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et de qui les attraits bien épanouis ne se dissolvent pas sous les feux de la rampe. Douée d'intelligence dramatique, d'esprit même, à ce qu'il paraît, elle joue ses rôles avec onction, avec énergie; peut-être même, dépasse-t-elle sous ce rapport, le but cherché. Elle introduit dans son chant un mouvement remarquable, sa déclamation est emportée, sa voix forte; mais... nous le confessons à regret, Mlle Heinefetter a une belle voix, une voix magnifique, trop belle même, puisque ces magnificences vont au delà du juste. Des expériences trop fréquentes nous ont instruit à nous méfier de ces chanteurs que l'on annonce long-temps d'avance comme doués d'une très belle et très puissante voix. De cruelles déceptions nous ont appris la vanité de ces gosiers pompeux, si bien que nous serions tenté de croire, avec un compositeur célèbre, que les belles voix ne servent qu'à chanter mal. Donc, mademoiselle Heinefetter est sûre de son organe à un quart de ton près. Par un gros malheur, pire que le reste, ce quart de ton se prélasse sur la note, au lieu de se cacher en dessous, ce qui est d'une acuité bien funeste. Sans nul doute, en rompant avec certaines habitudes vocales qu'elle a contractées, mademoiselle Heinefetter recouvrerait de la justesse; le bon goût y gagnerait aussi, et cette charmante actrice arriverait par la douceur aux succès qu'elle prétend obtenir à cors et à cris. Qu'elle nous pardonne une sévérité que son intérêt commande; si le mal était sans remède, nous nous bornerions à lui adresser des paroles consolantes en style d'épitaphe, mais nous croyons que cet organe peut être ramené à son principe de justesse, et qu'il ne faut pour ce résultat, que de l'étude. C'est du moins ce que nous avons dû penser, en trouvant mademoiselle Heinefetter beaucoup mieux dans la Juive où elle a chanté plus sobrement que dans le rôle de Valentine.

Nous ne saurions, à cette heure, offrir à cette jeune actrice, un meilleur exemple à suivre que celui de madame Stolz qui, dans la Favorite, ouvrage des plus médiocres, a eu l'art, sans recourir à l'exagération et au bruit, de donner de la grandeur et du style à un rôle qui n'en a guère, et d'unir à une simplicité remarquable une profondeur d'expression qu'on a rarement possédée. On ne peut contester, sans injustice, les progrès réels survenus dans la méthode de cette cantatrice éminente, à qui nous ne reprocherons que de ne pas jouer assez souvent. ?

Le ballet des Noces de Gamache qui figurait dans le programme de cette représentation, est une vieillerie assez déguenillée et qui ferait triste figure auprès du Diable Amoureux, le plus joli, le plus coquet, le plus gracieux ballet du monde. Cependant Héli s'est montré fort original dans le rôle de Don Quichotte; sur lui seul reposait le destin de la pièce. Le héros de la Manche avait été précédé de M. Barroilhet qui a importé sur la scène française un fragment de Torquato Tasso. Cette musique, dénuée de style comme l'est d'ordinaire celle des successeurs de Rossini, n'est cependant pas dépourvue d'une certaine invention mélodique. Mais quel pauvre langage on fait parler au Tasse, qui, lui, faisait parler si grandement les héros de son épopée chrétienne.

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Chanteur habile et délicat, Barroilhet a tiré de ce morceau tout le parti possible. Les chœurs l'ont médiocrement secondé, coiffés, qu'ils étaient, de toques à plumes suffisamment italiennes. Jusque là, tout va bien, les représentations à bénéfice admettent tous les genres. Mais l'étonnement du public a été grand de revoir mercredi Torquato Tasso, et d'entendre un acte de musique italienne, débité en idiome italien, sur la scène de l'Opéra. On a été surpris de voir les bouffes envahir ainsi le camp de leurs rivaux, et venir y sonner l'annonce de leur spectacle. Tel est l'incident qui a, comme nous l'avons dit, fortement préoccupé nos compositeurs, bien assurés qu'ils sont qu'on ne leur laissera pas prendre leur revanche à l'Odéon.

C'est bien assez, disent-ils, de subir presque coup sur coup les Martyrs et la Favorite. A cela que répondre? Que la Favorite fait recette, ce qui est vrai, bien que nombre de journaux prétendent le contraire. Pour nous qui n'aimons guère cette musique, et qui, si nous l'osions, blâmerions le public de s'y porter, nous sommes forcés d'avouer qu'il l'accueille avec faveur.

Cette disgrâce est bien cuisante, sans doute, mais comme nous n'avons qu'une conscience et pas une passion en jeu dans ces sortes d'affaires, comme nous ne relevons que du public à qui nous devons fidélité et loyauté, nous conserverons l'habitude de lui donner les choses pour ce qu'elles sont. On se trompe assez lors même qu'on est de bonne foi, pour ne pas ajouter les erreurs volontaires à celles que comporte l'humaine insuffisance. Il faut donc se souvenir qu'on doit la vérité au public, et des égards avec de l'indulgence à ceux qui consacrent leur vie à étudier la science difficile de lui plaire.

FRANCIS WEY.

OPÉRA - COMIQUE. — Il Guittarero, opéra-comique en trois actes, paroles de M. Scribe, musique de M. Halévy. - N'en déplaise à M. Scribe, Il Guillarero n'est autre chose que le drame de Ruy-Blas, arrangé et découpé pour opéra-comique. Seulement, au lieu de se passer en Espagne, la scène se passe en Portugal! Ne vous gênez pas pour si peu, M. Scribe! Un pauvre orphelin, enfant perdu de l'harmonie, un jeune guittarero ou chanteur des rues, troubadour affamé qui porte de ville en ville sa misère et ses chansons, a rencontré par hasard, dans ses courses errantes, une beauté merveilleuse, inconnue, et le pauvre diable en est devenu amoureux, mais amoureux fou! Cette beauté est une des plus riches et des plus fières héritières de Portugal. Notre infortuné guitarero va done mourir de désespoir et d'amour, quand un grand seigneur lui frappe sur l'épaule et lui dit : « Veux-tu la fortune, les honneurs, un sort brillant, des habits brodés, et, de plus, veux-tu le cœur, veux-tu la main de la belle et riche Portugaise?» Le pauvre guiltarero, tout étourdi de bonheur, croit rêver, mais accepte toujours, quitte à voir s'envoler en fumée son beau rêve! Ce seigneur si généreux et si complaisant, le don Salluste de la pièce, est Alvar, le noble Alvar, qui a reçu un outrage de Zarah, un soufflet de sa blanche main et de son gant parfumé, cruel affront pour une joue castillane! Aussi, don Alvar a-t-il juré, par l'épée du Cid, de se venger! C'est notre artiste en plein vent qui va servir à sa vengeance: Zarah, la noble et dédaigneuse Zarah, épousera un chanteur des rues!

Notre pauvre diable de troubadour errant est donc reçu, accueilli, fêté à la Villa-Reale, sous le nom brillant de don Juan de Guymareus, jeune seigneur millionnaire récemment arrivé du Mexique. Zarah le voit, l'entend, reconnaît la voix qui, mystérieuse et passionnée, lui chantait, la nuit, au clair des étoiles, de si douces romances, des cantilènes si gracieuses; elle aime, elle aime enfin, la belle indifférente! et bientôt elle épouse le guittarero sous le faux nom et les faux habits de don Juan!

Le mariage est célébré; tout est fini, quand Alvar, dévoilant sa ruse infernale, jette la honte et le désespoir au cœur de Zarah, et renvoie le malheureux chanteur à sa guitare et à ses haillons! Le rêve s'est évanoui; tout est perdu pour notre infortuné guitlarero; non seulement Zarah l'abandonne, mais elle va le mépriser, quand le généreux artiste se dévoue à la mort, en se faisant passer pour le duc de Bragance, prétendant qui finit par monter sur le trône, comme tous les prétendans d'opéra comique. En récompense de son noble dévouement, le guittarero est fait comte, millionnaire, et la belle, Zarah lui rend sa main, son estime et son cœur!

Tel est le poëme de M. Scribe, coupé, taillé en plein drap dans RuyBlas, comme vous voyez. M. Halévy, l'auteur de l'Éclair, a écrit sur ce libretto une musique grâcieuse et savante à la fois. L'ouverture et le premier acte sont peut-être un peu faibles, mais le second et le troisième actes de cette nouvelle partition renferment des beautés remarquables, des duos dramatiques pleins d'ame et de verve, et des morceaux d'ensemble entraînans. Nous devons surtout signaler, au premier acte, la charmante romance d'entrée de madame Capdeville, et, au troisième, une autre délicieuse romance: Partez, monsieur, parlez! C'est une mélodie déchirante parfaitement rendue par la nouvelle cantatrice. En somme, Il Guittarero est un brillant succès pour l'Opéra-Comique. Madame Capdeville, jeune et belle débutante, a chanté son rôle avec beaucoup de sentiment et de goût; c'est une cantatrice heureusement

douée, qui a une fort belle voix de contr'alto, et qui chante avec une méthode parfaite. Ou nous nous trompons fort, ou madame Capdeville est destinée à de brillans triomphes sur la scène lyrique. C'est une précieuse acquisition pour l'Opéra-Comique: jeune, belle et excellente cantatrice, elle réunit trois grandes qualités pour une prima donna! Roger, dans le rôle du guiltarero, a aussi déployé beaucoup de talent, c'est une justice que nous devons lui rendre. Le poète, le compositeur, la débutante et le ténor, tous ont été couverts d'applaudissemens. Cette brillante soirée promet beaucoup au caissier de l'Opéra-Comique. A. D.

BALS.

Samedi dernier, il y avait cinq mille personnes à l'Opéra. Malgré vingt entreprises rivales, ses bals se sont assuré la vogue. C'est tout simple: le public ne se laisse pas prendre par des paroles; il veut des faits. Il sait qu'il n'y a pas une salle en France où l'on puisse trouver autant de grandeur et de magnificence; que le foyer de l'Opéra est le rendez-vous journalier d'une société choisie; qu'aucun orchestre n'est comparable à celui de Musard. La foule vient donc aux bals de l'Opéra, parce qu'ils doivent être, et qu'ils sont en effet, les plus beaux de Paris. Si jamais elle s'en éloignait, c'est qu'on cesserait de songer à ses plaisirs; tout prouve au contraire qu'on s'en occupe constamment. Que l'administration persévère et le passé lui présage un succès certain.

TABLETTES DES CINQ JOURS.

Faits divers.

20 Janvier. La Seine a diminué pendant cette nuit de 20 centimètres. Déjà les ports de déchargement commencent à se découvrir; mais il faut encore au moins une nouvelle baisse de deux mètres pour que la navigation, depuis si long-temps interrompue et attendue avec tant d'anxiété, reprenne son cours ordinaire.

-

On fait la remarque suivante au sujet des graves inondations produites en ce moment par de très petites rivières.

« Toutes les fois qu'à la suite d'une gelée qui a pénétré assez avant dans le sol, la neige tombe et s'accumule en grande quantité; au moment du dégel, l'eau provenant de la fonte des neiges ne pouvant être absorbée, doit occasionner une crue considérable dans les rivières. En 1820, de semblables sinistres avaient eu lieu les circonstances étaient les mêmes. >> 21. -On va lancer prochainement à Lorient une frégate de 60 canons, la Sémillanle.

On nous écrit à la hâte de Chalon-sur-Saône, le 17 janvier :

« Un affreux événement vient d'arriver près d'ici, entre quatre et cinq heures du soir. Le bateau à vapeur la Citis était venu à Chalon-sur-Saône, avec ses chaudières et bouilleurs, construits dans les usines de Pont (Haute-Saône), ainsi qu'une partie de la machine, pour en recevoir le complément fait au Creusot.

« L'un des chefs de cet établissement, M. E. Schneider, M. Bourdon, ingénieur, M. Pognon, maire du Creusot, M. Bresson, capitaine d'un autre bateau à vapeur, et plusieurs mécaniciens et ouvriers étaient à bord pour assister aux essais; toutes les précautions d'usages avaient été prises, le niveau d'eau des chaudières venait à l'instant même d'être vérifié, lorsqu'un bouilleur ayant crevé, une explosion terrible a eu lieu ; l'arrière du bateau a été emporté.

<< Sept ou huit personnes, parmi lesquelles on nous signale MM. Pognon et Bresson, ont été tuées, noyées ou brûlées; les autres ont échappé comme par miracle. M. Eugène Schneider n'a point eu de mal, et M. Bourdon n'a qu'une légère contusion à la tête.

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avec le camp, et il a fallu y envoyer des vivres d'Aire, sous l'escorte d'un escadron de cuirassiers.

Les ducs d'Orléans et d'Aumale, arrivés le 15 au soir à SaintOmer, avaient été retenus quelques temps, au dessus d'Arques, par l'inondation. Plusieurs ponts ont été entraînés par la violence des

eaux.

Sur toute la ligne de l'Escaut, les inondations s'étendent sur des portions énormes de terrain. A la jonction de l'Escaut et de la Sensée, à la jonction de l'Escaut et de la Scarpe, les campagnes intermédiaires sont couvertes par les eaux, et de Saint-Amand jusqu'en Belgique, la vue s'étend sur un lac immense. En général, le dommage se borne à des pertes matérielles; mais pourtant on a eu à regretter la mort de quelques personnes. Un plus grand nombre aurait péri sans le dévoûment des bateliers. Près de Cambrai, six personnes entourées de toutes parts allaient disparaître, lorsque des bateliers se jetèrent à la nage pour atteindre une barque au moyen de laquelle ils purent recueillir ces malheureux, qui, avant de rejoindre la terre ferme, virent s'écrouler la maison qu'ils venaient de quitter. Ils ont tout perdu, ils n'avaient pas même eu le temps de se vêtir.

Heureusement, d'après les dernières nouvelles, les eaux commençaient à baisser. Il y avait plus de trente ans qu'on n'avait vu pareil désastre dans ces contrées.

23. On écrit de Rouen, le 18 janvier :

« Aucun point de notre département ne paraît avoir été épargné par les inondations. A Sauqueville, canton d'Offranville, l'eau a surpris les habitans qui n'ont eu que le temps de monter sur les toits de leurs maisons. Elle s'est rapidement élevée à deux mètres de hauteur. Bientôt on n'entendait plus que les cris de détresse des habitans qui demandaient du

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Bientôt l'hôtel de la préfecture, la commune de Saint-Just, tout le faubourg Saint-Quentin et une partie de la ville ont été inondé. Dans certains quartiers, il y a de 140 centimètres à 180 centimètres d'eau. >>

24. La ville de Florence a été choisie pour le lieu des séance du troisième congrès des savans italiens. Le marquis Cosimo Ridolfi, président, vient d'annoncer par une circulaire que le grand duc y avait autorisé l'ouverture des séances pour le 15 septembre 1841. La session durera jusqu'à la fin du même mois. Les savans étrangers seront admis dans le congrès, et sont instamment engagés à y apporter le concours de leurs lumières.

Les dernières nouvelles d'Italie dépeignent toujours comme fort alarmant l'état de santé de l'archiduchesse Marie-Louise.

Ceux qui ont lu les trois premiers volumes s'empresseront de se procurer la suite que nous annonçons, et ceux qui liront les nouvelles si intéressantes et si bien écrites dont se compose le quatrième volume voudront acheter les trois premiers.

Le quatrième volume du frecueil le Foyer de l'Opéra, vient de paraître chez l'éditeur Hippolyte Souverain, rue des Beaux-Arts, 5. Il satisfera pleinement l'attente des nombreux souscripteurs de ce curieux ouvrage.

Le Gérant, TAQUARD.

Paris. - Imprimerie et lithographie de MAULDE et RENOU, rue Bailleul, 9 et 11, près du Louvre.

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SOMMAIRE.

:

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mour d'une Femme, par Mme ANAÏS SEGALAS. · La Princesse de
ramanico, par Mme FANNY DÉNOIX. Nouvelles à la main.
-s Prisons d'État sous le Directoire, le Consulat et l'Empire, par
- B. M. Géographie, notice sur l'île de Wallis, par le Père
TAILLON. Tribunaux Police correctionnelle; Justice de Paix ;
onseil de Discipline de la garde nationale. Théâtres Théâtre de
Renaissance, réouverture; Théâtre des Variétés le père Marcel,
r Mme ANCELOT; la Descente de la Courtille, par MM. DUMERSAN
DUPEUTY. Bals. Modes.
Tablettes de
nq jours: faits divers.

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Bibliographie.

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Au présent numéro est jointe une gravure de Mode.

L'AMOUR D'UNE FEMME.

I

En l'an de grâce 1762, la dix-septième année du règne de madame de mpadour, une jeune femme en vertugadins et un jeune homme pouà frimas, voyageaient tendrement dans un carrosse couvert de pouse. Après avoir traversé Bâle, ils se dirigeaient vers Lucerne. La jeune me était le type du joli ses yeux étaient pleins de coquettes œilla; ses traits d'enfant, aux lignes arrondies, semblaient dessinés par la

le nom de calèche, la garantissait de la fraîcheur de l'air, et un long mantelet de taffetas noir couvrait ses épaules.

Le jeune homme, assis près d'elle était un séduisant cavalier. Les cercles et les bureaux d'esprit en étaient affolés. On vantait à Versailles sa distinction et sa parfaite élégance : nul ne portait des jabots de plus riche malines, des habits de velours ou de lampas mieux brodés d'or ou d'argent, et de la poudre plus parfumée d'ambre. Nul ne perdait au lansquenet avec plus d'insouciance, et ne prenait avec plus de grâce les navettes d'écaille des belles marquises, pour les aider à faire des nœuds. Ses manières, élégamment impertinentes avec les hommes, se faisaient moelleuses et assouplies avec les femmes. Noble et fier autant que galant, à la moindre insulte il tirait du fourreau la riche épée de ses pères, avec autant d'aisance qu'il ramassait un éventail. Son esprit était léger, papillonnant, et taillé à pointes de diamant. Disciple de Dorat et de Bernis, il ne dédaignait pas la lyre d'Apollon, comme on eût dit alors, et il rimait tour à tour de galans madrigaux et des chansons satiriques sur la favorite et les petits événemens du jour.

Le mystère dont s'entouraient les voyageurs, les regards amoureux de l'un et la rougeur de l'autre, tout annonçait un enlèvement. Quelle était donc cette Hélène du dix-huitième siècle, et quel était ce brillant Påris? Etait-ce un premier gentilhomme de la chambre enlevant la Dubois, ou la piquante Allard, et laissant sa femme livrée à sa douleur ou à ses consolations? Était-ce un marquis à talons rouges entraînant une belle duchesse qui abandonnait pour lui son duc légitime? toutes ces suppositions pouvaient être une réalité, car, à cette époque de péchés conjugaux, le diable apposait sa griffe au bas de tous les contrats de mariage. Cette fois pourtant il s'agissait d'un enlèvement de jeune fille la noble et charmante Julie de Cernec venait de quitter furtivement une vieille parente qui lui servait de mère, pour suivre le cheva

in de Boucher; son visage était printanier; c'était une rose de mai,lier de Savannes, gentilhomme ordinaire du roi. Elle le connaissait à

is une rose qui mettait du rouge végétal: ses joues étaient enlumies de carmin et semées de mouches; sa robe, à larges bouquets, flotsur des paniers de baleine, et sa jolie tête, artistement poudrée, était che comme une boule de neige. Un capuchon baleiné, connu sous

peine pourtant, ne l'avait vu que dans les salons, et ne le rencontrait que depuis quelque temps soit au jeu de la reine, soit aux soupers de madame Geoffrin; mais la fascination avait été prompte, et l'élégant chevalier était devenu son idole et son dieu terrestre.

82

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Vous êtes mon Hébé, ma Vénus, c'est de vos yeux seuls qu'est parti le trait qui m'a blessé, disait le chevalier qui avait lu Dorat et Gentil Bernard.

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- Votre amour, c'est ma vie, reprenait Julie qui ne lisait que dans son cœur. Je sais qu'il y a folie à moi de vous suivre, mais je me laisse conduire dans l'abîme parce que j'aime la main qui m'y conduit; si au lieu d'être un noble et brillant gentilhomme, vous étiez un coupable, un proscrit, je vous dirais encore: Je vous aime et je vous suis.

Tout à coup Julie pâlit; ses regards fixés sur le chevalier devinrent moins caressans, et une profonde expression de tristesse et de désenchantement passa sur son visage.

· Qu'avez-vous donc, mon adorée ? s'écria le chevalier. Ce n'est rien, dit Julie, c'est ce vent qui me glace. Qu'avait-elle donc en effet, que venait-elle d'apercevoir sur le front de son bien-aimé? Était-ce le signe de réprobation de l'ange déchu, la marque d'un fer rouge? Rien de tout cela; c'étaient quelques mèches de cheveux en désordre, défrisées, hérissées. Une bouffée de vent venait d'en enlever la poudre comme les fleurs des abricotiers, et cette poudre fine et blanche était parsemée pittoresquement sur le front et sur l'habit de lampas. Tout cela donnait au pauvre amant un certain air négligé et mal peigné qui changeait son expression. Or, il faut un cadre élégant aux tableaux humains; il n'y a que ceux de Raphaël qui se passent d'ornement. La passion d'une femme d'ailleurs est essentiellement petite-maîtresse; la moitié de son amour appartient à la personne aimée, mais l'autre moitié revient de droit à la coupe de l'habit, à celle des cheveux, à l'eau de Portugal et au savon à la vanille. O Frivolité, ton nom est femme! va-t-on s'écrier. Mais cette frivolité, c'est la délicatesse; le luxe et l'élégance, c'est la poésie visible, et celui qu'on aime ne saurait être entouré de trop de prestiges. La jeune fille eût donc un serrement de cœur dans les cercles elle avait toujours vu le chevalier sortant des mains de son coiffeur et de son valet de chambre; sa coiffure à la Ramponneau formait autour de son visage un demicercle artistique, ses manchettes de Malines ou de point d'Angleterre étaient d'une blancheur irréprochable.

Julie ne connaissait en lui que l'homme du monde, et cet homme-là est charmant et d'une parfaite distinction. Il fait avec grand soin la toilette de sa personne et de son esprit, et avant de dire au laquais: Annoncez, il prend le temps de poser un sourire et du miel sur ses lèvres, du lustre et du clinquant sur sa conversation, de donner un coup d'œil à sa coiffure, et de secouer sur son habit le plus léger atôme de poussière. Mais Julie ne songeait pas que tout homme du monde cache l'homme intime; l'homme intime qui use chez lui jusqu'à la corde de ses vieux habits et ses vieux défauts, qui se peigne mal, et ne met guère de pommade sur ses cheveux ni de moelleux dans ses paroles, qui répond brusquement, bâille à grand bruit, met ses pieds dans de vieilles pantoufles et ses coudes sur la table.

Heureusement le chevalier, par une merveilleuse inspiration et par un nstinct d'élégance, porta la main à sa coiffure, et la sentant dérangée, a rajusta avec adresse. Julie oublia bientôt l'impression de désenchan

tement qui était venue l'attrister; elle retrouva son irrésistible lier, et le souvenir de sa déception s'effaça peu à peu. Cependant les chevaux trottaient avec une rare émulation, et ils entrèrent à grand bruit dans la ville de Lucerne..

C'est ici que nous allons nous arrêter, dit le chevalier. donc, ma Julie, comme cette ville suisse est charmante et coque se mire dans son lac comme une belle duchesse dans son miroir En vérité, le miroir est vaste, reprit Julie, et le cadre en est peu sauvage. Ce lac des quatre cantons est tout bordé de hautes ches montagnes. Dites-moi, mon ami, est-ce que nous ne tenter quelque ascension?

Sans doute, ma toute belle; nous nous élancerons vers haut sommet, et, près de ma Véuus toute montagne me sem lympe.

Après ce compliment mythologique, il voulut prendre galam bout des doigts de Julie pour les porter à ses lèvres; mais, da avança la main, elle retira la sienne par un mouvement de re Vénus venait de s'apercevoir qu'Adonis avait les mains sales. H horreur! se dit-elle intérieurement à l'imitation de Shakespeare. cependant naturel de penser que les soucis et la poussière d'un sont ennemis de l'entière blancheur; mais son amant lui semb demi-dieu; ses mains devaient rester blanches et parfumées, s courir aux soins vulgaires. Adonis lavait ses doigts dans la rs non pas avec du savon à l'œillet; la senteur qui en émanait assurément ni de l'essence de musc ni de l'extrait de vanille, de parfum qui leur était inhérent comme celui des fleurs. Mais, toutes les illusions de la jeune fille devaient s'effeuiller en dr dans un voyage où l'on vit côte à côte, le prosaïsme de l'existe tarde guère à se dévoiler. La pauvre Julie en était à peine aux pre pages de son roman, et déjà le chapitre des déceptions commenc

Deux jours après leur arrivée à Lucerne, les deux voyageurs saient péniblement la grande Scheidek. Ils suivaient un chemin a sionnel, raide et élevé comme l'échelle de Jacob, mais plus fréquen les chèvres que par les anges. Le vent était glacial et englan était perlé de gouttes de neige qui semblaient sur l'herbe verte de refire paquerettes blanches. Peu à peu la neige devint plus épaisse, par couvrir le petit sentier, les grands pins et l'immense corda rochers qui murait un côté du chemin. Les roses des Alpes seules traient çà et là leurs têtes vermeilles, et la vallée qui se dessinaite apparaissait encore avec toute la verdure et le luxe de l'été.

Les deux amans avaient le frisson; le pauvre chevalier grelotta neige argentait son surtout, et le vent lui caressait amoureusemen jambes. Pendant que la passion lui montait à la tête, [un rhum montait au cerveau, etjil mêlait des éternuemens à l'harmonie dur des-vaches.

le

Après avoir tremblé de froid, bientôt Julie trembla de peur; min presque aérien se trouvait suspendu sur un torrent, et deven chaque pas plus étroit et plus glissant. Tout à coup, un bruit sem à un coup de canon se fit entendre; Julie leva la tête et vit une aval qui se détachait d'un flanc de la montagne. Epouvantée, elle vous réfugier près de son bien-aimé; mais à peine eût-elle jeté les yeux de × côté, qu'elle poussa un cri et détourna la tête.

Deux heures plus tard, elle était dans la plaine, montait en carre et reprenait seule le chemin de Paris.

II

Quelque temps après une foule turbulente et bariolée obstruat petite impasse de la Court-Orry, qui menait à l'Opéra, et débordait d la salle encore située au Palais-Royal. C'était une nuit de bal mas l'opéra de Dardanus ou celui de Castor et Pollux. Le plancher craq on accourait avec plus d'empressement que s'il se fût agi d'ent sous des milliers de pas; la salle était éblouissante; les ignobles c

delles en avaient disparu depuis 1719, et des gerbes de bougies illumiminaient les lustres et les girandoles.

Une jeune femme en chauve-souris était arrêtée contre une colonne I entourée de fleurs. Elle regardait autour d'elle avec inquiétude, et semblait chercher quelque objet perdu: un frère, un éventail ou un mari.

A quelques pas d'elle, un groupe de femme entourait un domino perroquet, aux yeux flamboyans sous son masque.

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Je sais le passé, le présent et l'avenir, s'écriait-il, je vais vous dire à toutes votre histoire: approchez, ma toute belle, qui vous cachez sous un domino noir; vous êtes madame de Séran. Le ciel vous a douée d'une ravissante figure, et d'un mari laid, roux et borgne. Sa majesté qui a deux beaux yeux bleus, dont la charge spéciale est de remarquer les jolies femmes, tourne déjà ses regards de votre côté; mais vous êtes aussi chaste que belle; Louis XV ne sera jamais que votre royal ami, et vous resterez fidèle à la laideur maritale. Vous, spirituel, domino bleu, vous êtes mademoiselle de l'Espinasse, et le comte de Mara, fils de l'ambassadeur d'Espagne, s'est déclaré votre attentif. Et vous, mystétérieuse chauve-souris, dit-il en se tournant vers la jeune femme appuyée contre la colonne, ne voulez-vous pas écouter aussi quelque chapitre de votre vie?

Elle fit un pas pour s'éloigner; mais il se précipita vers elle, lui saisit la main, et la ramena dans le cercle.

Je sais ton nom, charmante dame lui dit-il, en fixant sur elle des regards sataniques; ton enveloppe de chauve-souris, qui cache ta gracieuse personne ne te déguise pas si bien que je ne te devine. Ecoute donc le domino magicien.

-Laissez-moi, lui dit-elle, je ne crois pas à la magie.

Et pourtant j'en vois dans tes yeux. Mais pourquoi donc es-tu si pressée de t'échapper?, Ta chaise de poste t'attendrait-elle à la porte, s'agit-il d'un autre voyage en Suisse avec un nouveau chevalier de Savannes?

Grand Dieu ! que dit-il! s'écria-t-elle avec effroi.

Mes belles jeunes femmes qui m'entourez, continua le domino, vous allez savoir la conduite de cette femme, et vous verrez s'il faut l'absoudre. Or, écoutez, mon gracieux parlement qui portez des bouquets de fleurs au lieu de mortiers à double galon d'or et de chaperons fourrés d'hermine, écoutez et jugez: Le chevalier de Savan

nes....

Ce mauvais sujet, dit une femme.

- Ce papillon de salon, dit une autre,

Oui, Mesdames, ce papillon de salon s'était laisser brûler à la flamme de deux beaux yeux. Une jeune fille le fascinait et semblait ellemême fanatisée. Or, un jour, le papillon et la demoiselle aux ailes d'azur prirent tous deux leur vol vers la Suisse. Le voyage fut délirant: on visita Bâle et Lucerne, on gravit la grande Scheidek: il y faisait bien un peu froid; sur la montagne c'était la température de janvier, mais dans le cœur des amans c'était le mois de juillet, cela faisait équilibre. Ils avançaient donc tous deux, en se jetant des regards de flamme et en soufflant dans leurs doigts, lorsque une avalanche se détacha d'un flane de la montagne; la jeune fille jeta un cri, descendit en toute hâte dans la plaine, retourna seule à Paris, et quelques mois après elle épousait le premier écuyer de la reine. Qu'était-il-donc arrivé à son bien-aimé ?

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— L'avalanche l'avait entraîné, dit une jeune femme.

- Non, madame, on l'aurait pleuré: on en aurait fait une idole. — Il avait pris un faux nom, dit une autre. La jeune fille avait découvert que ce n'était pas le chevalier de Savannes, mais un chef de brigands, un fils de Mandrin, que sais-je!.

-C'eût été romanesque: on l'aurait suivi, et l'on se serait dévouée, Mais ses crimes étaient sans pardon. Pendant le voyage, ses cheveux s'étaient ébouriffés, et la poudre s'en était envolée au vent; ses mains s'étaient salies comme celles d'un manant; et, enfin, quand la jeune fille

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-Laissez-moi achever. Si vous désirez, dis-je, être toujours aimé de votre femme, ayez pour elle des égards, de la sollicitude, et servez-vous d'eau de Portugal; soyez plein de dévouement, et soignez bien vos cheveux; munissez-vous de séductions et de poudre à l'ambre; soyez aimant, soyez fidèle, et ne portez pas de bonnet de soie noir. C'est le conseil que donne adieu le chevalier de Savannes. pour En disant cela, il disparut, laissant, son auditoire dans la stupéfaction. On ne sait si le mari suivit son conseil.

vous

ANAÏS SEGALAS.

LA PRINCESSE DE CARAMANICO.

Le nord du département de l'Oise, à peine exploré par les touristes, offre cependant de beaux paysages et des objets capables de fixer l'attention. Ceux qui l'habitent le jugent à peine digne de leur intérêt : les étrangers, n'ayant jamais ouï-dire qu'il renfermât rien d'extraordinaire, ne l'honorent même pas d'un regard. Mais vous qui avez traversé la cité des Bellovaques, qui volez sur la route de Calais pour aller fouler le sol de l'Angleterre, interrompez votre chemin au bourg de Granvillers; franchissez vers l'orient la plaine qui se présente aux regards comme un long tapis de verdure émaillé de fleurs; bientôt vous atteindrez la gothique chapelle du Hamel, où jadis le peuple se rendait pieds nus en pèlerinage. Là vous verrez une vierge célèbre par les miracles qu'on lui attribue: vous verrez les fameuses chaînes de M. de Créqui, dont l'histoire s'est presque effacée dans la nuit des temps.

Ce chevalier, que le désastre de Pavie avait rendu captir de CharlesQuint ainsi que François Ier, n'étant pas assez riche pour payer sa rançon, mit sa confiance en Notre-Dame-du-Hamel qui, dit la légende, brisa ses fers, et le transporta, pendant la nuit, de Madrid sur les terres du Hamel. M. de Créqui courut au même instant rendre grâce à sa divine protectrice et suspendre ses chaînes aux voûtes de l'église en mémoire de sa délivrance. Ces énormes chaînes, posées là depuis trois siècles, excitent encore la vénération; en les contemplant, on reconnaît une de ces images du passé qui parlent si éloquemment au cœur. La Vierge, remarquable par son antiquité, est entourée de fleurs nouvelles, de cierges, de dentelles, de bijoux, que les femmes du village déposent à ses pieds. Ces dons rappellent la simplicité des premiers âges; ils touchent, ils attendrissent l'ame; ils en font jaillir une de ces prières que le ciel ne rejette jamais.

De là, curieux voyageurs, dirigez vos pas vers le charmant village de Prévillers, où vous entendrez raconter, non plus une mystérieuse légende, mais une histoire moderne à laquelle j'affirme que vous pouvez ajouter foi. Je vais vous la dire dans toute sa merveilleuse vérité.

En 1785 naquit à Prévillers, sous la cabane de Jean Sillier, porcher

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