Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

femmes de service. Tout était bien, au moins je le croyais. Je vois tout à coup les yeux de madame de Noailles attachés sur les miens. Elle me fait un signe de la tête, et puis ses deux sourcils se lèvent jusqu'au haut de son front, redescendent, remontent; puis de petits signes de la main s'y joignent. Je jugeais bien, à toute cette pantomime, que quelque chose n'était pas comme il fallait; et tandis que je regardais de côté et d'autre, pour me mettre au fait, l'agitation de la comtesse croissait toujours. La reine s'aperçut de tout ceci, elle me regarda en souriant; je trouvai un moyen de m'approcher de Sa Majesté, qui me dit alors à mi-voix : Détachez vos barbes, ou la comtesse en mourra. Tout ce mouvement venait de deux épingles maudites qui retenaient mes barbes, et l'étiquette du costume disait : Barbes pendantes. »

Ce fut cependant ce dédain des graves inutilités de l'étiquette qui devint le prétexte des premiers reproches adressés à la reine. De quoi n'était pas capable, en effet, une princesse qui pouvait se résoudre à sortir sans paniers, et qui, dans les salons de Trianon, au lieu de discuter la question de la chaise et du tabouret, invitait tout le monde à s'asseoir ? Le parti anti-autrichien, toujours mécontent, toujours haineux, surveillait sa conduite, grossissait ses plus légers torts, et calom

↑ On ne pardonnait pas même à la reine la suppression des usages les plus ridicules. Les respectables douairières, qui avaient passé leur innocente jeunesse à la cour de Louis XV, et même sous la régence, voyaient un outrage aux mœurs dans l'abandon des paniers. Madame Campan elle-même dit quelque part dans ses Mémoires, et presque avec regret, que les grandes fraises et les vertugadins, en usage à la

niait ses plus innocentes démarches. « Ce qui au pre>>mier coup d'œil (dit Montjoye, dont certes les opi>>nions ne sont pas suspectes), semble inexplicable, » et navre de douleur, c'est que les premiers coups » portés à la réputation de la reine sont sortis du sein » dé la cour. Quel intérêt des courtisans pouvaient-ils » avoir à désirer sa perte, qui entraînait celle du » roi ; et n'était-ce pas tarir la source de tout le bien >> dont ils jouissaient, et de celui qu'ils pouvaient es» pérer ? »>

Mais ces biens, ces faveurs n'étaient plus l'héritage exclusif de quelques familles puissantes. La reine, dans leur distribution, s'était cru permis de consulter quelquefois ses affections et d'autres droits que ceux d'une antique origine. « Qu'on juge, ajoute Montjoye, du dépit et de

cour des derniers Valois, n'étaient point adoptés sans motif; que ces ajustemens, indifférens en apparence, éloignaient bien réellement toute idée de galanterie.

Quoiqu'une semblable précaution puisse paraître au moins singulière à la cour dissolue d'Henri III, je ne prétends pas nier l'efficacité des vertugadins. Je citerai seulement sur ce sujet une petite anecdote rapportée par La Place.

« M. de Fresne Forget, étant chez la reine Marguerite, lui dit un jour qu'il s'étonnait comment les hommes et les femmes, avec de si grandes fraises, pouvaient manger du potage sans les gâter, et surtout comment les dames pouvaient être galantes avec leurs grands vertugadins. La reine alors ne répondit rien; mais quelques jours après, ayant une très-grande fraise et de la bouillie à manger, elle se fit apporter une cuillère qui était fort longue, de façon qu'elle mangea sa bouillie sans salir sa Fraise. Sur quoi, s'adressant à M. de Fresne: « Eh bien, lui dit-elle en riant, vous voyez qu'avec un peu d'intelligence on trouve remède à tout. Oui-dà ! madame, lui répondit le bon homme; quant au potage, me voilà satisfait. » (Tom. II, pag. 350, du Recueil de La Place.)

» la fureur des grands de cette classe, lorsqu'ils voyaient » la reine répandre sur autrui des grâces qu'ils voulaient » n'être dues qu'à eux seuls, et l'on n'aura nulle peine à >> comprendre comment elle a trouvé des ennemis implacables parmi ceux qui l'approchaient. » La haine et la calomnie allaient bientôt avoir un nouveau prétexte.

[ocr errors]

Déjà, pour compromettre le nom le plus auguste et déshonorer celui d'un cardinal, se préparait ce complot obscur et scandaleux, conçu par une intrigante, ayant pour principal personnage un faussaire, et qui, secondé par une courtisane, fut dévoilé par un minime et raconté par unjé suite. Comme si les plus singuliers rapprochemens devaient, dans ce procès fameux, se trouver à côté des plus odieux contrastes, le nom de Valois, retombé depuis long-temps dans l'oubli, figurait à côté des noms de Rohan, d'Autriche et de Bourbon; et quand tout se réunissait pour accuser un prêtre libertin et crédule, un grand seigneur ruiné avec huit cent mille livres de rentes, un prince de l'Église, dupe à la fois d'un escroc, d'une femme galante et d'un charlatan, ce fut la souveraine qu'offensait sa crédulité, et peut-être son coupable espoir, ce fut Marie-Antoinette qu'on osa soupçonner. La cour, le clergé, les parlemens se liguèrent pour humilier le trône et la princesse qui s'y trouvait assise. Au lieu de la plaindre on la blâmait : on ne lui pardonnait pas même de laisser éclater la douleur et l'indignation d'une femme, d'une épouse et d'une reine outragée.

On sait l'issue de ce procès fameux. Le cardinal fut absous. Mme. de Lamotte condamnée, flétrie, mais fugitive, se hâta de publier le plus odieux pamphlet contre la reine. Depuis cet instant funeste pour Marie-Antoi

nette, jusqu'à celui de sa fin, ce genre d'attaques ne cessa plus un moment d'être dirigé contre elle. L'esprit de parti ne tarda point à s'en emparer : la presse ou le burin servaient également la fureur de ses ennemis. Gravures obscènes, vers licencieux, libelles impurs, accusations atroces, j'ai tout vu, j'ai tout lu, et je voudrais pouvoir ajouter, comme l'infortunée princesse, dans une des plus honorables circonstances de sa vie : J'ai tout oublié. La lecture, la vue de ces monumens d'une haine implacable, laissent une impression de tristesse et de dégoût qu'on ne peut vaincre, et qu'accroît encore l'idée des maux accumulés, par la calomnie, sur la tête de Marie-Antoinette.

N'anticipons point sur les événemens : ce n'est point ici qu'on trouvera le tableau des derniers malheurs de la reine. Sa prison, ses fers, son dénûment ; les coups dont son cœur est brisé ; la force d'âme qui la soutient, l'amour maternel qui l'attache encore à la vie, la religion qui la console : tous ces détails touchans ou sublimes d'une scène que termine une si tragique catastrophe, appartiennent à d'autres Mémoires; mais il est une réflexion que cette fin funeste provoque involontaire

ment.

Quand le terrible Danton s'écriait : Les rois de l'Europe nous menacent, c'est à nous de les braver ; jetons-leur pour défi la téte d'un roi! ces détestables paroles, suivies d'un si cruel, d'un si déplorable effet, annonçaient encore une effrayante combinaison politique. Mais la reine! Quelle farouche raison d'État Danton, Collotd'Herbois, Robespierre pouvaient-ils invoquer contre elle? Où avaient-ils vu que ces Grecs, ces Romains dont nos soldats rappelaient les vertus guerrières, égor

geassent des êtres faibles et sans défense? Quelle féroce grandeur trouvaient-ils à soulever tout un peuple pour se venger d'une femme? Que lui restait-il de son pouvoir passé? Le 10 août n'avait-il pas déchiré sur son front le bandeau royal? Elle était captive; elle était veuve; elle tremblait pour ses enfans! Dans ces juges qui outragent à la fois la pudeur et la nature; dans ce peuple dont les plus vils rebuts poursuivent de cris forcenés la victime jusqu'au pied de l'échafaud, qui reconnaîtrait ces Français affables, aimans, sensibles, généreux ? Non, de tous les forfaits qui souillèrent si malheureusement la révolution, aucun ne fait mieux connaître à quel point l'esprit de parti, quand il a fermenté dans les cœurs les plus corrompus, peut dénaturer le ca

ractère d'une nation.

La nouvelle de ce coup affreux vint frapper, dans la retraite obscure qu'elle avait choisie, la femme qui pleurait le plus amèrement les malheurs de sa bienfaitrice. Madame Campan, qui n'avait pu partager la captivité de la reine, s'attendait d'un moment à l'autre à partager son sort. Échappée comme par miracle au fer des Marseillais, repoussée par Pétion, quand elle implorait la faveur d'être enfermée au Temple, dénoncée, poursuivie par Robespierre, devenue, par la confiance entière du monarque et de la reine, dépositaire des papiers les plus importans, elle était allée cacher son secret et sa douleur à Coubertin, dans la vallée de Chevreuse. Madame Auguié, sa sœur venait de se donner la mort, au moment même de son arrestation. L'échafaud attendait

'L'amour maternel l'emporta sur ses sentimens religieux : elle voulut conserver les débris de sa fortune à ses enfans. Un jour plus

« ZurückWeiter »