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gaie comme on l'est à quinze ans, je m'amusais à tourner sur moi-même, avec mon panier de grand habit, et je m'agenouillais tout à coup, pour voir ma jupe de soie rose, que l'air gonflait autour de moi. Pendant ce grave exercice, le roi entre; la princesse le suivait : je veux me lever, mes pieds s'embarrassent, je tombe au milieu de ma robe enflée par le vent. Ma fille, dit Louis XV en éclatant de rire, je vous conseille de renvoyer au couvent une lectrice qui fait des fromages. »

Cette fois la leçon n'avait rien de sévère. Mais les railleries de Louis XV étaient souvent plus piquantes: mademoiselle Genet en avait fait déjà l'épreuve. Trente ans après, elle ne pouvait conter son aventure, sans un mouvement de surprise et d'effroi, qui semblait durer encore. « Louis XV, disait-elle donc, avait le maintien le plus imposant. Ses yeux restaient attachés sur vous pendant tout le temps qu'il parlait ; et malgré la beauté de ses traits, il inspirait une sorte de crainte. J'étais bien jeune, il est vrai, lorsqu'il m'adressa la parole pour la première fois s'il fut gracieux, vous allez en juger. J'avais quinze ans. Le roi sortait pour aller à la chasse ; un service nombreux le suivait. Il s'arrête en face de moi. « Mademoiselle Genet, me dit-il, on m'assure que vous êtes fort instruite, que vous savez quatre ou cinq langues étrangères. Je n'en sais que deux, sire,

pondis-je en tremblant.

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Lesquelles ?

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sire, ré

L'anglais et l'italien. Les parlez-vous familièrement? - Oui, sire, très-familièrement. En voilà bien assez pour faire enrager un mari. » Après ce joli compliment, le roi continue sa route; la suite me salue en riant, et moi je reste quelques instans étourdie, confondue, à la place où je venais de m'arrêter. »

On aurait désiré que Louis XV ne fit jamais de reparties plus amères. Les rois n'ont pas le droit d'être moqueurs le persiflage est un genre de combat qui veut des armes égales, et l'on plaisante toujours de mauvaise grâce contre un railleur qui commande à vingt millions d'hommes. Il y a justice à convenir cependant que, souvent agresseur, Louis XV supportait sans humeur la vivacité des représailles. Peut-être même la familiarité imprévue de ces sortes d'attaques, était-elle une nouveauté piquante pour un roi fatigué si long-temps du poids de la grandeur. Ce prince, d'un caractère facile, d'une humeur triste, et d'un esprit satirique; majestueux dans sa cour, irrésolu dans un conseil, aimable, dit-on, dans un souper, n'échappait plus à l'ennui que par l'intempérance ou la débauche. Une femme, dont la prostitution avait profané la jeunesse et les charmes, étonnait alors Versailles du scandale de sa faveur. Madame Du Barry préparait à cette époque le renvoi du ministre qui venait de négocier le mariage du dauphin avec l'archiduchesse Marie-Antoinette d'Autriche. Les intrigues de la favorite, la rivalité du duc de Choiseul et du duc d'Aiguillon, la disgrâce de l'un, l'humiliante élévation de l'autre, ont occupé les derniers momens du règne de Louis XV.

Le duc de Choiseul, léger, fier, emporté, mais aimable, brillant, généreux, avait un esprit actif, de grands talens et des idées vastes. Des changemens devenus nécessaires dans l'armée, des créations dans la marine, des institutions ou des alliances nouvelles, devaient l'aider à relever la France humiliée de ses long revers. Cherchant un appui dans l'opinion, ami des parlemens, ennemi des jésuites, il tenait le pouvoir d'une main fa

cile et légère. Une résistance, pourvu qu'elle fût ouverte et loyale, ne lui portait point trop d'ombrage : il croyait à la docilité d'une nation que son gouvernement veut rendre heureuse dans l'intérieur, puissante et respectable au dehors. Son orgueil, qui était un défaut, devint une vertu quand il ne sut point s'abaisser jusqu'à flatter de honteux caprices. Aimé quand il était puissant, recherché, j'ai presque dit flatté dans son exil, il inspira aux courtisans le courage inconnu parmi eux de rester fidèle au malheur.

Avec beaucoup d'adresse, d'audace et de constance, d'Aiguillon, dur, ingrat, absolu, tyrannique, ne inontra jamais, soit dans son commandement, soit au ministère, de l'autorité que ses rigueurs. On lui crut des talens, parce qu'il avait l'esprit de l'intrigue et beaucoup d'am-bition; mais le partage de la Pologne, exécuté sous ses yeux, a flétri pour jamais sa politique et son nom. Courtisan délié, méchant homme, ministre inhabile, il fut l'objet de la haine publique, qu'il voulut braver, et qui l'accabla.

Le duc d'Aiguillon n'avait pas compris que la force n'est qu'un des moindres ressorts du pouvoir, quand le pouvoir n'est pas soutenu par la confiance que donnent des lumières, de grands services rendus, et surtout des succès éclatans. L'exemple de son grand-oncle le trompait. En opprimant les grands, Richelieu servait la France, son génie faisait excuser son despotisme. L'abaissement de l'Autriche, l'humiliation de l'Espagne, l'ordre violemment rétabli dans l'État, les lettres en honneur, le commerce encouragé, pouvaient absoudre son administration des actes tyranniques dont on a droit de l'accuser. Il donnait aux mesures du gouvernement

quelque chose de la hauteur de son caractère. On le craignait sans doute, mais on était forcé de l'admirer; et ce n'est qu'à la gloire qui les éblouit, au bonheur dont on les fait jouir, que les peuples, ou trompés ou reconnaissans, pardonnent les atteintes portées à leurs droits.

On a reproché au duc de Choiseul d'avoir abandonné le système de politique extérieure conçu par le cardinal de Richelieu; il me semblerait plus juste de reprocher au duc d'Aiguillon d'avoir voulu, plus tard, le suivre sans le comprendre. Depuis Louis XIII, la France et l'Autriche, l'une s'élevant toujours, l'autre s'affaiblissant au contraire, avaient changé de position. La maison de Bourbon, sous Louis XV, régnait à Naples, à Madrid, comme à Versailles. La gloire des armes ou la prévoyance des traités avaient donné successivementàl a France l'Alsace, la Franche-Comté, la Flandre et la Lorraine. La magnanime Marie-Thérèse venait à peine de raffermir sur sa tête une couronne mutilée ; l'héritière de Rodolphe de Habsbourg avait plié son orgueil jusqu'à flatter la vanité bourgeoise de Jeanne Poisson, marquise de Pompadour, en l'appelant son amie. Une puissance guerrière, s'élevant tout à coup auprès de l'Autriche, excitait sa jalousie, occupait son attention et ses forces. Le duc de Choiseul, alors ministre, pouvait donc porter plus loin ses regards.

Depuis la bataille de Pultawa, la Russie, reléguée long-temps dans les glaces du Nord, comptait au nombre des États de l'Europe. Quatre femmes, placées successivement sur le trône des czars avaient consolidé l'ouvrage d'un grand homme. Un système d'agrandissement suivi, et, ce qui est peut-être plus extraordinaire,

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annoncé sans mystère, se réalisait avec rapidité. Aujourd'hui que la Russie n'a pris des arts et de la civilisation de l'Europe que ce qui peut accroître ses forces militaires, et non ce qui pourrait amollir ses soldats ; aujourd'hui que ces peuples, nés sur un sol ingrat, sous un ciel rigoureux, ont respiré l'air doux et pur de nos contrées ; si ce puissant colosse qui déjà presse l'Europe au centre, pouvait encore, de ses bras étendus, toucher de la Baltique à la Méditerranée, quel refuge, quel rempart resterait à l'indépendance des nations menacées ? elles n'en auraient point d'autres que la coalition des États du midi; et c'était là précisément l'objet du pacte de famille, conçu avec prudence, consommé avec adresse par le duc de Choiseul, et que fortifiait l'alliance avec l'Autriche. Au lieu d'en accuser la légèreté du ministre, il me semblerait aujourd'hui plus juste d'en faire honneur à sa prévoyance; cependant l'alliance avec l'Autriche était alors le prétexte accoutumé des attaques dirigées contre lui.

J'aurais voulu éviter ces détails; mais les divisions qu'enfanta la rivalité des deux ministres tiennent de trop près à l'histoire des temps dont madame Campan va parler. Le duc de Choiseul avait pour lui les parlemens, les philosophes et l'opinion. Le parti du duc d'Aiguillon comptait pour soutien les dévots et madame Du Barry. Les deux factions se disputèrent les dernières · volontés de Louis XV expirant; elles troublèrent les premières années du règne de Louis XVI, et l'on verra bientôt quelle funeste influence la haine du parti antiautrichien exerça sur la destinée de la jeune Marie-An

toinette.

L'idée d'unir la fille de Marie-Thérèse au petit-fils

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