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sacré à la peinture de la cour de Louis XV, n'est qu'un piquant avant-propos. Dans un espace de vingt ans, depuis les fêtes du mariage jusqu'à l'attaque du 10 août, madame Campan ne quitta presque point Marie-Antoinette. Du côté de la souveraine, tout était bonté, confiance, abandon : on verra si madame Campan n'y répondit point par une reconnaissance, une fidélité, un dévouement à l'épreuve du malheur comme au-dessus. de tous les périls. En parlant de Marie-Antoinette, elle a peint la haine de ses ennemis, l'avidité de ses flatteurs, et le désintéressement des vrais amis qu'elle pouvait compter quoique assise sur le trône. Toutefois, comme elle se renferme le plus souvent dans le cercle intérieur où se plaisait Marie-Antoinette, il est indispensable de jeter un coup d'œil sur l'esprit et surtout sur les mœurs de la société à cette époque.

Je ne rappellerai point les scandaleuses années de la régence, temps où la cour, échappant à la contrainte d'une longue hypocrisie, associait aux emportemens de la débauche les sarcasmes de la plus audacieuse impiété. Mais je dois m'arrêter un moment au règne de Louis XV, parce que la corruption y présenta véritablement deux époques distinctes. Richelieu fut le modèle et le héros

étaient en faveur, il dit à Paris, en 1788, à plusieurs personnes, qu'il était parent d'un Berthollet Campan, placé près de la reine à Versailles, mais qu'il n'était point disposé à l'aller entretenir de sa parenté, dans la crainte de passer pour un adorateur du crédit et de la fortune. Mon avis, ajoute madame Campan, eût été d'aller audevant d'un homme qui montrait un caractère si différent de ce qu'on rencontrait sans cesse dans la place où le sort nous avait placés.

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Le même écrit contient plusieurs détails qu'on ne lira point sans intérêt dans le troisième volume.

de la première époque. S'aimer sans plaisir, se livrer sans combat, se quitter sans regrets, traiter le devoir de faiblesse, l'honneur de préjugé, la délicatesse de fadeur, telles étaient les moeurs du temps: la séduction avait son code, et l'immoralité était réduite en principes. Bientôt on se lassa même de ces succès rapides, peutêtre parce que la facilité du triomphe en diminuait trop le mérite. Les gens de cour, les riches financiers entretenaient à grands frais des beautés qu'ils n'étaient pas même obligés de connaître le vice était un luxe de la vanité; l'état de courtisane menait rapidement à la fortune, j'ai presque dit à la considération.

Dans les années qui précédèrent et qui suivirent l'avénement de Louis XVI au trône, la société présentait un spectacle nouveau. Les moeurs n'étaient pas meilleures, elles étaient différentes. Par un étrange abus, les désordres semblaient trouver une excuse dans les idées philosophiques qui s'accréditaient de jour en jour. Leurs nouveaux partisans débitaient de si nobles maximes, pensaient, discouraient si bien, qu'ils n'étaient pas forcés de bien agir. Il était permis d'être mari volage, épouse infidèle à ceux qui parlaient avec respect, avec enthousiasme, des saints devoirs du mariage. L'amour de la vertu et de l'humanité dispensait d'avoir des mœurs. Les femmes discutaient, au milieu de leurs amans, sur les moyens de régénérer l'ordre social. Il n'y avait pas de philosophe, admis dans un des cercles à la mode qui ne se comparât modestement à Socrate chez Aspasie; et Diderot, auteur téméraire des Pensées philosophiques, écrivain licencieux des Bijoux indiscrets, aspirait à la gloire de Platon, mais ne rougissait pas d'imiter Pétrone. Non que je veuille assurément jeter du blâme sur les

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philosophes leur conduite était légère, plusieurs de leurs ouvrages sont condamnables, il est vrai; mais ce qu'il y avait de pur dans leurs doctrines, a passé de leurs écrits dans nos mœurs. Si les liens de la famille se sont resserrés, si nous sommes meilleurs époux, meilleurs pères, et plus hommes de bien; si le vice est méprisé ; si la jeunesse, avide d'études sérieuses, repousse avec dégoût les ouvrages licencieux qu'accueillait le libertinage de ses pères, nous le devons à un nouvel ordre de choses. En politique, en législation, en finances, les philosophes ont préparé d'utiles réformes. Leurs écrits, mal compris alors, mais lus avec avidité, leur donnaient un grand pouvoir sur l'opinion. La cour, habituée si long-temps à l'influence que lui assuraient l'esprit, la politesse des manières, et l'habitude des grands emplois, ne vit pas sans étonnement cette nouvelle puissance s'élever auprès d'elle. Au lieu de la combattre, on la flatta. L'enthousiasme gagna tous les esprits : c'était à la table, dans le salon des plus grands seigneurs qu'on traitait hardiment de préjugés les distinctions du rang. Ces principes d'égalité trouvaient souvent dans la noblesse des partisans d'autant plus zélés, qu'en les faisant valoir ils se montraient plus généreux. Il était presque reconnu que le mérite devait l'emporter sur la naissance, et l'on doit ajouter qu'alors, comme de nos jours, la noblesse comptait un grand nombre d'hommes qui n'avaient point à protester contre cette démarcation nouvelle.

Ainsi, tandis que les conditions moyennes s'élevaient fières de leurs connaissances, de leurs talens, de leurs lumières, les hautes classes semblaient aller au-devant d'elles par un mouvement de curiosité et de bienveillance: la cour subissait encore les lois de l'étiquette, que

déjà les distinctions du rang étaient bannies des usages de la société. Par-là tombe d'elle-même, à mon sens, une accusation que la vanité et l'irréflexion ne cessent de répéter contre Marie-Antoinette. En paraissant à Versailles, elle y trouva tout disposé pour un changement que l'état des moeurs rendait inévitable; et sa beauté, son esprit, ses grâces, la majesté de son maintien lui donnaient assez d'avantages réels pour qu'elle dédaignât la puérile importance du cérémonial.

Qu'est-ce donc en effet que l'étiquette ? Rien qu'une image du respect involontaire que les hommes accordent au courage, au génie, à la gloire, à la vertu. La véritable politesse dédaigne le cérémonial, et la vraie grandeur peut s'en passer. On vantait la noble familiarité d'Henri IV: il est certain qu'il avait fait d'assez grandes choses pour être affable et simple. Le souvenir de ses actions l'élevait, plus encore que son rang, au-dessus des autres hommes; le roi rappelait sans cesse le chevalier; on lui voyait encore au côté l'épée qu'il portait à Coutras, et tous les Français reconnaissaient la main généreuse qui avait nourri Paris rebelle. Les prestiges de l'étiquette étaient nécessaires à Louis XV; Louis XIV eût pu s'en passer; assez dé gloire environnait un trône resplendissant de l'éclat des armes, des lettres et des beaux-arts. Mais il voulait être encore plus qu'un grand roi ce demi-dieu, violemment ramené par ses revers et ses infirmités aux douleurs de la condition humaine, s'efforça de cacher les outrages de la maladie, de la fortune et des ans, sous la pompe vaine du cérémonial. Il faut bien pardonner aux princes d'être les régulateurs de l'étiquette, puisqu'ils en sont les premiers esclaves.

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En France, depuis le berceau jusqu'à la tombe, malades ou bien portans, à table, au conseil, à la chasse, à l'armée, au milieu de leur cour, ou dans leur intérieur, les princes étaient soumis au cérémonial. Ses lois indiscrètes les suivaient jusque dans les mystères du lit nuptial. Qu'on juge ce qu'une princesse, élevée dans la simplicité des cours d'Allemagne, jeune, vive, aimante et franche, devait éprouver d'impatience contre des usages tyranniques qui, ne lui permettant pas un seul instant d'être épouse, mère, amie, la réduisaient au glorieux ennui d'être toujours reine! La femme respectable, que sa charge plaçait auprès d'elle comme un ministre vigilant des lois de l'étiquette, au lieu d'en alléger le poids, lui en rendait le joug insupportable. Encore n'était-ce que demi-mal, quand ces lois vénérables n'atteignaient que les personnes du service: la reine prenait le parti d'en rire. Je veux laisser madame Campan raconter, à ce sujet, une anecdote qui la con

cerne.

« Madame de Noailles, dit-elle dans un fragment manuscrit, était remplie de vertus : je ne pourrais prétendre le contraire. Sa piété, sa charité, des mœurs à l'abri du reproche, la rendaient digne d'éloges, mais l'étiquette était pour elle une sorte d'atmosphère: au moindre dérangement de l'ordre consacré, on eût dit qu'elle allait étouffer, et que les principes de la vie lui manquaient.

« Un jour je mis, sans le vouloir, cette pauvre dame dans une angoisse terrible; la reine recevait je ne sais plus qui : c'était, je crois, de nouvelles présentées; la dame d'honneur, la dame d'atours, le palais était derrière la reine. Moi j'étais auprès du lit avec les deux

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