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rement, à la reine sa sœur, des procédés révoltans de ce chargé d'affaires, auquel elle avait dit, pour le convaincre de la nature des sentimens qui l'attachaient à M. Acton, qu'elle le ferait peindre et sculpter par les plus célèbres artistes de l'Italie, et qu'elle enverrait son buste et son portrait au roi d'Espagne, afin de lui prouver que le désir de fixer un homme d'une capacité supérieure pouvait seul l'avoir portée à lui conserver la faveur dont il jouissait. Ce M. Las-Casas avait osé lui répondre qu'elle prendrait une peine inutile; que la laideur d'un homme ne l'empêchait pas toujours de plaire, et que le roi d'Espagne avait trop d'expérience pour ignorer qu'on ne pouvait s'expliquer les caprices d'une femme.

Une réponse aussi audacieuse avait saisi d'indignation la reine de Naples, et l'impression de la douleur qu'elle en avait ressentie lui avait fait faire une fausse couche dans la journée même. Louis XVI s'étant porté pour médiateur, la reine de Naples eut satisfaction entière dans cette affaire, et M. Acton fut conservé dans son poste de ministre principal '.

Dans le nombre des traits qui caractérisaient l'extrême bonté de la reine, on doit placer son respect pour la liberté individuelle. Je l'ai vue éprouver les plus grandes importunités de gens dont l'esprit était aliéné, sans permettre qu'ils fussent arrêtés.

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Voyez, sous la lettre (U), les détails sur ce ministre et sur sa conduite envers la France. (Note de l'édit.)

Sa patiente bonté fut mise à une bien désagréable épreuve par un ancien conseiller au parlement de Bordeaux, nommé Castelnaux : cet homme s'était déclaré l'amoureux de la reine, et était généralement connu sous ce nom. Durant dix années consécutives, il fit tous les voyages de la cour; pâle, hâve comme les gens dont l'esprit est égaré, son aspect sinistre inspirait un sentiment pénible: pendant les deux heures que durait le jeu public de la reine, il restait sans bouger en face de la place de Sa Majesté; à la chapelle, il se plaçait de même sous ses yeux, et ne manquait pas de se trouver au dîner du roi ou au grand couvert ; au spectacle de la ville, il s'asseyait le plus près possible de la loge de la reine; il partait toujours pour Fontainebleau, pour Saint-Cloud, un jour avant la cour; et lorsque Sa Majesté arrivait dans ces différentes habitations, la première personne qu'elle rencontrait, en descendant de voiture, était ce lugubre fou qui ne parlait jamais à personne. Pendant les séjours de la reine au petit Trianon, la passion de ce malheureux homme devenait encore plus importune; il mangeait à la hâte un morceau chez quelque suisse, et passait le jour entier, même par les temps de pluie, à faire le tour du jardin, marchant toujours au bord des fossés. La reine le rencontrait souvent quand elle se promenait seule ou avec ses enfans; cependant elle ne voulait permettre aucun moyen de violence pour la soustraire à cette insoutenable importunité. Ayant un jour donné à M. de Sèze une permission d'entrer à Trianon, elle

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lui fit dire de se rendre chez moi, et m'ordonna d'instruire ce célèbre avocat de l'égarement d'esprit de M. de Castelnaux; puis d'envoyer chercher celui-ci, pour que M. de Sèze eût avec lui un entretien. Il lui parla près d'une heure, et fit beaucoup d'impression sur son esprit enfin M. de Castelnaux me pria d'annoncer à la reine que, décidément, puisque sa présence lui était importune, il allait se retirer dans sa province. La reine fut fort aise, et me recommanda de bien exprimer à M. de Sèze toute sa satisfaction. Une demi-heure après que M. de Sèze fut parti, on m'annonça le malheureux fou; il venait me dire qu'il se rétractait, qu'il ne pouvait, par le seul effet de sa volonté, cesser de voir la reine aussi souvent que cela lui était possible. Cette nouvelle réponse était désagréable à porter à Sa Majesté; mais combien je fus touchée de l'entendre dire: Eh bien, qu'il m'ennuie! mais qu'on ne lui ravisse point le bonheur d'être libre 1.

On n'avait connu l'influence directe de la reine dans les affaires, pendant les premières années du règne, que par la bonté qu'elle mit à obtenir du roi la révision de deux procès célèbres 2.

'Lors de la funeste arrestation du roi et de la reine à Varennes, ce malheureux Castelnaux voulut se laisser mourir de faim; ses hôtes, inquiets de son absence, firent forcer la porte de sa chambre; on le trouva sans connaissance, étendu sur le parquet. J'ignore ce qu'il est devenu depuis le 10 août.

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(Note de madame Cumpan.)

La reine ne s'était permis de se mêler de ces deux procès

TOM. I.

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Si le roi n'a point inspiré à la reine un vif sentiment d'amour, il est au moins bien sûr qu'elle lui en accordait un mêlé d'enthousiasme et d'attendrissement, pour la bonté de son caractère et l'équité dont il a donné tant de preuves multipliées pendant son règne. Nous la vîmes rentrer un soir fort tard; elle sortait des cabinets du roi, et nous dit à M. de Mizery et à moi, en essuyant ses yeux remplis de larmes : « Vous me voyez pleurer, mais n'en prenez pas d'inquiétude : ce sont les plus douces larmes qu'une femme puisse verser; elles sont causées par l'impression que m'ont faite la justice et la bonté du roi; il vient d'accorder à ma demande la révision du procès de MM. de Bellegarde et de Monthieu, victimes de la haine du duc d'Ai

que pour en solliciter seulement la révision; car il n'était nullement dans ses principes d'intervenir en rien dans ce qui concernait la justice, et jamais elle ne se servit de son influence auprès des tribunaux. La duchesse de Praslin, par une criminelle bizarrerie, ayait porté son inimitié pour son mari jusqu'à déshériter ses enfans en faveur de la famille de M. de Guéménée. Cette injustice amena naturellement un grand procès dont Paris était très-occupé. La duchesse de Choiseul, vivement intéressée dans cette affaire, suppliait un jour la reine, en ma présence, de vouloir bien au moins faire de ́mander à M. le premier président quand on appellerait sa cause; la reine lui répondit qu'elle ne ferait pas même cette démarche, puisqu'elle dénoterait un intérêt qu'il était de son devoir de ne pas manifester.

(Note de madame Campan.)

guillon contre le duc de Choiseul. Il a été tout aussi juste pour le duc de Guines, dans son affaire avec Tort. Il est heureux pour une reine de pouvoir admirer, estimer celui qui lui fait partager son trône; et vous, je vous félicite d'avoir à vivre sous le règne d'un souverain aussi vertueux., Nos larmes d'attendrissement se mêlèrent à celles de la reine; elle voulut bien nous permettre de baiser ses charmantes mains. Cette scène si touchante ne s'est jamais effacée de mon souvenir. Et c'est sous le règne de souverains aussi clémens, aussi sensibles, que nous avons eu à souffrir des fureurs que la plus cruelle tyrannie n'eût pas même excusées; et ce sont des êtres augustes, si bien formés par la divine Providence pour le bonheur des peuples, que nous avons eu la douleur de voir eux-mêmes victimes de ces fureurs aussi insensées qu'elles ont été barbares!

La reine fit parvenir au roi tous les mémoires de M. le duc de Guines, compromis, dans son ambassade en Angleterre, par un secrétaire qui avait joué sur les fonds publics à Londres, pour son propre compte, mais de manière à en faire soupçonner l'ambassadeur. MM. de Vergennes et Turgot, ayant peu de bienveillance pour le duc de Guines, ami du duc de Choiseul, n'étaient pas disposés à servir cet ambassadeur. La reine parvint à fixer l'attention particulière du roi sur cette affaire, et la justice de Louis XVI fit triompher l'innocence du duc de Guines.

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