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rentrée dans son cabinet sans la moindre marque d'agitation, quoiqu'elle en éprouvât une si vive, me dit-elle, qu'elle avait de la peine à se rendre jusqu'à son fauteuil. Elle ajouta que les moralistes avaient raison lorsqu'ils disaient que le bonheur n'habite point dans les palais; qu'elle en avait acquis la certitude; que, si je voulais être heureuse, elle me conseillait de venir jouir d'une retraite où l'activité des idées pouvait se satisfaire en s'élevant vers un monde meilleur. Je n'avais point à faire à Dieu le sacrifice d'un palais et des grandeurs de la terre, mais celui de l'intérieur d'une famille bien unie; et c'est là que les moralistes qu'elle me citait ont justement placé le vrai bonheur. Je lui répondis que, dans la vie privée, l'absence d'une fille aimée, chérie, se faisait trop cruellement sentir à sa famille. La princesse n'ajouta rien à ce qu'elle m'avait dit '.

Les Souvenirs de Félicie contiennent aussi le récit d'une visite faite à Saint-Denis par madame de Genlis. Comme les détails en sont intéressans, on nous saura gré de les citer ici.

:

« J'ai passé toute ma matinée à Saint-Denis. Madame la duchesse de Chartres allait aux Carmélites faire une visite à madame Louise j'ai désiré la suivre, elle a bien voulu m'y mener. De tout temps, les personnes qui ont assez de force dans le caractère pour renoncer au faste et à la grandeur ont excité l'admiration et la curiosité de tous les hommes. Il y a dans les abdications une sorte de magnanimité qui frappe et qui console le vulgaire on aime à voir mépriser le rang où l'on peut atteindre. Il n'a fallu souvent que de l'audace et du bonheur

On attribua la vocation de madame Louise à différens motifs on eut l'injustice d'en supposer un dans le déplaisir d'être, pour le rang, la dernière des princesses. Je crois avoir pénétré la véritable

cause.

pour s'élever au trône; mais pour en descendre volontairement, pour le quitter avec calme et réflexion, il faut une âme peu commune et une véritable philosophie. Et quelle abdication que celle de la fille d'un souverain, d'un roi de France, quittant, sans retour, le palais de Versailles, pour habiter, jusqu'au tombeau, une cellule!... Mon imagination me présentait tous les détails de ce sacrifice, et je ne pouvais concevoir qu'une personne de trente-cinq ans, élevée dans la pompe et dans la mollesse, pût supporter le genre de vie de ces austères recluses. Ces pensées m'occupaient sur la route de Saint-Denis, et je suis entrée avec émotion dans le parloir des Carmélites. Un instant après, le rideau de la grille a été tiré, et madame Louise a paru. Je ne puis exprimer la surprise que j'ai éprouvée en jetant les yeux sur elle. Madame Louise, qui était si maigre et si pâle, est extrêmement engraissée; elle a le teint le plus frais et les couleurs très-vives... O paix de l'âme! doux accord des opinions et des sentimens avec les actions, la conduite et le genre de vie ! C'est vous qui formez le bonheur; c'est vous qui donnez cette sérénité céleste qui maintient l'équilibre de nos forces, qui conserve le mouvement égal et salutaire des ressorts de notre existence! Lorsque rien de ce qu'on voit et de ce qu'on entend ne peut blesser et contrarier, que tout ce qui nous entoure est en harmonie avec nous, que nulle discordance, nulle opposition, ne trouble le calme de nos pensées, que tout doit fixer notre imagination et nos regards sur l'objet qui nous touche et sur le but vers lequel nous courons; lorsque enfin l'exemple universel nous soutient dans notre marche,

Son âme était élevée, elle aimait les grandes choses; il lui était souvent arrivé d'interrompre ma lecture pour s'écrier: Voilà qui est beau! voilà qui est noble ! Elle ne pouvait faire qu'une seule action d'éclat; quitter un palais pour une cellule, de ri

n'est-on pas aussi heureux qu'on peut l'être sur la terre? Madame Louise permet les questions et y répond brièvement, mais avec bonté. Je désirais savoir quelle est la chose à laquelle, dans son nouvel état, elle a le plus de peine à s'accoutumer. Vous ne le devineriez jamais, a-t-elle répondu en souriant : c'est de descendre seule un petit escalier. Dans les commencemens, a-t-elle ajouté, c'était pour moi le précipice le plus effrayant ; j'étais obligée de m'asseoir sur les marches et de me traîner, dans cette attitude, pour descendre.

>> En effet, une princesse qui n'avait descendu que le grand escalier de marbre de Versailles, en s'appuyant sur le bras de son chevalier d'honneur.... et entourée de ses pages, a dû frémir en se trouvant livrée à elle-même sur le bord d'un escalier bien raide, en colimaçon. Elle connaissait long-temps d'avance toutes les austérités de la vie religieuse; pendant dix ans elle en avait secrètement pratiqué la plus grande partie dans le château de Versailles, mais elle n'avait jamais pensé aux petits escaliers. Ceci peut fournir le sujet de plus d'une réflexion sur l'éducation ridicule, à tant d'égards, que reçoivent en général les personnes de ce rang, qui, dès leur enfance, toujours suivies, aidées, escortées, sifflées, prévenues, sont ainsi privées de la plus grande partie des facultés que leur a données la nature*. »

* Les princes, aujourd'hui, sont mieux élevés, surtout en Angleterre, en Prusse, etc.; mais l'auteur écrivait ceci en 1773.

(Note de madame de Genlis.)

ches vêtemens pour une robe de bure. Elle l'a faite.

Je vis encore madame Louise deux ou trois fois à sa grille. Ce fut Louis XVI qui m'apprit sa mort. << Ma tante Louise, me dit-il, votre ancienne maîtresse, >> vient de mourir à Saint-Denis, j'en reçois à l'in» stant la nouvelle; sa piété, sa résignation ont été >> admirables; cependant le délire de ma bonne tante >> lui avait rappelé qu'elle était princesse, car ses » dernières paroles ont été : Au paradis, vite, vite, » au grand galop!» Sans doute qu'elle croyait encore donner des ordres à son écuyer 1.

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Madame Victoire, bonne, douce, affable, vivait avec la plus aimable simplicité dans une société qui la chérissait : elle était adorée dans sa maison. Sans quitter Versailles, sans faire le sacrifice de sa moelleuse bergère, elle remplissait avec exactitude les devoirs de la religion, donnait aux pauvres tout ce qu'elle possédait, observait rigoureusement les jeûnes et le carême. Il est vrai qu'on reprochait à la table de Mesdames d'avoir acquis pour le maigre une renommée que portaient au loin les parasites assidus à la table de leur maître-d'hôtel. Madame Victoire n'était point insensible à la bonne chère, mais elle avait les scrupules les plus religieux sur les plats qu'elle pouvait manger au temps de pénitence. Je la

I

Puisque madame Campan rapporte cette anecdote, je ne la révoquerai point en doute; mais elle paraît s'accorder peu avec les sentimens pieux et les discours toujours réservés de Louis XVI. (Note de l'édit.)

vis un jour très-tourmentée de ses doutes sur un oiseau d'eau qu'on lui servait souvent pendant le carème. Il s'agissait de décider irrévocablement si cet oiseau était maigre ou gras. Elle consulta un évêque qui se trouvait à son dîner: le prélat prit aussitôt le son de voix positif, l'attitude grave d'un juge en dernier ressort. Il répondit à la princesse qu'il avait été décidé qu'en un semblable doute, après avoir fait cuire l'oiseau, il fallait le piquer sur un plat d'argent très-froid; que si le jus de l'animal se figeait dans l'espace d'un quart d'heure, l'animal était réputé gras; que si le jus restait en huile, on pouvait le manger en tout temps sans inquiétude. Madame Victoire fit aussitôt faire l'épreuve, le jus ne figea point; ce fut une joie pour la princesse qui aimait beaucoup cette espèce de gibier. Le maigre qui occupait tant madame Victoire l'incommodait; aussi attendait-elle avec impatience le coup de minuit du samedi saint; on lui servait aussitôt une bonne volaille au riz, et plusieurs autres mets succulens. Elle avouait avec une si aimable franchise son goût pour la bonne chère et pour les commodités de la vie, qu'il aurait fallu être aussi sévère en principes, qu'insensible aux excellentes qualités de cette princesse, pour lui en faire un crime.

Madame Adélaïde avait plus d'esprit que madame Victoire; mais elle manquait absolument de cette bonté qui, seule, fait aimer les grands des manières brusques, une voix dure, une prononciation brève, la rendaient plus qu'imposante. Elle portait

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