Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

pensions, faisaient alors toute la fortune de la favorite. Je n'ai jamais vu la reine lui faire de présens d'une valeur réelle; je fus frappée même d'entendre un jour Sa Majesté raconter avec plaisir que la comtesse avait gagné dix mille francs à la loterie : elle en avait, ajoutait la reine, un très-grand besoin.

:

Les Polignac n'étaient donc point établis à la cour avec une splendeur qui pût légitimer aucun mécontentement. Les Noailles avaient peut-être lieu d'être blessés dans cette occasion: ils avaient quelques droits sur la survivance du comte de Tessé le rétablissement de la place de surintendante avait aussi été un désagrément pour la comtesse de Noailles qui, s'étant trouvée avoir une supérieure, avait pris sa retraite. Cette famille, prépondérante à la cour, ne fut pourtant pas la seule que la fortune du comte de Polignac indisposa contre Marie-Antoinette. Ce qu'un courtisan voit obtenir à d'autres lui semble toujours pris sur son bien, c'est une règle. Dans cette occasion, cependant, on envia moins le matériel des grâces accordées aux Polignac, que l'intimité qui allait s'établir entre eux, leurs cliens et la reine. On vit, dans le cercle de la comtesse Jules, une porte ouverte pour obtenir la faveur, les grâces, les ambassades. Ceux qui n'avaient pas l'espoir d'y entrer furent irrités.

Le salon de madame de Polignac a fait un grand tort à Marie-Antoinette; il a puissamment excité ses ennemis. Cependant, au temps dont je parle, la société de la comtesse Jules, tout occupée de consoli

[merged small][ocr errors]
[ocr errors]

der sa faveur, était loin de se mêler des affaires sérieuses auxquelles la jeune reine était encore étrangère. Lui plaire était le désir généralement partagé par tous les amis de la favorite. Le marquis de Vaudreuil régnait dans la société du comte et de la comtesse Jules : c'était un homme brillant, ami et protecteur des beaux-arts. Parmi les gens de lettres et les artistes célèbres, il avait une nombreuse clientèle1.

'M. de Vaudreuil aimait passionnément les arts et les lettres; il se plaisait à les encourager, plus encore en amateur qu'en homme puissant. Toutes les semaines il donnait un dîner uniquement composé de littérateurs et d'artistes. La soirée se passait dans un salon où l'on trouvait des instrumens, des crayons, des couleurs, des pinceaux, des plumes, et chacun composait, peignait, écrivait selon son goût ou son talent. M. de Vaudreuil lui-même en cultivait plusieurs. Sa voix était fort agréable; il était bon musicien. Ce talent le fit rechercher dès son entrée dans le monde. La première fois qu'il fut reçu chez madame la maréchale de Luxembourg : « Monsieur, lui dit-elle après le souper, on dit que vous chantez fort bien; je serais charmée de vous entendre; mais, si vous avez cette complaisance pour moi, ne me chantez point d'ariettes, point de grands airs, un pont-neuf, un simple pont-neuf. J'aime le naturel, l'esprit, la gaieté. » M. de Vaudreuil demanda donc la pérmission de chanter un pont-neuf alors fort à la mode. Il ignorait que madame la maréchale de Luxembourg avait été, avant son veuvage, madame la comtesse de Bouflers. Il chanta d'une voix pleine et sonore le premier vers du couplet qui commence ainsi :

Quand Bouflers parut à la cour....

Le baron de Besenval avait conservé la simplicité des Suisses, et acquis toute la finesse d'un courtisan français. Cinquante ans révolus, des cheveux blan

Au moment même on tousse, on crache, on éternue. M. de Vaudreuil poursuit :

On crut voir la mère d'Amour.

Le bruit, l'agitation redoublent. Mais, après le troisième vers, Chacun cherchait à lui plaire,

M. de Vaudreuil s'arrête en voyant tous les yeux fixés sur lui. « Poursuivez donc, monsieur, dit la maréchale en chantant elle-même le dernier vers:

Et chacun l'avait à son tour. »

Ce que le baron de Besenval a écrit de madame la maréchale de Luxembourg rend l'anecdote vraisemblable. Mais, dans une circonstance aussi difficile, peut-être la maréchale faisaitelle preuve de plus de présence d'esprit que d'impudence.

M. de Vaudreuil réussit beaucoup dans le monde par son esprit et ses qualités. Il avait auprès des femmes un langage plein d'agrément et de charme, s'il faut en croire un mot de la princesse d'Hénin rapporté par madame de Genlis dans les Souvenirs de Félicie.

« J'ai vu aujourd'hui Le Kain donner à un débutant une leçon de déclamation; ce jeune homme, au milieu de la scène, saisit le bras de la princesse. Le Kain, choqué de ce mouvement, lui a dit: Monsieur, si vous voulez paraître passionné, l'air de craindre de toucher la robe de celle que vous aimez. ayez Que de sentiment, et combien de choses délicates dans ce mot! On les retrouve toutes dans le jeu parfait de cet acteur inimitable. Aussi madame d'Hénin a-t-elle dit qu'elle ne connaît que deux hommes qui sachent parler aux femmes : Le Kain et M. de Vaudreuil. »

[ocr errors]

(Note de l'édit.)

chis, lui faisaient obtenir cette confiance que l'âge mûr inspire aux femmes, quoiqu'il n'eût pas cessé de viser aux aventures galantes : il parlait de ses montagnes avec enthousiasme; il eût volontiers chanté le ranz-des-vaches avec les larmes aux yeux, et était en même temps le conteur le plus agréable du cercle de la comtesse Jules. La chanson nouvelle, le bon mot du jour, les petites anecdotes scandaleuses, formaient les seuls sujets d'entretien du cercle intime de la reine. Le bel esprit en était banni. La comtesse Diane, plus occupée de littérature que sa belle-sœur, l'invitait un jour à lire l'Iliade et l'Odyssée. La comtesse répondit en riant qu'elle connaissait parfaitement le poëte grec, et s'en tenait à ces mots :

Homère était aveugle et jouait du hautbois'.

' Cette repartie vive et gaie de madame la duchesse de Polignac est une imitation plaisante d'un vers du Mercure galant. Un des procureurs dit à son confrère, dans la scène de la dispute :

Ton père était aveugle et jouait du hautbois.

Madame la duchesse de Polignac, avec un esprit fin et un goût délicat, pouvait ne pas attacher un très-grand prix au savoir : mais on a peu d'idée de l'instruction des hommes admis dans sa société, quand on lit l'anecdote suivante :

<«< En 1781, la duchesse de Polignac était enceinte; pour être plus à portée de faire sa cour à la reine, elle pria madame de Bouflers de vouloir bien lui louer sa maison d'Auteuil, célèbre par ses jardins à l'anglaise. Madame de Bouflers, qui était attachée aux agrémens de sa maison de campagne, dé

La reine trouvait ce genre d'esprit très-fort de son goût, et disait que jamais pédante n'eût été son amie.

L'éclat de cette maison n'eut donc lieu que plu

sirait refuser madame la duchesse, sans pourtant la désobliger; elle lui répondit par les vers suivans :

Tout ce que vous voyez conspire à vos désirs ;
Vos jours toujours sereins coulent dans les plaisirs ;
L'empire en est pour vous l'inépuisable source;
Ou, si quelque chagrin en interrompt la course,
Le courtisan, soigneux à les entretenir,
S'empresse à l'effacer de votre souvenir.

Moi, je suis seule ici; quelque ennui qui me presse,
Je n'en vois dans mon sort aucun qui s'intéresse,
Et n'ai pour tout plaisir, madame, que ces fleurs
Dont le parfum exquis vient charmer mes douleurs.

» Madame de Polignac ayant montré ces vers, ses flatteurs les trouvèrent mauvais, croyant qu'ils étaient de madame de Bouflers. On ne manqua pas de rendre à celle-ci le jugement qui en avait été porté par les amis de la duchesse. « J'en » suis fâchée, répondit-elle, pour le pauvre Racine, car ces » vers sont de lui. »

En effet, on les lit dans Britannicus, acte 2, scène 3; c'est Junie ques adresse à Néron. Madame de Bouflers n'avait fait que de légers changemens aux quatre derniers vers qui sont ainsi dans Racine :

Britannicus est seul : quelque ennui qui le presse

Il ne voit dans son sort que moi qui s'intéresse,
Et n'a pour tout plaisir, seigneur, que quelques pleurs
Qui lui font quelquefois oublier ses malheurs.

Nous empruntons cette anecdote à la Correspondance secrète; elle est racontée différemment dans Grimm. Voyez les Éclaircissemens, lettre (N). (Note de l'édit.)

« ZurückWeiter »