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concert avec la reine tout le temps qu'il resta en place, et, tandis qu'il circulait dans Paris de plats couplets où l'on peignait la reine et sa favorite puisant à leur gré dans les coffres du contrôleur général, la reine évitait toute communication avec lui.

Pendant le long et cruel hiver de 1783 à 1784, le roi donna trois millions pour le soulagement des infortunės. M. de Calonne, qui sentait la nécessité de se rapprocher de la reine, saisit infructueusement cette occasion de lui montrer son respect et son dévouement. Il vint lui offrir de lui remettre un million sur les trois destinés aux secours des indigens, pour qu'il fût distribué en son nom et selon sa volonté. Sa proposition fut rejetée; la reine lui répondit que ce bienfait en entier devait être distribué au nom du roi, et qu'elle se priverait cette année des moindres jouissances pour ajouter au soulagement des malheureux ce que ses épargnes lui permettraient de leur offrir.

A l'instant où M. de Calonne sortit du cabinet, la reine me fit demander: « Faites-moi votre com

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pliment, ma chère, me dit-elle; je viens d'éviter >> un piége, ou tout au moins une chose qui, par la » suite, aurait pu me donner de grands chagrins. >> Elle me raconta mot à mot la conversation qu'elle venait d'avoir, en ajoutant : « Cet homme achèvera » de perdre les finances de l'État. On dit qu'il est placé par moi: on a fait croire au peuple que je >> suis prodigue; je n'ai pas voulu qu'une somme du

>>

» trésor royal, même pour l'usage le plus respec» table, ait jamais été entre mes mains. »

La reine faisant chaque mois des économies sur les fonds de sa cassette, et n'ayant pas dépensé les dons d'usage à l'époque de ses couches, possédait, par le fruit de ses propres épargnes, cinq à six cent mille francs. Elle employa donc une somme de deux à trois cent mille francs que ses premières femmes envoyèrent à M. Lenoir, aux curés de Paris, de Versailles, aux sœurs hospitalières, et répandirent sur des familles indigentes.

La reine désirant placer dans le cœur de Madame, sa fille, non-seulement le désir de soulager l'infortune, mais les qualités nécessaires pour se bien acquitter de ce devoir sacré, quoiqu'elle fût encore bien jeune, l'occupait sans cesse des souffrances que le pauvre avait à subir pendant une saison si cruelle. La princesse avait déjà une somme de huit à dix mille francs pour ses charités, et la reine lui en fit distribuer elle-même une partie.

Voulant donner encore à ses enfans une leçon de bienfaisance, elle m'ordonna de faire apporter de Paris, comme les autres années, la veille du jour de l'an, tous les joujoux à la mode, et de les faire étaler dans son cabinet. Prenant alors ses enfans par la main, elle leur fit voir toutes les poupées, toutes les mécaniques qui y étaient rangées, et leur dit qu'elle avait eu le projet de leur donner de jolies étrennes; mais que le froid rendait les pauvres si malheureux, que tout son argent avait été employé

en couvertures, en hardes, pour les garantir de la rigueur de la saison et leur donner du pain; ainsi, que cette année ils n'auraient que le plaisir de voir toutes ces nouveautés. Rentrée dans son intérieur avec ses enfans, elle dit qu'il y avait cependant une dépense indispensable à faire, que sûrement un grand nombre de mères feraient cette année la même réflexion qu'elle; que le marchand de joujoux devait y perdre, et qu'elle lui donnait cinquante louis l'indemniser de ses frais de voyage et le consoler de n'avoir rien vendu.

pour

Une chose, fort simple en elle-même, et qui eut, à raison de l'esprit qui régnait alors, des résultats très-défavorables pour la reine, fut l'acquisition de Saint-Cloud.

Le palais de Versailles, tourmenté en dedans par une infinité de distributions nouvelles, et mutilé dans son ordonnance, tant par la suppression de l'escalier des ambassadeurs, que par celle du péristyle à colonnes placé au fond de la cour de marbre, avait également besoin de réparations pour la solidité et la beauté du monument. Le roi demanda donc à M. Micque plusieurs plans pour la restauration du palais. Il me consulta sur quelques distributions analogues au service de la reine, et demanda, en ma présence, à M. Micque, ce qu'il fallait d'argent pour exécuter la totalité de ses plans, et combien d'années il emploierait à cet ouvrage. J'ai oublié le nombre de millions qui furent indiqués; mais je me souviens que M. Micque répondit que six années

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suffiraient pour terminer toute l'entreprise, si le trésor royal pouvait effectuer les paiemens sans aucun retard. «< Et combien d'années demandez-vous, » dit le roi, si les paiemens ne sont pas aussi exacts? Dix ans, sire, répondit l'architecte. Il faut » alors compter sur dix années, reprit Sa Majesté, >> et remettre cette grande entreprise à l'année 1790; » cela occupera le reste du siècle. » Le roi parla ensuite de la baisse qu'avaient éprouvée les propriétés à Versailles pendant le temps où le régent avait fait transporter la cour de Louis XV aux Tuileries, et dit qu'il faudrait aviser aux moyens de parer à cet inconvénient : ce fut ce projet qui favorisa celui de l'acquisition de Saint-Cloud. La première idée en était venue à la reine, un jour qu'elle s'y promenait en calèche avec la duchesse de Polignac et la comtesse Diane; elle en parla au roi à qui cela convint très-fort: cette acquisition favorisait l'intention qu'il avait de quitter Versailles pendant dix années consécutives.

Le roi se proposait de faire rester à Versailles les ministres et les bureaux, les pages et une grande partie de ses écuries. MM. de Breteuil et de Calonne furent chargés de traiter l'affaire de l'acquisition de Saint-Cloud avec M. le duc d'Orléans, et l'on crut d'abord qu'elle serait faite par de seuls échanges: la valeur du château de Choisy, de celui de la Muette et d'une forêt, formait la somme demandée par la maison d'Orléans, et, dans cet échange dont la reine se flattait, elle ne vit qu'une économie à obtenir, au

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lieu d'une augmentation de dépense. On supprimait par cet arrangement le gouvernement de Choisy, qu'avait le duc de Coigny, et celui de la Muette, qui était au maréchal de Soubise. On avait de même à supprimer les deux conciergeries et tous les serviteurs employés dans ces deux maisons royales; mais pendant qu'on traitait cette affaire, MM. de Breteuil et de Calonne cédèrent sur l'article des échanges, et plusieurs millions en numéraire remplacèrent la valeur de Choisy et de la Muette.

la

La reine conseilla au roi de lui donner SaintCloud, comme un moyen d'éviter d'y établir un gouverneur, son projet étant de n'y avoir qu'un simple concierge, ce qui épargnerait toutes les dépenses qu'amenaient les gouverneurs des châteaux. Le roi y consentit. Saint-Cloud fut acheté pour reine : elle fit prendre sa livrée aux Suisses des grilles, aux garçons du château, etc., comme à ceux de Trianon où le concierge de cette maison avait fait afficher quelques règlemens de police intérieure, avec ces mots : De par la reine. Cet usage fut imité à Saint-Cloud. Cette livrée de la reine à la porte d'un palais où l'on ne croyait trouver que celle du roi, ces mots : De par la reine, à la tête des imprimés collés auprès des grilles, firent une grande sensation et produisirent un effet très-fâcheux, non-seulement dans le peuple, mais parmi les gens d'une classe supérieure: on y voyait une atteinte portée aux usages de la monarchie, et les usages tiennent de près aux lois. La reine en fut instruite, et crut

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