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de Louis XV avait été conçue par le duc de Choiseul, avant sa disgrâce. Il cimentait par ce mariage l'alliance des deux états, et croyait se préparer la faveur d'un nouveau règne. Ainsi se trouvait justifié le sens de ce vers latin, suivant lequel l'Autriche doit plus espérer de l'hymen que des armes. L'àge, la beauté, les talens, le caractère de la jeune princesse étaient l'objet de tous les entretiens. En la voyant quitter sa famille pour aller prendre place sur les premiers degrés du trône le plus éclatant de l'Europe, qui eût osé former un doute sur son bonheur ? Marie-Thérèse, heureuse et désolée, ne concevait pour sa fille chérie d'autres chagrins que ceux de leur séparation; et pourtant des voix prophétiques semblaient menacer déjà son avenir.

Madame Campan racontait souvent une anecdote que lui avait apris le gouverneur des enfans du prince de Kaunitz. Il y avait à Vienne à cette époque un docteur, Gassner, qui y était venu chercher un asile contre les persécutions d'un des électeurs ecclésias tiques, son souverain. Gassner, doué d'une imagination. très-exaltée, croyait avoir des inspirations. L'impératrice le protégeait, le recevait quelquefois, plaisantait

I

Bella gerant alii, tu, Felix Austria, nube.

des

Je ne crois pas que les Turcs soient grands diseurs de bons mots; mais ils sont peut-être plus instruits qu'on ne le pense généralement des intérêts des puissances chrétiennes, des vues, moyens et des ressources de leurs cabinets. On prétend que le grand-seigneur, en recevant le décret de la Convention qui prononça en France l'abolition de la royauté, ne put s'empêcher de dire: La république du moins n'épousera pas une archiduchesse, Le mot est bien français pour être turc; mais il est gai, c'est assez pour qu'on le cite.

de ses visions, et l'écoutait pourtant avec une sorte d'intérêt. « Dites-moi, lui demanda-t-elle un jour, si mon Antoinette doit être heureuse? » Gassner pâlit et garda le silence. Pressé de nouveau par l'impératrice, et cherchant alors à donner une expression générale à l'idée dont il semblait fortement occupé : Madame, répondit-il, il est des croix pour toutes les épaules'.

Ces mots suffisaient pour frapper l'imagination des Allemands des traditions conservées dans le pays, et dont on occupe l'enfance; un esprit tourné vers la recherche et la croyance de ce qui est vague et mystérieux ; une disposition naturelle à la mélancolie, semblent les préparer à recevoir plus vivement ces impressions de crainte et ces avertissemens secrets. Marie-Antoinette, on le verra dans ces Mémoires, était loin de repousser et de vaincre les mouvemens d'une terreur involontaire. Goëthe, son compatriote, le célèbre auteur de Werther, s'abandonnait, plus encore que tout autre, à l'influence de ces pressentimens dont la raison a souvent peine à triompher. L'arrivée de la jeune princesse en France avait été pour lui l'occasion d'un sinistre présage.

Goëthe, jeunes alors, achevait ses études à Strabourg. On avait élevé, dans une île, au milieu du Rhin, un pavillon destiné à recevoir Marie-Antoinette et sa suite. «< J'y fus admis, dit Goëthe dans ses Mémoires. En y >> entrant, mes yeux furent frappés du sujet représenté » sur la tapisserie qui servait de tenture au pavillon prin»cipal. On y voyait Jason, Creüse et Médée, c'est-à

'Jean-Joseph Gassner, né à Bratz, sur les frontières du Tyrol, était un thaumaturge célèbre, qui croyait de bonne foi guérir une foule de maladies par la seule imposition des mains.

>> dire l'image du plus funeste hymen dont on ait gardé » la mémoire. A la gauche d'un trône, l'épouse entou» rée d'amis, de serviteurs désespérés, luttait contre » une mort affreuse. Jason, sur l'autre plan, reculait » saisi d'horreur, à la vue de ses enfans égorgés, et la >> furie s'élançait dans les airs sur son char traîné par les >> dragons'. »

Sans être superstitieux, on est frappé de cet étrange rapport. L'époux, l'épouse, les enfans furent atteints; la fatale destinée parut s'accomplir en tous points. Marie-Thérèse aurait pu répéter ces beaux vers que le pèrc de Creuse adresse à sa fille expirante, dans la Médée de Corneille :

Ma fille, c'est donc là ce royal hyménée

Dont nous pensions toucher la pompeuse journée !

La parque impitoyable en éteint le flambeau,

Et

pour lit nuptial il te faut un tombeau.

Si l'on cherchait un funeste augure, il n'en faudrait point d'autre que les fêtes du mariage à Paris. On connaît l'événement de la place Louis XV; on sait comment l'incendie des échafauds destinés au feu d'artifice, l'imprévoyance des magistrats, la cupidité des malfaiteurs, la marche meurtrière des voitures, préparèrent, augmentèrent le désastre ; comment la jeune dauphine, qui arrivait de Versailles, par le Cours-la-Reine, heureuse, brillante, parée, pour jouir de la joie de tout un peuple, s'enfuit éperdue, les yeux noyés de larmes, poursuivie de cette affreuse image, et croyant toujours entendre les cris des mourans.

1 Mein Leben. Ma vie, par Goëthe, publiée à Tubingen, chez Cott.

Puisque j'ai dû parler de ce cruel événement, qu'on me permette de raconter rapidement une des scènes qu'il présenta. Au milieu de cette foule agitée, pressée en sens contraire, foulée sous les pieds des chevaux, précipitée dans les fossés qui bordaient la rue Royale et la place, se trouvaient un jeune homme et sa maîtresse. Elle était belle; ils s'aimaient depuis plusieurs années: des raisons de fortune avaient retardé leur mariage; le lendemain ils devaient être unis. Protégeant son amie, marchant devant elle, la couvrant de son corps, long-temps le jeune homme soutint ses pas et son courage. Mais, de moment en moment, le tumulte, les cris, l'effroi, les périls allaient croissant. Je succombe, dit-elle, mes forces m'abandonnent, je ne saurais avancer plus loin. Il reste encore un moyen, s'écrie l'amant au désespoir : placez-vous sur mes épaules. Il sent qu'on a suivi son conseil, et le désir de sauver ce qu'il aime, double son ardeur et ses forces. Il résiste aux chocs les plus violens. Ses bras roidis devant sa poitrine lui frayent péniblement un passage; il lutte, il se dégage enfin. Arrivé à l'une des extrémités de la place, après avoir déposé sur un banc son précieux fardeau, haletant, épuisé, mourant de fatigue, mais ivre de joie, il se retourne........... ce n'était pas elle ! une autre plus agile avait profité du conseil: son amie n'était plus !

La sensibilité, la bienfaisance de Marie-Antoinette adoucirent les malheurs qu'elle ne pouvait réparer. Madame Campan se trouvait placée dès lors assez près d'elle pour apprécier tous les mouvemens de son cœur généreux. Les noces du dauphin avaient été célébrées au mois de mai 1770. Aucun des princes ses frères n'étant encore marié la dauphine n'eut d'abord de société intime que celle de

Mesdames La plus affable de ces trois princesses était madame Victoire ; aussi était-ce chez elle que Marie-Antoinette aimait à venir habituellement. Elle y rencontrait presque toujours mademoiselle Genet; ses talens, joints à la conformité d'âge, attirèrent l'attention de MarieAntoinette. Souvent mademoiselle Genet l'accompagnait sur la harpe ou sur le piano, quand elle voulait chanter les airs de Grétry. La dauphine assistait aussi fréquemment aux lectures qui se faisaient chez la princesse ; elle appréciait déjà l'onction du Petit Carême, ou la brillanteimagination d'un poëte qui consacra plus tard des vers touchans à ses malheurs.

A la cour, où la faveur conduit à la fortune, on remarqua la bienveillance dont Mesdames et la dauphine honoraient mademoiselle Genet. On parla de l'établir, et bientôt après elle épousa M. Campan, dont le père était secrétaire du cabinet de la reine 1. Louis XV dota la mariée de 5,000 liv. de rentes, et la dauphine, en lui assurant une place de femme de chambre, voulut bien lui permettre de continuer ses fonctions de lectrice auprès de Mesdames.

Ici commencent véritablement les Mémoires de madame Campan, Mémoires dont le premier chapitre, con

1 MM. Campan, originaires de la vallée de Campan, dans le Béarn, en avaient pris le surnom. Leur nom véritable était Berthollet. Le célèbre chimiste que les sciences viennent de perdre, en 1822, était leur parent. Je trouve dans les manuscrits que j'ai sous les yeux un trait bien honorable pour son caractère.

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Du côté des Berthollet, dit madame Campan à son fils, dans un écrit destiné à son instruction, un des membres les plus distingués de l'Institut doit être de la même famille; mais par dignité et par éloignement pour les gens qui approchaient de la cour et qui

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