent dans sa chambre, elle était encore

[ocr errors]
[ocr errors]

>>

au lit. Toutes trois poussèrent à la fois un cri per>> çant. Ces deux dames se jetèrent à genoux, et bai»saient ses mains qu'elles mouillaient de leurs larmes. » Elles n'eurent le temps de lui rien dire : elle lut sur » leurs visages qu'elle n'avait plus de fils. A l'instant scs grands yeux, découverts jusqu'au blanc, s'éga» rèrent. Sa figure devint pâle, les traits altérés, les >> lèvres décolorées. La bouche ne proférait que des pa» roles entrecoupées, accompagnées de cris aigus. Les mouvemens étaient désordonnés, la raison suspendue. » Chaque partie de son être souffrait. La respiration >> suffisait à peine aux efforts que faisait cette malheu» reuse mère pour exprimer sa douleur et la porter au » dehors. Cet état d'angoisse et de désespoir ne com>> mença à se calmer que lorsque les larmes vinrent à » couler. Je n'ai vu de ma vie rien de si triste et de si >> imposant l'impression que j'éprouvai ne s'effacera

» jamais de ma mémoire. »

L'amitié, les plus tendres soins purent un moment calmer sa douleur, mais non l'affaiblir son cœur avait trop souffert. Cette crise violente avait troublé son organisation tout entière. Une maladie cruelle, et qui exige une opération plus cruelle encore, ne tarda pas à se manifester. La présence de sa famille, un voyage qu'elle fit en Suisse, son séjour aux eaux de Bade, et surtout la vue, les entretiens pleins de douceur et de charme d'une personne dont elle était tendrement aimée, donnèrent quelques distractions à son esprit, mais n'apporde bien faibles adoucissemens à ses maux. que Elle revint à Mantes, décidée à subir l'opération; et dès lors, loin d'éprouver un instant de faiblesse ou d'hésitation, elle pressait elle-même le moment qui de

tèrent

vait lui rendre, disait-elle, l'espoir et la santé. A la force d'âme qui brave la douleur elle joignit cette puissance de volonté qui la maîtrise. Pas un cri, pas un geste ne lui échappèrent. Tant de courage étonnait de vieux guerriers habitués au spectacle des champs de bataille, et surprenait les gens de l'art eux-mêmes '. Un instant avant d'être opérée, madame Campan causait avec eux d'un esprit libre et calme. Les douleurs, après l'opération, ne semblaient pas avoir altéré sa sérénité. Messieurs, disait - elle en plaisantant à ses médecins, j'aime bien mieux vous entendre parler que vous voir agir.

L'opération avait été faite, avec une rare promptitude et le plus heureux succès, par M. Voisin, très-habile chirurgien de Versailles. Aucun symptôme fàcheux ne s'était déclaré : la plaie s'était cicatrisée. On croyait madame Campan rendue à ses amis : mais le mal qui était dans le sang prit un autre cours; la poitrine s'embarrassa. Dès ce moment, dit M. Maignes, qui suivait son état avec toute la sollicitude de l'amitié, mais avec la triste prévoyance de son art; dès ce moment, il me fut impossible de voir madame Campan vivante : elle sentait elle-même qu'elle n'était déjà plus.

En songeant à sa famille, à ses amis de Mantes, à tous ceux qui lui portaient une vive affection, son cœur s'amollissait, et dans ces instans d'une faiblesse touchante N'est-ce pas, docteur, disait-elle, que je ne mourrai pas ?

Bientôt reprenant son courage, elle donnait aux au

I M. le colonel Hemès, l'un des meilleurs officiers de l'ancienne armée, aidait les gens de l'art pendant l'opération.

tres une espérance qu'elle n'avait plus. Elle voyait sans cesse auprès d'elle une femme qui, depuis quarante ans, ne l'avait pas un moment quittée; qui avait partagé ses peines comme ses instans de bonheur; qui devinait ses pensées, épiait ses moindres désirs, et payait une confiance sans bornes des soins du plus tendre attachement : tous ceux qui ont connu madame Campan nommeront ici madame Voisin. « Du courage, lui disait-elle; la » mort ne séparera point deux amies comme nous'. »

Elle donnait elle-même l'exemple de la force d'âme qu'elle voulait inspirer aux autres. Tantôt, reportant ses souvenirs vers les années de sa jeunesse, elle revoyait la jeune fille, si vive et si gaie, que Louis XV surprenait au milieu de ses jeux. Tantôt elle se rappelait avec attendrissement les bontés dont Marie-Antoinette payait son dévouement. « L'oeil-de-boeuf de Versailles, disait» elle, ne me pardonnera jamais d'avoir obtenu la con>> fiance de la reine et du roi. Les demandes d'un essaim » de flatteurs étaient souvent injustes ; et quand la reine >> daignait me consulter, j'étais sincère 2. »

Quelquefois le sort de la France l'occupait. Les lumières qui partent du trône la rassuraient seules contre les prétentions exagérées de quelques hommes. « Le » pouvoir, disait-elle, est aujourd'hui dans les lois.

1 La mort en effet ne les séparera point. La famille de madame Campan lui a fait élever un tombeau dans le cimetière de Mantes. On lit une épitaphe fort simple sur une colonne de marbre blanc, surmontée d'une urne. Aux quatre côtés du monument sont des touffes de dahlia : au-dessous est le caveau qui renferme ses cendres. L'amie qu'elle a laissée reposera près d'elle.

› Relation de M. Maignes.

« ZurückWeiter »