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ue l'on dinât, les visiteurs se reposèrent dans un salon décoré simpleent, mais avec une coquette élégance.

Madame est servie, vint dire quelques instans après, une jeune emme de chambre.

— Madame! répétèrent avec surprise François et sa femme, qui n'y omprenaient rien, et qui cherchaient autour d'eux la maîtresse de la maison. Cependant le bon père, rouge et joyeux comme un enfant qui ient de commettre une espiéglerie, riait aux éclats, se frottait les mains, se tenait tourné vers une fenêtre à travers laquelle il feignait de rearder.

Louise et son mari commençaient à entrevoir la vérité; mais ils n'oaient croire à tant de bonheur, il leur semblait que les prestiges d'un êve les entouraient d'illusions aussi douces que décevantes.

A la fin, le père Bridaine quitta la fenêtre, et tira de dessous sa souane un parchemin scellé du sceau royal.

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- O mon père! mon père ! vous êtes pour nous un ange protecteur! Je ne suis que l'instrument dont le Très-Haut, dans sa miséricorde, 'est servi pour mettre un terme à vos épreuves. Louange et reconnaisance à Dieu seul, mes enfans. Votre talent était déjà connu à la cour, t l'emploi vous était dů; on vous a rendu justice, voilà tout: car je n'auais pas demandé une chose injuste, même pour vous rendre heureux. - Olí! comment vous exprimer tout ce que j'éprouve?...

En nous mettant à table et en ne parlant plus de moi, mais de votre onheur.

On se mit à table, et je vous laisse à penser si le repas fut gai, et si 'on porta joyeusement la santé du père Bridaine.

Après le diner, le vieux prêtre prit son bâton pour partir.

- Vous reviendrez bientôt nous voir, dit Louise en présentant son fils aux caresses du religieux.

— Bientôt, reprit-il, d'un air mélancolique, bientôt!... je pars demain pour la Flandre à laquelle je vais porter ma mission de paix et de foi; ar le repos arrive bien rarement au vieux missionnaire, madame. Il faut qu'il marche sans relâche, et qu'il poursuive son pèlerinage apostolique jusqu'à l'heure où il s'arrêtera pour toujours.

- Et quelle est la récompense de tant de travaux et de tant de bonnes actions? s'écria Boucher.

Le père Bridaine leva les yeux au ciel et s'éloigna.

Louise, par un mouvement instinctif, se mit à genoux, et le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il eut tout-à-fait disparu, car elle la comprenait, elle, la récompense de cet homme. — C'était Dieu.

H. BERTHOUD.

SOUVENIRS DU VOYAGE A SAINTE-HÉLÈNE,

PAR M. L'ABBÉ FÉLIX COQUEREAU, Aumônier de la frégate la Belle - Poule. (Extrails).

Nous avions quitté Plantation-House, dirigeant notre course vers Longwood, que nous ne devions atteindre qu'après deux heures de marche, de montées difficiles et de rapides descentes.

L'aspect de l'île était partout le même, à cela près d'un peu de végétation sur le revers de certaines collines; le temps était beau, sauf la chaleur étouffante des vallées et le froid presque rigoureux des montagnes. En avant marchait le prince, ayant près de lui le capitaine Alexander, le chef de la justice et les deux commandans de la place et du bataillon; des Français composaient le reste de l'escorte.

De temps en temps, nous voyions arriver de toute la vitesse de leurs

chevaux des officiers anglais; ils transmettaient ou prenaient des ordres et repartaient aussitôt emportés dans un rapide galop; nous les suivions de l'œil, ils disparaissaient dans les sinuosités de la route, puis reparaissaient sur le sommet d'un pic ou dans le creux des vallons. Que de fois l'Empereur, autour duquel se multipliaient ces ordonnances, en voyant leurs habits rouges s'effacer dans les brumes, puis reparaître à travers les branches des pins noirs, dut les prendre pour les esprits du mal!

Quelques enfans, vêtus de plus ou moins de guenilles, nous avaient accompagnés dans notre excursion; sans doute ils ne donnaient pas de relief à notre cortége, mais depuis quelque temps leur présence nous était utile: de mille en mille, les routes étaient closes par des barrières qu'ils nous ouvraient; c'était le commencement des douloureux souvenirs, le terme imposé aux promenades de l'homme qui, en sept heures, allait de Valladolid à Burgos (35 lieues), l'annonce prochaine de quelque endroit à jamais mémorable. La route descendait par une pente plus rapide, elle tourna tout à coup. Au fond, un peu sur la droite, dans un plan assez éloigné, s'étendait un immense rocher, aux flancs nus et crevassés. Pas un arbre, pas une plante, pas même la bruyère, cette pauvre fille des montagnes; rien que le roc avec ses veines saillantes, ses teintes grisâtres; partant de la mer qui battait ses pieds, il ençaissait un ravin resserré par une autre ligne de roches moins élevées. Dans un plan plus rapproché de nous, quelque éboulement de terres supérieures avait permis de planter çà et là, des deux côtés, quelques arbres du nord, au feuillage triste. Là le ravin s'élargissait, il devenait vallée; quelques grands chênes y avaient aussi pris racine, au loin, sur le plateau qui couronnait la montagne, se dessinait, au milieu des brouillards, une maison de chétive apparence: cette maison s'appelait Longwood; la vallée ombragée par les grands chênes, s'appelait la vallée du Tombeau.

Nous laissâmes sur la droite le chemin de Longwood, et tournant aver la route, nous nous dirigeâmes vers la vallée, en suivant le terrain plat qui la domine. Je n'ai pas besoin de dire dans quel silence la marche se poursuivait : elle était grave et solennelle comme nos pensées; nulle autre distraction que de chercher à pénétrer, d'un regard avide, la profondeur de la vallée, curiosité que tous comprendront. Nous avions traversé l'Atlantique pour trouver un tombeau.

Bientôt il nous fallut tourner brusquement sur la droite et prendre le sentier qui descendait à la vallée; à une distance encore assez éloignée, le prince arrêta son cheval et mit pied à terre: nous l'imitâmes aussiôt, et au bout de quelques minutes, Français, Anglais se découvraient : nous avions aperçu des cyprès, une grille, une pierre tumulaire, un saule.

Un instant après, nous avions franchi l'enceinte et nous foulions cette terre sur laquelle on pouvait justement graver ces mots : Sta, viator, heroem caleas.

Mon premier mouvement fut de me jeter à genoux et de prier pour l'homme que Dieu avait fait si grand dans sa double fortune. Depuis longtemps, peut-être, sur sa tombe n'était descendu la prière, et cependant un grand nombre de pèlerins l'avaient visitée; mais beaucoup avaient pensé au héros, bien peu au chrétien. Après ma prière, je me levai; tous se tenaient debout autour de la grille, immobiles, dans une muette contemplation il y avait pour tous de si hauts enseignemens !

Telle était à peu près la disposition des lieux; le tombeau, renfermé par trois dalles, s'élevait un peu au dessus du sol, il formait un carré long: une grille de fer sans ouverture, surmontée de fers de lances et de pommes aux coins, l'entourait dans toute son étendue: entre les dalles et la grille régnait une plate-bande sur laquelle s'élevaient par intervalles quelques plantes bulbeuses... des forget me not (ne m'oubliez pas), quatré ou cinq pieds de géranium que la comtesse Bertrand avait elle-même plantés. Quelques saules du côté de l'entrée; les branches de l'un d'eux le plus rapproché, tombant sur la grille, pleuraient sur la tombe; de l'autre côté, étendu sur la terre, le tronc d'un antique saule à demi consumé par les ans; il avait vu descendre le cercueil impérial, peu d'années

après il était tombé, et les Anglais avaient respecté la chute du vieux témoin d'une si grande sépulture. Çà et là quelques mélèzes dont les noires tiges tranchaient avec l'herbe verte qui s'étendait sur le sol.

Des cyprès formaient la couronne de la vallée, dont un treillage de bois de trois pieds de hauteur faisait l'enceinte; son diamètre était de quarante pas environ. A la tête du tombeau, en dehors de l'enceinte, et à demi caché sous une arète de roches, une source d'eau fraîche et limpide; sur une pierre blanche, à côté, un gobelet de ferblanc, enfin la maison et la guérite du sergent anglais commis à la garde du lieu. Tout était simple, comme vous pouvez le voir; mais dans la simplicté souvent que de grandeur! Protégé par de hautes murailles de roche, aucun objet ne pouvait distraire le regard, aucun bruit ne troublait ce lieu qu'il avait choisi pour son dernier repos.

Les premiers momens de recueillement passés, avides de souvenirs historiques, nous dérobions à la terre un brin d'herbe, une pierre, une racine, aux cyprès quelques feuilles; les Anglais nous comprirent, et une voiture fut chargée du vieux saule. Une poignée d'or qui tomba dans les mains du vieux gardien, par les ordres du prince, fut le signal de la retraite. Nous partîmes sans regret nous devions revenir.

Une heure après, on nous ouvrait une dernière barrière; nous étions parvenus sur un vaste plateau, exposé à tous les vents, sans végétation autre que de longues herbes aux filets minces et pointus, triste parure des terrains maudits; des gommiers aux feuilles épaisses, courtes et sans ombrage, étaient groupés çà et là; nous marchions vers une espèce de ferme, à laquelle attenaient des bâtimens de service; sur notre gauche, s'élevait une maison de belle apparence, à la toiture d'ardoises et aux larges fenêtres. La ferme c'était le palais impérial-de Longwood, la belle maison le nouveau Longwood.

Le 5 mai 1821, quatre heures avant la mort de l'Empereur, deux personnes s'étaient rencontrées à la porte de son appartement, l'une venait lui apporter les clefs de sa nouvelle demeure, l'autre probablement prendre mesure de sa dernière...

Nous mîmes pied à terre; la maison tombait en ruine; en diverses places les murs étaient lézardés ou criblés de fissures, les vitres manquaient aux fenêtres; nous montâmes les trois marches qui exhaussent la maison du sol, puis nous pénétrâmes dans l'intérieur par le varenda au treillage vert qui en ferme l'entrée. Nous avions pour cicérone, M. Marchand qui l'avait habité six années.

La première pièce, construite après coup, avait été dans l'origine une salle de billard, puis plus tard, le billard ayant été enlevé, une espèce de salon d'attente; cinq fenêtres l'éclairaient; sur la gauche, en entrant, une petite table en sapin, noircie d'encre, supportant un registre sur lequel s'inscrivaient les pèlerins visiteurs; à côté, une cheminée en bois, hachée, tailladée dans toutes ses arètes; des noms écrits au couteau, à la plume, à la craie, couvraient les murs; en face de l'entrée, une porte qui s'ouvrait sur le salon où était mort l'Empereur.

En face du lit de l'agonie, le meunier, locataire de Longwood, avait placé un moulin!.... Je cherchai des yeux M. de Las-Cases, je le vis s'éloigner, suffoqué par les larmes.

La salle à manger, éclairée d'une seule fenêtre, nous conduisit en tournant vers la gauche dans la bibliothèque; rien que des murs délabrés et tapissés d'inscriptions. Revenus sur nos pas, nous nous trouvâmes de nouveau dans la salle à manger; puis M. Marchand, ouvrant une porte, nous dit: Voici la chambre à coucher et le cabinet de travail de Napoléon. Nous entrâmes empressés, et restâmes stupéfaits; nous étions dans une écurie..., oui, une écurie avec ses crêches et son fumier; le fumier s'étendait là où il prenait son repos; la crèche s'élevait là où il écrivait et dictait ses campagnes d'Italie et d'Egypte. Simultanément nous nous retournâmes vers les Anglais, ils n'étaient plus là; à la porte de Longwood, ils s'étaient arrêtés; une pudeur honorable les avait cloués au sol: merci

a eux!

Eh quoi! un gouvernement avait eu en sa puissance un homme dans

lequel s'était remuée toute une époque, un homme ainsi fait qu'i attacher à chaque chose qu'il avait touchée, à chaque lieu qu'i a quenté, d'impérissables souvenirs; et la maison qu'il avait on! maison dans laquelle s'était passés des jours qui assuraient le de ce gouvernement, la maison dans laquelle la plus grande. temps modernes s'était éteinte, il l'avaient abandonnée, laisse to ruine, traitée comme une chose vile!...

Mais voyez donc ce que vous avez fait; vous vous en êtes inte trée, le jour où de nobles visiteurs, précédés d'un chef plus nob viendront faire un pélerinage au lieu des grands souvenirs tiendrez à l'écart, confus, humiliés, et ce sera justice. Lord lord Castelreagh, vous savez ce que dit l'Ecriture: On recue l'on a semé; vous avez semé la honte, recueillez donc la honte.

Certes, si, moi, j'avais eu Longwood, je l'aurais gardé comme e cieuse dépouille; bijou de prix, je l'aurais enchâssé pour le pre l'altération du froid, de l'air, des brouillards, du soleil ; je l'aure servée, héritage transmissible à jamais aux fils de la nation, trophée le plus glorieux de ses annales. Voilà ce que j'en eusse i mais vous, vous l'avez laissé aux mains d'un marchand, et le pl en a fait marchandise; et à la tête du lit de Napoléon mourant. chand a installé un moulin à vanner l'orge; à la place où était susta son épée, il a accroché le licou d'un mulet....

Bientôt nous fùmes hors de ce lieu, son aspect inspirait des trop poignantes; quelques minutes nous suffirent pour parcourir he mens de service qui jadis avaient servi de demeure à Messieurs s raux Gourgaud, Montholon, de Las-Cases père et fils. Il faut le conde nos paysans de France sont au moins aussi bien logés.

Nous avions tout visité, même le petit jardin dont jadis le mati pris plaisir à tracer les allées. Sur la place de la tente où il s'abritates dant les chaleurs du jour, s'élevait une espèce d'observatoire métere gique. Mais la journée s'avançait, un brouillard épais qui menaçatı fondre en une pluie battante, fit regagner à l'un son cheval, à l'at voiture; et S. A. R. donna le signal du retour: nous abandonnion regrets ce plateau, que se disputent sans transition un soleil des brumes glaciales: ce jour là, nous étions saisis par le fro dis par la violence du vent.

Une heure après, nous étions à Jame's Town, où un dîner de qu couverts avait été préparé pour le prince, sa suite et un grand d'officiers anglais. A dix heures du soir, nos embarcations nous taient sur la terre de France, sous notre pavillon. Nous avions besa repos, repos de l'ame, repos du corps; de toute manière la journe été laborieuse.

Le samedi 10 se passa sans incidens à rapporter; le soir 8. et quelques personnes allèrent diner à Plantation-House, chez ise

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et le soleil, pourquoi refuser l'action de grâce solennelle et l'exion publique de la reconnaissance et de l'amour?

faisant ces réflexions, nous étions sortis de Jame's Town ou alnous? nul n'aurait pu le dire. Nous gravissions avec peine une e escarpée; à mi-côte, nous fìmes halte. Une maison assez graement posée au milieu d'un vert jardin, fixait mon attention. Deret la dominant entièrement, un immense rocher semblait se replier he un livre entr'ouvert; du milieu bondissait de roches en roches, nappes argentées, une cascade dont la voix, répétée par l'écho, quelque chose de mélancolique et de plaintif.

el était ce lieu? Un pâtre chinois qui gardait des chèvres, nous dit ot: Briars; ce mot était probablement le seul qu'il pût prononcer › manière intelligible pour nous. C'était Briars, à une demi-lieue ville; Briars! la maison que l'Empereur avait habitée quelques pendant qu'on cherchait une aire convenable pour l'aigle. Félicitons hercheurs; pour le soleil et les tempêtes, il était impossible de ren'er mieux que Longwood.

.

ur Napoléon, à Sainte-Hélène, une seule habitation était convenable, tation-House. Mais, comme il n'est pas d'usage que le geôlier cède ace au captif, il en fallut trouver une autre. Briars était petit : en mentant, on pouvait en faire quelque chose; mais Briars était à la › de Jame's-Town, on eût craint que l'expression de nobles sympaeût retenti jusque là. Longwood était distant de la ville de deux s; Longwood pouvait être facilement gardé : on s'arrêta à Longwood. voici le climat. J'ai parlé du temps rigoureux qu'il y faisait le jour otre première visite; le dimanche, 11 octobre, j'y étais encore, car e-là nous avions prolongé notre promenade, et bientôt il nous fallut r; nous étions trempés de pluie et engourdis par le froid. A toutes eures de notre séjour à Sainte-Hélène, on peut le dire, Longwood visité par les équipages de la Belle-Poule, de la Favorite, de este, et des autres bâtimens de notre nation alors en relâche: Beaude nous y sont retournés à plusieurs reprises, et le même temps s'y Dujours fait observer.

ous étions dans la plus belle saison de l'île qu'on juge alors des

es.

voulais examiner attentivement le nouveau Longwood, que j'avais à e entrevu en le parcourant à la hâte dans une précédente visite; il -estait encore à voir la maison du grand-maréchal; mais la pluie bait par torrens; je courus me mettre à l'abri un instant sous le e dont les feuilles avaient protégé le captif! Derrière moi s'élevait ur de terre qu'il avait fait construire pour opposer une barrière à la ur des vents ; une partie de ce mur misérable était tombée. Mais bienI nous fallut jeter un dernier coup d'œil et partir. Les pics de Diane e Barn's-Point, couronnés de nuages, semblaient menacer d'un noudéluge.

l'on va difficilement à Longwood, le retour devient facile ; il a fallu 'cesse monter; reste donc sans cesse à descendre; aussi fut-elle bienfranchie, la distance qui sépare ce point de la vallée du Tombeau. gré les brouillards et la pluie qui s'y précipitaient, M. Hernoux voudescendre; ne devant point assister à l'exhumation, il voulait donun dernier souvenir à ces lieux tranquilles, si pleins de religieuses ancolies. J'y joignis ma prière, puis, silencieux, nous reprîmes notre

e.

LA FRÉGATE LA BELLE-POULE.

a frégate qui porte aujourd'hui ce nom vient d'acquérir une célébrité facile en rapportant de Sainte-Hélène les restes glorieux de Napo■. Il est bon que les marins qui la montent en connaissent l'histoire. e sera pas inutile sans doute de montrer à quelles conditions nos seaux, comme nos régimens, ont conquis l'illustr: tion qui s'attache titres qui les distinguent.

"Une escadre de douze vaisseaux de ligne, sortie de Toulon le 13 avril 1778, sous le commandement du comte d'Estaing, s'était dirigée vers l'Amérique, où elle devait combattre la flotte anglaise, mouillée dans la baie de la Delaware. Depuis le départ de cette escadre, deux mois entiers s'étaient écoulés ; et chose étrange, aucun acte d'hostilité, aucun coup de canon, n'avait encore marqué, de part et d'autre, la rupture flagrante de la paix. Les Français, si prompts, si impatiens, si ardens par nature, étaient dans une attente extraordinaire. A qui donc devait échoir l'honneur d'engager cette terrible partie, qui avait pour tenans les deux nations les plus puissantes de l'Europe, et pour enjeu le sort du NouveauMonde? A qui donc était réservé la gloire de faire jaillir la première étincelle de cet immense incendie, dont les flammes allaient parcourir toutes les mers et envelopper tous les pays? Etait-ce à un de nos vaisseaux les plus formidables, à un des amiraux les plus renommés de notre marine militaire?

Non! la Providence qui se plaît à élever les humbles et à humilier les grands en avait ordonné autrement.

Le 17 juin 1778, à dix heures du matin, une vive rumeur s'éleva tout à coup à bord d'une frégate française de troisième rang, qui sillonnait alors les eaux de la Manche: cette frégate, armée de vingt-six canons de 12, s'appelait la Belle-Poule; elle était commandée par le lieutenant de vaisseau Chadeau de la Clocheterie. Le comte d'Orvilliers l'avait expédiée du port de Brest avec l'ordre d'aller observer les mouvemens de l'ennemi à l'entrée du détroit; or, la voix énergique de ses gabiers, qui, du haut des mâts, promenaient un regard interrogateur sur les différens points de l'horizon, venait précisément d'annoncer la découverte de plusieurs navires. Cette apparition, d'abord confuse, n'avait pas tardé à se dessiner plus nettement; le nombre et les murs des navires, grandissant au fur et à mesure qu'ils approchaient, on avait compté jusqu'à vingt bâtimens de guerre. C'était l'escadre qui, sous le commandement de l'amiral Keppel, avait escortée les douze vaisseaux de ligne que le gouvernement anglais s'était hâté d'envoyer à la poursuite du comte d'Estaing.

La frégate française, jetée sur la route de cette flotte ennemie, se trouvait dans la position la plus critique.

Le capitaine de la Belle-Poule, se prépare à faire son devoir en homme de cœur et à soutenir dignement l'honneur de la France. M. de la Clocheterie comptait beaucoup sur le brave Gréen de Saint-Marsault, son commandant en second. Une rare considération et un grand intérêt s'attachaient à la personne de ce jeune officier; il avait une figure pleine de noblesse, des manières affectueuses, l'esprit élevé et des connaissances très étendues. Après son pays, le commandant de Saint-Marsault n'aimait rien au monde autant que sa sœur, mademoiselle de Gréen. Tous deux étaient restés de bonne heure orphelins, et cet isolement n'avait qu'augmenté le vif attachement qu'ils avaient l'un pour l'autre. C'étaient les mêmes penchans, les mêmes habitudes, les mêmes joies et les mêmes chagrins.

Souvent il arrivait à Saint-Marsault de mêler le nom de mademoiselle de Gréen aux intimes causeries du bord: il était si heureux d'exalter la beauté, l'esprit, le cœur naïf, la douce piété de sa sœur ! Ses camarades, qui avaient remarqué ce pur et touchant enthousiasme, l'écoutaient toujours avec intérêt. Ils avaient même fini par s'identifier tellement avec l'ame affectueuse de Saint-Marsault', que leur langage ordinairement si libre, prenait devant lui un ton inusité de réserve.

L'amiral Keppel n'avait pas plustôt aperçu la Belle-Poule qu'il avait détaché vers elle plusieurs de ses bâtimens..

En ce moment, le vent était très faible, et les Anglais étaient encore séparés des Français par une distance de deux myriamètres. La Clocheterie, satisfait d'avoir pu reconnaître les forces de l'ennemi, prit habilement ses mesures pour se garantir de toute surprise; il devait craindre, par-dessus toutes choses, de se voir envelopper par les bâtimens de l'amiral. Complètement rassuré sous ce rapport, il attendit avec calme la frégate anglaise l'Arélhuse Celle-ci, commandée par le capitaine Marshall

portait vingt-huit pièces de 12, c'est-à-dire deux canons de plus que la Belle Poule. A six heures et demi du soir, les deux bâtimens se trouvèrent à portée de pistolet. L'Anglais voulut alors communiquer aux nôtres le message de son amiral; mais La Clocheterie s'était aperçu que le capitaine Marshall avait eu l'adresse, en venant à lui, de le prendre par la hanche. Voulant se tirer à l'instant même d'une position si désavantageuse, il manoeuvra avec une précision et une célérité qui mirent les deux frégates par le travers l'une de l'autre. Le capitaine Marshall put, enfin, le hêler en anglais. La Clocheterie répondit qu'il ne comprenait pas cette langue étrangère. L'ennemi, forcé de s'exprimer en français, déclare que l'amiral Keppel exige, conformément aux usages reçus, que la Belle-Poule se rende auprès de lui.

-Je n'en ferai rien, répond le commandant, et ne reconnais à personne au monde, sinon à mon chef, le droit de me donner des ordres.

Le capitaine Marshall insiste en vain, rien ne peut ébranler la résolution de La Clocheterie. L'Anglais dirige aussitôt toute sa bordée contre nos marins. Voilà donc la guerre fatalement, irrévocablement engagée par deux faibles bâtimens, mais par deux hommes résolus! car à ce duel le frégate à frégate succéderont avant peu les combats beaucoup plus meurtriers d'escadre à escadre.

Il serait difficile de dire qui, dans cet engagement, montra le plus d'ardeur et d'intrépidité, des officiers ou des marins de la Belle- Poule. Jamais les Français ne s'étaient signalés par des manœuvres plus habiles, par un feu plus soutenu, par un enthousiasme plus vif: on aurait pu se croire à une fête, en voyant l'exaltation empreinte sur toutes les physionomies noircies par la poudre et marbrées par le sang. Les coups sont donnés et rendus avec une ardeur infatigable, et bientôt le nombre des morts et des blessés transforme le pont de la Belle-Poule en un champ de carnage. Le commandant en second, Gréen de Saint-Marsault, était un des officiers de la frégate qui avaient désiré le plus ardemment de voir commencer les hostilités. Dans l'espoir de se signaler par quelque action d'éclat et d'obtenir de l'avancement, il était impatient de rencontrer les Anglais et brùlait de les combattre. Ç'avait été avec une joie profonde qu'il avait reçu du capitaine de La Clocheterie l'ordre de se tenir prêt pour l'attaque, au moment où l'Arélhuse s'était approchée. Son affection pour mademoiselle de Gréen, la pensée de lui faire un sort plus heureux et une condition plus brillante, l'inspirait encore en cette circonstance; mais le ciel ne devait exaucer ses vœux qu'au prix de son existence: il fut frappé mortellement en remplissant les devoirs de son grade avec un courage et un dévoûment admirables. Quelques marins accoururent pour le relever et le secourir; il n'était plus temps: une dernière fois Saint-Marsault prononça d'une voix éteinte le nom de sa sœur, et il expira aussitôt.

Malgré la vivacité de l'attaque et de la défense, l'action dura cinq heures entières. Le chevalier de Capellis, le commandant de la batteric, fut merveilleusement secondé par les officiers auxiliaires, Damard et Shirre, et les gardes de marine, Basterot et de la Galernerie. L'enseigne la Roche de Kérandraon ayant eu le bras cassé après deux heures de combat, alla se faire mettre un premier appareil sur sa blessure, et vint reprendre son poste, qu'il garda jusqu'à la fuite de l'ennemi. Quoique grièvement blessé, l'officier auxiliaire Bouvet, ne voulut point quitter le pont pour se faire panser. Le commandant de La Clocheterie, dont la bravoure était digne du commandement, reçut deux fortes contusions, une à la tête et une autre à la cuisse. Enfin, cinquante-sept hommes furent blessés et quarante périrent glorieusement à bord de la Belle-Poule en combattant pour l'honneur de la France.

Les pertes de l'équipage de la frégate anglaise avaient été plus grandes d'un tiers.

Vers les onze heures et demie de la nuit, l'Arelhuse profita d'un vent frais, qui venait de s'élever, pour abandonner le champ de bataille; démâtée de son grand mât, presque sans agrès et sans vergues, et n'ayant plus qu'une voile, elle se replia sur la flotte de l'amiral Keppel. Dans ce mouvement rétrograde, elle essuya encore plus de cinquante coups de

canon, sans pouvoir envoyer aux Français un seul boulet. Deux 125 le Vaillant et le Monarque, la recueillirent toute mutilée et h à la remorque. Le lendemain une barque française, en revenant d trouva sur l'eau un mât fracassé sur lequel on lisait Arethus gnage irrécusable de la défaite des Anglais, qui fut soigneuseme à Brest par nos marins (1).

La Belle-Poule ne pouvait poursuivre son adversaire qu'a geant au milieu de l'escadre ennemie. Son brave capitaine, her voir contraint les Anglais à la retraite, songea à se mettre à leur vengeance. Il se retira dans l'anse de Kervin, près Ploues rière des rochers, dont les bâtimens de Famiral Keppel auraie inutilement de franchir la formidable ligne. Ce fut là que l'ense vaisseau Sercey, qui depuis, fut un des contre-amiraux les plus de notre marine républicaine, lui amena de Brest un renfort hommes. Lorsque la Belle-Poule eut réparé toutes ses avaries, officier en prit le commandement, en l'absence du brave La Clos qui avait été appelé à Versailles. Sercey fit passer habilement l cntre les rochers et la côte, à la vue des forces anglaises, et par à la faire entrer, le 21 juin, dans la rade de Brest. Nous ne suivr la Belle-Poule dans les autres combats où elle a figuré pendant de l'Indépendance. Nous nous contenterons de dire que, par un rapprochement, elle fit une pénible et honorable campagne en 177 le vaisseau le Vengeur, auquel l'avenir et la liberté réservaient gloire et une si belle fin.

La relation du combat de la Belle-Poule contre la frégate l'Arélhuse excita dans toute la France le plus vif enthousiasme. Les officiers et les marins de la Belle-Poule furent dignement pensés. Le lieutenant de La Clocheterie fut nommé capitaine de v Bouvet obtint le grade de lieutenant de frégate. La Roche de Kérar à qui il avait fallu amputer un bras, le lendemain du combat, read pension et la croix de Saint-Louis. Tous les autres officiers, les de la marine et les marins de la frégate, furent complimentés pub ment pour leur belle conduite. Le gouvernement accorda une gra tion générale à tous les hommes de l'équipage et pourvut aus veuves et des enfans restés sans appui. Enfin le courage et la met commandant en second Gréen de Saint-Marsault furent honores compensés dans la personne de sa sœur, à laque.le on donna une p sur les fonds des invalides de la marine (2).

Nous n'avons pas besoin d'ajouter que la guerre de l'Indepealt engagée d'une manière si glorieuse par la frégate la Belle-Poule, t plus heureux succès. De l'autre côté de l'Océan-Atlantique, il exis jourd'hui un vaste empire qui sera la preuve éternelle de l'efficac secours que la valeur française porta à la démocratie américaine, La publique des États-Unis a pris rang parmi les puissances les plus tées, les plus riches et les plus florissantes du monde : aux treize vinces confédérées, dont elle se composait originairement, treize provinces se sont succcessivement réunies; aussi son drapeau est semé de vingt-six étoiles, dont l'éclat semble éclairer la route qu conduire l'ancien monde à la liberté.

ARISTIDE GUILBERT. (National).

(1) La Gazette de France, n. 51, du 26 juin, et n. 53, du 3 juiliet, Voyez aussi le Mercure de France du mois de jui let de la même année, p et 227, et la France Maritime, t. II, p. 233 et 237.

(2) Gazette de France du 26 juin et 13 novembre 1778. -- Hennequin. des Marins célèbres, t. 2, p. 492 et 193. – Histoire de la dernière Ge p. 62 et 64.

LES ÉMIGRÉS ET LES RÉPUBLICAINS.

1796.

Dans les premiers jours de juillet, sur le plateau qui avoisine la petite ville de Villingen, un des plus tristes pays et la plus chétive bicoque de la forêt Noire, nous étions bivouaqués huit à dix mille hommes de toutes armes. Notre langage, nos uniformes, les commandemens, les batteries des tambours, les sonneries des trompettes, tout annonce que nous sommes Français; nous portons la cocarde blanche, et nos drapeaux sont fleurdelisés. Nous formons le corps de Condé et une division de l'armée autrichienne. *

. Parmi les choses curieuses de cette époque si fertile en prodiges, ce n'était pas la moins remarquable que l'existence de ce corps qui, amené par une force majeure à la triste condition de combattre avec l'étranger contre la France, se maintint, non sans gloire, pendant dix années de guerre.

Ici sont des régimens régulièrement disciplinés à la française, infanterie, dragons, chasseurs, hussards; au peu d'espace qu'ils occupent sur la ligne du bivouac, à la variété des uniformes qui se succèdent sur le front de bandière, on reconnaît que ces corps ne sont pas complets, car, ils ne se recrutent que de réquisitionnaires déserteurs ou de paysans alsaciens, émigrés pour échapper aux proscriptions du conventionnel Schneider, et les lacunes qu'ont laissées dans les rangs plusieurs campagnes meurtric res n'ont pu être remplies.

d'une main défaillante le bout de la carabine de son frère, et l'appliquant sur sa poitrine:

-

Alors Charles, en

Hâte-toi, lui dit le mourant, ils approchent. proie au plus affreux vertige, perd tout-à-fait la tête; il entend le galop des chevaux des hussards ennemis qui retentit sur le pavé de la route, et le coup de carabine part.

C'est surtout dans les nombreux groupes qui se forment autour des feux du bivouac ou près de l'échoppe du cantinier qu'il est curieux d'étudier la spécialité de ces mœurs militaires. On s'attend à voir des gens tout blasonnés de préjugés, vivans débris d'une aristocratie déchue, remémorant sans cesse le passé, et antipathiques à toutes les innovations de l'époque; loin de là! Eux aussi ne sont pas restés stationnaires; ils ont accepté franchement leur nouvelle position d'officiers, de magistrats, de propriétaires qu'ils étaient, ils se sont faits soldats. Leurs conversations vives, piquantes, saccadées, anecdotiques, portent la double empreinte de leur condition présente et de leur condition passée, c'està-dire, qu'aux expressions qu'il est convenu d'appeler de bonne compagnie, se mêlent les locutions pittoresques et quelquefois triviales du soldat, comme un tribut qu'ils paient à une imminente actualité; point de scepticisme religieux, pas même de controverse politique; les faits marchent trop vite pour laisser place aux théories et aux sophismes. Dans ce temps-là, on agissait, on ne discutait pas. Alors aussi point de suicide: ce n'était cependant ni le courage, ni les malheurs qui manquaient, mais c'est qu'il y avait encore de la foi religieuse au fond des

cœurs.

Là sont les corps de volontaires à pied ou à cheval, formant plus du Cu

tiers de cette petite armée; on les appelle corps nobles; véritable anomalie dans les fastes militaires, agglomération bizarre d'hommes de tout âge et de toute profession honorable, nobles ou non, unis par un symbole politique commun et par un même dévoûment à une cause malheureuse. Ayant fait abnégation de leurs antécédens, et sentant le besoin d'un système d'égalité pratique, qu'on ne s'attend guère à trouver sous les dernières bannières de l'ancien régime, tel fils ou neveu d'un pair de France a pour caporal ou pour brigadier un bourgeois plus ancien de service que lui; un ancien officier supérieur, arrivé trop tard pour prendre son rang, est soldat; ce cavalier, auquel ses camarades défèrent plaisamment le jugement d'un litige où il s'agit d'une botte de foin, a été conseiller au parlement. Cet autre bien jeune, à la tournure élégante, aux formes gracieuses, aimé de tous ses camarades, sera un jour ambassadeur à la cour de Saint-Pétersbourg et ministre des affaires étrangères, c'est Laferronnays. Et ce fantassin, d'un esprit toujours studieux et méditatif, qui tire de son sac un Horace effeuillé, ne se doute guère alors qu'il deviendra garde-des-sceaux et qu'il dominera la France par son éloquence; son nom est de Serre.

Quel est ce jeune homme dont la figure pâle et amaigrie porte une empreinte de tristesse qui contraste avec l'insouciante hilarité de ses camarades? Est-il sous l'influence d'une passion violente, ou subirait-il déjà le poids du remords? C'est Charles L. R.; il est toujours ainsi préoccupé depuis le malheur qui lui est arrivé. Emigré avec son frère plus jeune que lui, ils avaient pris du service comme volontaires dans un de ces régimens dits à cocarde blanche, que l'Angleterre, dans ses prévisions habituelles d'égoïsme, entretenait à sa solde sur le continent pour ménager ses troupes nationales. Les deux frères s'aimaient tendrement, et dans un de leurs épanchemens d'amitié, ils s'étaient promis de se soustraire, par tous les moyens, aux outrages que réservait aux prisonniers émigrés, avant de les faire mourir, le féroce proconsul envoyé par la convention à l'armée du Nord. Lors de la retraite précipitée du duc d'Yorck à travers la Hollande dans l'hiver de 1794, le jeune L. R., mortellement blessé d'une balle dans les reins, tombe de cheval: Tu connais nos conventions, dit-il à son frère, achève-moi, plutôt que de me laisser entre leurs mains ?—Non, c'est au dessus de mes forces, s'écrie Charles éperdu, plutôt me faire prendre aussi et mourir avec toi. Et notre pauvre mère, qui restera dans ce monde pour la consoler? Puis saisissant

On se demandera comment de tels corps pouvaient conserver la discipline nécessaire à toute réunion armée. Au premier coup de canon, tous étaient à leurs postes, et trois générations de Condé leur servaient de guide et d'exemple.

Et cependant ce corps que l'on appelait fastueusement l'armée de Condé, soit en raison de l'avenir qu'on lui supposait, soit parce que, dans des prévisions qui ne purent jamais se réaliser, des cadres avaient été disposés pour le compléter à 25,000 hommes, acquérait alors une véritable importance, car il avait à sa tête son roi, son roi légitime, Louis XVIII.

On sait que Louis XVIII, repoussé de partout, parce qu'il était proscrit, s'était réfugié, en l'an 1796, à Véronne, dans cette ville vénitienne, qui, cinq siècles auparavant, avait abrité un autre proscrit non moins célèbre, le Dante; mais Venise n'était plus au temps de la Ligue de Cambrai, elle n'avait plus pour doge un Dandolo ou un Moncenigo; usée de décrépitude, la sérénissime république crut échapper, par une lâcheté, à la main de fer de sa terrible sœur, la république francaise; elle notifia au monarque fugitif l'ordre de quitter sur-le-champ son territoire. Avant d'obéir, le roi demanda à rayer de sa main son nom du livre d'or, où, depuis François Ier, les Vénitiens s'honoraient d'inscrire tous les princes français, et puis il vint se jeter dans les bras de cette poignée de sujets fidèles formant le corps de Condé, qui seuls l'avaient proclamé roi, sorte d'acte imprescriptible, hypothéqué sur le droit et la justice, mais auquel il manquait une signature, celle de la France, qui ne fut donnée que dix-huit ans plus tard. Le moment était malencontreux; Moreau venait de passer le Rhin et poussait devant lui l'armée autrichienne, dont le corps de Condé faisait l'arrière-garde. Ce fut dans toute la confusion d'une retraite précipitée, à Villengen, que nous fûmes admis à faire notre cour; là, au lieu des Tuileries, une méchante aúberge; au lieu du salon du trône, un stoub enfumé, et un huissier, ou celui qui en faisait les fonctions, ouvrant l'huis royal, ou plutôt une porte basse et mesquine dont il chercha vainement les deux battans, et nous criant, comme il est d'usage: Messieurs, le Roi! Le roì parut; je le vis pour la première fois, il avait quarante-quatre ans; il portait l'uniforme gris de fer de l'état-major de Condé avec ses épaulettes à couronne; sa taille, sans être svelte, n'avait pas cette obésité dont il eut tant à souffrir depuis; son buste était beau, sa tête remarquable par la noblesse et la régularité des traits et par un air de sérénité qui annon

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