Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Aux griefs que nous connaissons, d'autres griefs moins apparens, mais non moins sensibles, se joignirent pour exalter le besoin de la vengeance dans le cœur de Faucon-Noir.

Depuis que le gouvernement des États-Unis étend ses frontières à l'ouest, il s'est formé, sur les limites flottantes que les Américains et les Indiens se disputent pied à pied, une population qui n'a rien à perdre et au contraire qui gagne beaucoup dans leur perpétuel conflit. Le grand romancier de l'Amérique du Nord a parfaitement esquissé les traits qui la distinguent dans les Pionniers. Elle se compose d'hommes énergiquement surnommés: Indians Haters, gens qui haïssent les Indiens. On trouve aussi sur ces étranges champs de bataille un'autre variété féroce du pourfendeur d'Indiens, c'est le squatter, ou guetteur. Vient ensuite le spéculateur en territoire. Tous indistinctement ont intérêt à prolonger la guerre; le premier satisfait sa haine qui est une véritable maladie chronique, le second chasse à l'affût les Indiens comme des bêtes fauves, le troisième profite des combats pour s'arrondir dans sa métairie.

Cette population se recrute de ces rebuts de l'Europe qui affluent continuellement aux États-Unis, et que les États-Unis, à leur tour, attachent à la colonisation de l'ouest, leur grand exutoire. A peine le fort Armstrong eut-il dressé ses batteries dans Rock-Island, qu'on vit les Indians Haters accourir de toutes parts comme des loups affamés dans les environs du village sauk, et les fermes s'y multiplier avec une étonnante rapidité. Les rives du fleuve étaient encore telles qu'elles nous ont été décrites dans les récits du voyageur James Hall, et dans les immortels poemes de Châteaubriand; mais on y rencontrait une peuplade inoffensive, palpitant sous les premières étreintes de la cupidité américaine, et s'attachant à ce lambeau du sol de la patrie comme un homme qui roule dans un précipice se cramponne à la dernière racine, à la dernière touffe d'herbe qui puisse arrêter sa chute. Bâtie sur une langue de terre, à trois milles du fort, mais plus rapprochée de la source de Rock-River, la métropole des derniers Chippeways avait pris l'aspect sinistre des huttes désertes, éparses en sentitinelles perdues au bord du Mississipi, et introduites en guise de repoussoir dans le tableau de M. Hall. C'était alors des ruines; mais sur ces ruines des demeures de ses pères, les ruines du peuple Sauk voulaient mourir. En vain de l'autre côté du fleuve les savannes du Missouri déroulaient-elles leurs solitudes franches encore de la domination étrangère et si pleines d'attraits pour les sauvages, ces infortunés oubliaient le désert et la liberté même sur les tombeaux de leurs parens et de leurs amis, parce que, suivant la magnifique expression du poète, les os chéris ne se levaient pas pour les accompagner dans l'exil. Chaque jour on voyait quelques uns d'entre eux succomber à leur douleur, et le village entier devenait comme le cimetière incessamment agrandi de la tribu,

Au lieu de retourner la surface de la terre avec la houe, de cultiver la patate et le giraumon, de tailler des fourches de cèdre dans les bois pour étayer leurs cabanes d'écorce, et de ceindre leurs champs de hautes palissades, tandis que leurs maris chassaient le buffle, les femmes passaient le temps à nettoyer les sépultures que les herbes parasites avaient envahies, à préparer des alimens qu'elles devaient laisser en partant aux ames errantes des morts, et à questionner avec anxiété ces tristes objets d'une impérissable tendresse sur l'embarras où ils se trouveraient quand l'heure toujours incertaine et toujours menaçante de l'évacuation du village viendrait les priver de leurs mères, de leurs épouses, de leurs filles et de leurs sœurs.

C'est au milieu de ces scènes douloureuses qu'il faut se représenter Blak-Hawk, déjà vieux, la figure noircie, serrant d'une main contre son cœur la poche aux remèdes, cet insigne héréditaire qui lui valut l'empire, et de l'autre aiguisant son casse-tête devant ses guerriers silencieux et frémissans, non loin des védettes américaines.

A tant d'infortunes noblement supportées, les Indians Halers ne craigairent pas de joindre l'outrage. Un jour, ils le rencontrèrent dans

les bois, lui arrachèrent son fusil, et l'accusa d'avoir massacré leurs porcs, lui assénèrent tant de coups de bâton qu'il resta dans sa hutte plusieurs nuits sans sommeil, tout sauvage qu'il était, en proie aux plus cuisantes douleurs.

Cette situation précaire et pleine d'angoisse se prolongea jusqu'à l'été de 1823, où les Sauks furent sommés, par l'agent américain résidant au fort Armstrong, d'évacuer, aux termes du traité du 3 novembre 1804, le territoire qu'ils occupaient sur la rive orientale du Mississipi, et de se retirer sur le bord opposé, dans le pays des Joways.

Faucon-Noir, qui, par un louable sentiment d'abnégation personnelle, sembait être devenu, depuis plusieurs années, insensible à l'attrait de la gloire, se réveilla en apprenant cette violation manifeste du contrat de Saint-Louis, et son réveil fut terrible. Cependant il sut se modérer et voulut que la tribu exprimât, avant lui, son opinion sur la résolution qu'il convenait d'adopter. Les Sauks entièrement dévoués à FauconNoir, et plus particulièrement désignés par les Américains sous le nom de British-Band, connaissant la haine toujours vivace de leur chef, et d'ailleurs puisant leur énergie dans son caractère indomptable, s'opposèrent au départ. Ils prétendaient que le traité même invoqué par l'agent leur garantissait la jouissance du village. Rien n'était plus juste que cette assertion. La convention de Saint-Louis porte textuellement, article 7:

« As long as the lands which are now ceded to the Unised-States remain their property, the Indians belonging to the said tribes shall engoy the privilége of living and hunting upon them. »

<< Tant que les terres maintenant cédées aux États-Unis resteront propriétés de la république, les Indiens appartenant aux tribus qui ont traité de la cession, garderont le droit d'y vivre et d'y chasser. »

Mais le gouvernement américain, jouant sur les mots, répliquait, à l'égard de la chasse, que les environs du village sauk, déboisés par les colons, n'étaient plus dans les termes du contrat, et qu'il remplissa.t au contraire son engagement, puisque la terre des Joways n'avait point encore perdu ses forêts. Quant à l'expression living, elle devait, suivant lui, s'entendre de l'individu et non pas de l'habitation; séjourner dans un pays n'étant pas rigoureusement s'y loger. Ce système d'argumentation manquait de loyauté; d'ailleurs, le gouvernement américain croyait si peu, alors, posséder déjà complètement le territoire de Rock - River, bien qu'il fût limitrophe de l'Ilinois, qu'en 1829, le président en fit l'objet précis d'un nouveau marché avec les sauvages. On avait vendu le droit de propriété, on s'était réservé l'usufruit; telle était réellement la lettre équitable du traité de 1804.

Tout ce qu'on pouvait dire pour excuser les prétentions actuelles du gouvernement américain, c'est que les habitans de la frontière molestant les Indiens et les contraignant à des représailles, l'Union dut enfin in- │ tervenir pour se faire respecter de ceux même qu'elle dépouillait. On! ne s'éloignerait pas beaucoup de la vérité en ajoutant que le congrès de Washington cherchait impatiemment un moyen quelconque de rompre la convention et de rejeter les sauvages au delà des sources du Mississipi. Le machiavélisme du congrès fit éclater un grave dissentiment au sein de la peuplade. L'indignation de la British-Band trouva de l'opposition parmi les Renards, alliés naguère fidèles, mais que la guerre avait lassés; et surtout dans leur chef, Kéokuk, the watchfull Fox (le Renard vigilant). C'était un Chippeway, dont le nom commençait à grandir, qui aspirait aussi à la puissance de Ponthiak, et qui, pour y parvenir, avait conçu le projet fort adroit de se constituer arbitre entre la république insatiable et les tribus exaltées. Il conseillait aux Sauks de céder à des prétentions qui, pour être souverainement injustes, n'en étaient pas moins soutenues par une puissance irrésistible.

Ce sont ces dissentimens déplorables entre les diverses fractions de la nation chippewaye, qui induisirent Faucon-Noir à s'abstenir de toute participation dans les délibérations de la Prairie du Chien, Kéokuk, au contraire, parut dans cette assemblée dans tout l'éclat d'une popularite naissante. Né en 1780, sur le bord occidental de la rivière du Rocher,

[ocr errors]

vis-à-vis de la patrie de Black-Hawk, il avait alors quarante-cinq ans, âge de la force et de la maturité intellectuelle. Ses talens ne se révélèrent que fort tard, et quand la domination de Faucon-Noir avait tout envahi. Tandis que le Sauk battait les Chérokées et les Osages, Kéokuk luttait obscurément contre les terribles Sioux, au nord de l'Illinois. Ses ressources militaires, développées dans vingt combats, triomphèrent à la fin de l'indifférence de sa tribu. On lui dut bientôt une manoeuvre stratégique dont les Américains comme les Sioux ont payé de leur sang les premières épreuves.

Les Indiens foxes de Kéokuk étaient cavaliers. Leur chef les rangeait ordinairement en demi-cercle, leur ordonnait de mettre pied à terre, de se poster en ligne derrière les chevaux et d'attendre l'ennemi. Les Sioux, poussant leurs aboiemens de guerre, se précipitaient sur cet étrange retranchement; mais on les recevait à bout portant avec un feu de mousqueterie d'autant plus meurtrier que, par horreur pour la civilisation américaine, ils s'en tenaient encore aux flèches. Les chevaux survivant aux attaques ne remuaient pas, car leurs yeux étaient bandés; les chevaux tués formaient de leurs cadavres un rempart inexpugnable.

La témérité et le sang-froid de Kéokuk étaient admirables. Un jour, chassant avec un petit nombre de guerriers, il tomba seul dans un camp sioux; voyant que les Indiens peignaient leurs corps et dansaient autour du mât de bataille, il comprit qu'ils préparaient une attaque contre son village. Après avoir caché sa troupe, il se présenta seul au milieu de la danse et dit au chef sioux : Je suis venu t'apprendre qu'il y a des traitres dans ton camp; ils m'ont dit que tu préparais en mon absence une attaque contre mon village, et que tu te proposais de massacrer les femmes et les enfans que nous y avons laissés; mais je ne crois pas à cette perfidie. Les dénonciateurs ont menti. Tu as fumé la pipe d'alliance avec moi et tu ne voudrais pas agir comme un lâche !

Les Sioux l'écoutèrent d'abord d'un air stupéfait; puis, revenant de leur surprise, ils jetèrent des hurlemens et brandirent leurs tomahawks. -Les dénonciateurs ont dit vrai! s'écria Kéokuk; vous préparez une trahison; mais les Sauks et les Foxes vous préparent la mort ! Et puis, excitant son cheval, il disparut à leurs yeux.

C'est un trait digne des héros de Plutarque. De pareils actes de bravoure, joints à une grande sagacité et à un véritable talent oratoire donnèrent à Keokuk une grande prépondérance dans les corseils. [Déjà en une autre occasion il avait réussi à réconcilier les Renards et les Winnebagoes avec les Ménominies.

Dans les dernières conférences de la Prairie du Chien, ce fut lui qui détermina les Renards et même une partie des Sauks à adhérer aux propositions des Américains.

Aussitôt que cet accord fut conclu, les Indians Haters se mirent en devoir d'en presser l'exécution. Chaque jour ils mettaient le feu au maïs planté par les Sauks, ou tuaient leur bétail, détruisaient leurs cabanes, battaient, fouettaient même leurs femmes et leurs enfans, ou bouleversaient les tombeaux pour en arracher la dépouille des morts. D'autre part, abusant de la passion des sauvages pour les liqueurs fortes, les Américains leur donnaient, en échange du gibier qu'ils rapportaient de leurs chasses, des barils de whisky, d'eau-de-vie et de tafia. C'était leur livrer du poison. Faucon-Noir voyait ainsi ses meilleurs guerriers s'eni. vrer et périr misérablement. Un jour qu'il venait d'assister à la mort d'un de ses braves, il entra plein de fureur chez plusieurs colons, défonça à coup de haches tous les barils de whisky qu'il y trouva et en répandit le contenu à terre en présence des propriétaires qui n'osaient lui résister, tant était grande la terreur qu'il inspirait.

Cet acte de vengeance, très sensible pour les marchands américains, produisit une vive sensation dans tous les états limitrophes. Le gouvernement de l'Union résolut d'employer encore une fois la voie des négociations pour obtenir des concessions plus étendues et amener FauconNoir à reconnaître les traités. De nouvelles conférences furent ouvertes; mais le principal but que l'on se proposait d'atteindre fut manqué. Les dissidens ne se soumirent pas. Enfin, sous la présidence du général

Jackson, les Américains adressèrent au chef des Sauks une sommation péremptoire de passer sur la rive occidentale du Mississipi. C'était sur la fin de 1829.

Deux années se passèrent encore en violences et en luttes de toute espèce; mais la guerre ne se déclarait pas. Tout le monde la craignait. L'affection de la British Band pour les bords de Rock-River était si opiniâtre qu'à chaque printemps elle revenait du pays des Joways camper sur les ruines de ses cabanes et sur les débris des tombeaux des Sauks, bravant ainsi la garnison du fort Armstrong. La rage qu'en ressentaient les colons échelonnés depuis le fort Crawford jusqu'à Saint-Louis, était extrême. Ils formèrent une association pour s'emparer de la personne du chef des Sauks. Un mémoire détaillé de ses crimes où la destruction des tonneaux de whisky figurait en première ligne, fut solennellement adressé au congrès; le général William Clarck dirigea six cents hommes de milice sur Rock-River. Cette mesure produisit une terreur panique parmi les colons. Ils se retirèrent avec leurs familles sur l'Illinois, comme si la république était à la veille d'une invasion formidable. Enfin, le 30 mai 1831, ces six cents hommes, commandés par le général Gaines firent leur jonction sous le fort Armstrong avec quatre compagnies venues de la prairie du Chien, et un conseil extraordinaire fut tenu à Rock-Island. On invita Black-Hawk, Kéokuk, Wapello et les autres chefs Sauks qui avaient émigré à l'ouest du Mississipi. C'est en leur présence que le général Gaines somma de nouveau Faucon-Noir d'évacuer son village.

Le vieillard répondit avec fermeté qu'il n'avait jamais vendu sa pa trie aux Américains, et que par conséquent il ne leur céderait pas un pouce de terrain. Le général Gaines impatienté répliqua d'un ton moqueur :

Mais qui est-ce donc que Black-Hawk ? est-il vraiment un chef? au nom de quel peuple parle-t-il, et pourquoi se trouve-t-il ici ?

A ces paroles, Faucon-Noir se leva en silence, s'enveloppa dans sa couverture et sortit lentement du conseil. Kéokuk lui-même fut épou vanté.

Toutefois la rupture qui semblait inévitable n'eut pas lieu immédiatement. Le vieux chef, pour sauver les femmes et les enfans de sa tribu, fut obligé d'arborer le drapeau blanc et de signer une capitulation provisoire. Mais il prit ses dernières dispositions pour faire aux Américains une guerre à outrance.

A partir de la capitulation de 1831, la vie de Black-Hawk devint extrêmement mystérieuse. Le secret était indispensable au succès de ses manœuvres. M. Schoolcraft parle d'un message belliqueux adressé, à des époques périodiques depuis 1830 jusqu'à la grande guerre, par le chef des Sauks aux Indiens du lac de la Torche, et aux tribus de l'Illinois. On sait en outre que souvent, pendant la nuit, il passait le fleuve et dévastait les fermes de son ancien territoire.

Quelques mois après la capitulation de Rock-Island, les Indiens Renards de la British Band ne se firent même pas faute de massacrer, près de la Prairie du Chien, une troupe de Sioux, et de Ménominies. Les autorités républicaines de la Prairie invoquèrent contre les meurtriers la foi des traités, mais Black-Hawk ne daigna pas leur faire justice ni même leur répondre. Il ne cessait de recruter des guerriers dans toutes les peuplades; il pressait constamment Kéokuk de se joindre à lui. La British Band errait sur le bord occidental du Mississipi, tantôt s'arrêtant à la hauteur du fort Madison, tantôt remontant jusqu'au fort Crawford. Enfin dans les premiers jours d'avril 1832, au retour de Nea pope, son lieutenant, qu'il avait envoyé en mission secrète auprès de l'agent britannique de Malden, Faucon-Noir s'embarqua solennellement à Madison sur le fleuve. L'alarme se répandit dans l'Ohio et dans l'Illinois, jusqu'à la Prairie du Chien. Les habitans des fermes voisines accouraient sur la rive et contemplaient avec inquiétude cette flotte sauvage, qui portait la fortune des indigènes. C'était une masse innombrable de canots, où les sachems, les femmes et les enfans des Sauks étaient entassés

avec les reliques de leurs aïeux, avec les chevelures de leurs ennemis, avec leurs étendards, leurs effets de campement, leurs provisions de bouche et leurs bestiaux. Dans les plus grandes barques se tenaient les braves de Faucon-Noir, montés sur de jeunes chevaux, armés de pied en cap, et peints en guerre. Tous observaient un profond silence : le grand chef n'avait jamais paru plus terrible. A la sinistre ardeur de ses regards on jugeait qu'il cherchait moins la victoire que la vengeance; et pourtant il était impossible de se défendre d'une sorte d'attendrissement en pensant à ce noble amour de la patrie qui inspirait à ces sauvages une résolution aussi héroïque qu'insensée.

Quand les canots parurent à la hauteur de Rock River, les embrasures du fort Armstong se couvrirent d'artilleurs. I e général Atkinson, commandant à Rick-Island, échelonna des postes avancés sur les rives du fleuve; mais Faucon-Noir le prévint en débarquant au dessous de Rock-River, sur le territoire Winnebago, et en s'enfonçant aussitôt dans l'intérieur du pays. La violation du bord oriental du fleuve étant accomplie, le général Atkinson, le gouverneur Reynolds et le major Stillman proclamèrent que Faucon-Noir envahissait, pour la seconde fois, les états de la république. Un exprès fut envoyé à Black-Hawk, portant sommation de se retirer. Le vieux chef répondit sans s'émouvoir que les Indiens ne reculeraient pas, qu'ils avaient le droit de traverser un pays qu'ils n'avaient pas cédé, mais qu'ils s'abstiendraient d'ouvrir les hostilités; qu'ils resteraient en un mot sur la défensive; qu'ils réclamaient leur patrie, rien autre que leur patrie. Le Sauk joignit à sa réponse un drapeau blanc, signe de concorde, qu'il chargea trois jeunes guerriers de remettre au général Atkinson. Mais il comptait peu sur le succès de cette démarche. L'un des trois guerriers étant rentré au camp avec la nouvelle que l'ennemi avait menacé les deux autres, Faucon-Noir invita les Winnebagoes et les Pottavatomies, dont il occupait temporairement le domaine, à manger officiellement un chien avec lui, et ce repas fut le signal officiel de l'ouverture de la guerre.

Les Sauks avaient pris position à la crique du Sycomore, sur le bord "oriental de Rock-River, dans l'Illinois. Treize cents hommes d'infanterie régulière, treize cents hommes de milice et douze cent soixante-dix cavaliers aux ordres du major Stillman, ayant passé la rivière entre RockIsland et le camp de Black-Hawk, au bac de Dixon, attaquèrent le vieux chef dans ses lignes. Il paraît que le combat commença par des hostilités commises contre deux guerriers porteurs d'un drapeau blanc qui, malgré ce signe de concorde, eurent à se défendre contre les tirailleurs américains.

Quoi qu'il en soit, le major Stillman ayant aperçu une cinquantaine de Sauks qui faisaient partie de l'avant-garde des sauvages et qui occupaient dans les broussailles un excellent poste, il eut l'imprudence de les faire charger par sa cavalerie. Le feu meurtrier des Indiens mit le désordre dans ses escadrons qui se rejetèrent sur l'infanterie. FauconNoir profita habilement de ce premier avantage et il fit attaquer les Américains avec la plus grande vigueur. Une terreur panique s'empara des troupes de l'Union. Nulle part elles ne résistèrent au choc des Indiens. Leur déroute fut complète; ils ne s'arrêtèrent qu'au delà du bac de Dixon, à cinq milles du champ de bataille. Trois cent cinquante-deux miliciens manquèrent le lendemain à l'appel; Faucon-Noir n'avait pas perdu un seul homme.

Cette journée eut d'heureux résultats pour les Sauks. Tous les bagages de l'armée républicaine tombèrent en leur pouvoir, et les Winnebagoes, qui avaient d'abord hésité à prendre les armes, rejoignirent en foule Blak-Hawk.

Ce chef, qui venait de cueillir la plus belle palme à laquelle un sauvage puisse prétendre, ne se montra point ébloui de sa victoire. Prévoyant la possibilité d'un revers de fortune, il donna l'ordre d'envoyer les femmes et les enfans au haut pays de Roch - River, dans la région des QuatreLacs, pour les mettre à l'abri des représailles des colons. Bientôt les massacres signalèrent l'animosité des deux partis. Il nous en coûte de l'écrire, mais les troupes de l'Union aux ordres du général Dodge, qui

avaient rejoint M. Atkinson, débutèrent par imiter des Sauks l'usage cruel de scalper les morts pour emporter leurs chevelures, et les officiers américains approuvèrent leur conduite; c'est ce qui résulte clairement du rapport de l'adjudant ou aide-major Woodbridge au secrétaire du bureau de la guerre. En pareil cas, l'imitation annonce toujours plus de férocité que la tradition.

Les événemens se succédèrent avec rapidité. Une nouvelle rencontre eut lieu le 24 juin au fort Buffalo, à vingt milles au nord du bac de Dixon. On combattit avec un acharnement effroyable. Les sauvages firent des prodiges de valeur, et Blak-Hawk eut l'insigne honneur de tenir tête à des troupes régulières avec assez de succès pour que la victoire restât indécise, et que chacun des deux partis pût se l'attribuer également.

Cependant le manque de vivres et la supériorité de la stratégie adoptée par les nations civilisées, le forcèrent à se retirer vers le haut pays de Rock-River, sur le lac Coshconong. Les généraux Atkinson, Dodge et Scott, qui comptaient dans leur armée deux mille volontaires à cheval, surent tirer de cette troupe tous les avantages qu'ils étaient en droit d'en attendre. Harcelant continuellement les sauvages, ils les acculèrent insensiblement sur les bords du Visconsin, sans leur laisser la possibilité d'engager de nouveau une bataille rangée. Arrivés à cette rivière, les Sauks et leurs alliés retrouvèrent les femmes et les enfans que FauconNoir avait renvoyés de l'armée. Ce fut pour eux la cause des plus funestes embarras. Il fallut les faire passer à l'autre rive. Cette opération en vue de l'ennemi ne pouvait s'effectuer sans qu'il en résultât de grands malheurs. Elle nécessitait d'ailleurs de pénibles manoeuvres. Privées de nourriture, épuisées par la fatigue et pourtant obligées de suivre les guerriers dans toutes leurs évolutions, de traîner leurs corps nus et de porter leurs petits enfans et les malades à travers les marais et les bois, ces malheureuses femmes présentaient le plus lamentable spectacle qu'on puisse imaginer. Une multitude d'entre elles jonchèrent de leurs cadavres les routes inexplorées par lesquelles elles étaient obligées de passer. Tandis que les guerriers, exténués eux-mêmes de faim et de fatigue. repoussaient à coups de fusils les Américains, elles arrachaient en grande hâte à la terre des racines, aux arbres leur écorce; elles découpaient, au milieu des balles, la chair des chevaux. Le général Dodge les chargea sans pitié. Cinquante sauvages moururent au dessous du fort Winnebago. en protégeant leur embarquement.

La plus grande partie des familles, en descendant la rivière sur des radeaux, jusqu'à la Prairie du Chien, espéraient franchir le Mississipi à la faveur du drapeau blanc et des droits de l'humanité, tandis que BlackHawk, sauvant le reste avec ses guerriers, devait, tout en suivant les bords du Visconsin, contenir l'ennemi; mais le résultat de cette manoeuvre, inspirée par le désespoir, dépendait de la loyauté des sauvages riverains, que le malheur de Faucon - Noir éloignait déjà de sa bande. Elle ne fut qu'un long carnage.

La moitié des radeaux, trop chargés, sombra en route avant de parvenir au fleuve; l'autre, en échouant contre les parapets du fort Crawfort, ne laissa voir que des corps livides où les ravages de la faim se lisaient encore; les coups de feu dont ils étaient criblés prouvaient d'une manière irrécusable que les Américains avaient tiré sur des femmes et des enfans comme sur des bisons. Cependant le gros de l'armée sauvage, convoyant les familles qui n'avaient pu s'embarquer sur les radeaux. incapable de se maintenir sur le bord oriental du Visconsin, avait traversé cette rivière dans un désordre épouvantable, et battait en retraite vers Wapeshaws, village situé sur le Mississipi, à cent vingt milles au dessus de la Prairie du Chien. C'était là un territoire chippeway neutre. Les armes de la république ne devaient pas y atteindre. Les Indiens, toujours affamés et toujours poursuivis, marchèrent pendant huit jours pour y arriver. Encore une halte, et ils allaient se trouver en mesure de passer sur la rive occidentale du Mississipi; mais un bateau à vapeur américain, the Warrior, remonta le fleuve et vint s'embosser au confluent de Bad-axe-River, au moment où un corps de Sauks débouchaient,

refoulés sur le rivage par les Sioux au nord, et par les généraux Atkinson, Dodge et Posey à l'est. Le général Dodge surtout était parvenu à les traquer dans une fondière où il les fit canarder avec la plus grande impassibilité par ses sharpshooters, à mesure que les infortunés cherchaient à lui échapper en se jetant à la nage.

Quant aux guerriers qui entouraient Faucon - Noir, resserrés entre le canon du bateau et les tomahawks de leurs ennemis de race, ils ne songèrent plus qu'à sauver les femmes et les enfans.

Black - Hawk arbora le drapeau de paix, mais le commandant du Warrior, dont nous sommes heureux de ne pas savoir le nom, lui répondit par une volée de ses caronnades chargées à mitraille. Le feu de cette artillerie fit un cruel ravage parmi les sauvages. Les plus braves de leurs guerriers tombaient ainsi misérablement, sans même avoir la consolation de vendre chèrement leur vie, car le bateau tirait à distance, et ils n'avaient plus de poudre. Trente-neuf femmes seulement furent prises par les Américains; tout le reste périt, et M. Atkinson, dans son rapport au major Macomb, déclare naïvement que le chiffre des femmes tuées est inconnu, parce que le plus grand nombre se noya. La rage fut extrême des deux côtés. Une femme sauke, Na-ni-sa, se battit au plus fort de la mêlée, portant sur son dos son enfant emmaillotté dans une couverture. Jetée par les Américains dans le Mississipi, elle saisit l'enfant par son maillot avec les dents, plongea, s'attacha à la queue d'un cheval et gagna la rive opposée. Une jeune mère avait profité d'un moment de répit dans le combat, pour allaiter son enfant sur l'herbe; une balle tua la mère et fracassa l'épaule de l'enfant, qu'un chirurgien de l'Union désarticula quelques minutes après avec la plus grande adresse. On peut lire des détails plus étranges encore dans une lettre du commandant du Warrior, citée par le même auteur et écrite avec un badinage féroce qui donne une triste opinion du caractère de la civilisation des Etats-Unis.

Deux Winnebagoes vinrent livrer Black-Hawk, dans la Prairie des Chiens, au général Street, le 27 août 1832. Ainsi cette campagne entreprise par un chef de tribu sauvage contre des troupes réglées dirigées par cinq généraux américains, pourvues d'artillerie et d'abondantes munitions et soutenues par un bateau à vapeur armé en guerre, dura quatre mois et demi. Le choléra-morbus acheva de détruire les restes dispersés de la malheureuse tribu des Sauks de Rock-River. Le 6 septembre, BlackHawk et son lieutenant Naopope furent conduits à Rock- Island où ils prouvèrent facilement au général Scott qui les interrogea, que l'armée de la République avait deux fois violé à leur égard le droit des gens en tirant sur leurs parlementaires, en premier lieu à la baie des Sycomores, et plus tard au massacre de Bad-axe-River. Il est à regretter que dans son rapport au congrès, M. Lewis Cass, secrétaire du bureau de la guerre, n'ait pas rendu justice à la cause des vaincus quand on dépouille un peuple, il est généreux et habile de le plaindre.

La capture de Faucon-Noir fut suivie d'un nouveau traité. Le 21 septembre 1832, le général Scott et le gouverneur Reynolds firent une dernière convention avec les Sauks et les Renards, aux termes de laquelle six millions d'acres de territoire furent acquises par le gouvernement des Etats-Unis qui donna en échange une somme de vingt mille dollars par an, durant cinq ans, ou cent mille dollars. Ces six millions d'acres comprennent tout le côté ouest du Mississipi, depuis l'état de Missouri jusqu'à la rivière Rouge des Joways.

On réserva un espace de quarante milles, en faveur de Kéokuk, pour lui constituer un majorat, digne récompense de sa fidélité à l'Union. C'est là qu'il vit étouffant ses remords et embellissant avec l'or des ennemis de sa patrie les domaines dont la République lui a acheté la survivance. Il mène une existence de dandy anglais il a de beaux chevaux, six femmes et des couvertures de velours. On le rencontre souvent en visite chez les Osages, les Ottoways et les Winnebagoes, peuplades dégénérées comme lui; une escorte de cinquante jeunes gens le suit partout dans ses voyages. Cette magnificence attriste les vieux Sa

chems qui voient avec indignation le crime récompensé dans la personne de ce traître.

Faucon-Noir, au contraire, en perdant sa puissance, n'a rien perdu du respect qu'on lui portait. Retenu comme otage par le congrès après la signature du traité du 21 septembre 1832, il fut conduit avec ses deux fils au fort Jefferson. Là, le lieutenant Davis lui fit mettre les fers aux mains et le boulet aux pieds. Cette cruauté ridicule exaspéra le vieillard. Mais c'était un hommage indirect rendu à ses hauts faits et une preuve nouvelle de l'effroi qu'il avait su répandre. Les Américains de tous les états limitrophes se portèrent en foule à la prison pour le voir. Les trois captifs drapés dans leurs couvertures à la manière des statues antiques, excitèrent une admiration générale. Les femmes ne pouvaient se lasser de contempler Nasinewiskuk, le plus jeune des fils de Faucon-Noir, tant il était beau, écrit M. Samuël Drake de Boston.

Doués d'une grâce singulière qui s'alliait parfaitement à une force peu commune et à une taille gigantesque, peints en vermillon, zébrés de noir et coiffés de plumes éclatantes, ces jeunes gens contrastaient avec leur père que l'âge, les fatigues et le chagrin avait rendu très maigre, comme la lueur sanglante des éclairs avec les ténèbres d'un ciel d'orage. Tous trois ils gardaient une attitude dédaigneuse et mélancolique. Naopope, Wapello et les plus considérables de la tribu partageaient leur captivité.

M. Catlin, peintre, avait pénétré dans le fort Jefferson pour faire le portrait des captifs ; il avait commencé par celui de Naopope. Quand le sauvage eut compris le but de sa visite, il releva par la chaîne le boulet rivé à sa jambe, le prit à la main, et, le montrant à l'artiste, lui dit avec un sourire de mépris ;

Peins moi avec ce boulet, et envoie mon image ainsi faite au Président.

M. Catlin ayant refusé, Naopope varia ses postures et ses grimaces à un tel point que l'artiste fut obligé de renoncer à faire le portrait. Quoique la tribu de Rock-River fut détruite et que lui-même fut prisonnier, Black-Hawk ne perdit pas de vue les intérêts généraux de la nation des Sauks. Il s'offrit pour garant de leur soumission définitive au président Jackson dans l'entrevue qu'il eut avec lui à Washington en 1833, et où en abordant le libérateur de la Nouvelle-Orléans, il lui dit ces fières paroles:

Je suis un homme et vous en êtes un autre.

La forteresse Monroë lui fut assignée pour demeure, jusqu'à la complète pacification de la frontière. Le 26 avril, Jackson ordonna qu'on lui rendît la liberté. Faucon-Noir avait été reçu avec beaucoup d'égards par M. le colonol Eustis, commandant de la forteresse. En sortant de prison, Black-Hawk lui adressa ce discours d'une simplicité si touchante:

Frère, je suis venu avec mes compagnons de captivité pour te dire adieu. Notre grand père (Jackson) nous a permis de retourner dans notre patrie. Frère, tu as traité les Hommes Rouges avec humanité. Tes femmes leur ont donné des présens; toi, tu leur a donné à manger et à boire. Le souvenir de ta conduite restera dans mon cœur jusqu'au moment où le Grand-Esprit me dira de chanter mon chant de mort. Les maisons des Hommes Blancs sont aussi nombreuses que les feuilles des arbres et les guerriers blancs sont aussi multipliés que les grains de sable roulés par ce lac (baie de Chesapeake) à nos pieds. L'Homme Rouge à peu de maisons et peu de guerriers, mais il porte un cœur aussi chaud que le coeur de l'Homme Blanc. Le Grand-Esprit nous a donné des forêts pour la chasse, et la peau des biches que nous y tuons est de couleur blanche; c'est la couleur qui plaît au Grand-Esprit, la couleur de la paix. Frère, voici des peaux de biches et des plumes d'aigle qui sont blanches: accepte-les en mémoire de Black-Hawk. Lorsque je serai loin d'ici, en voyant ces peaux et ces plumes, tu me verras. Que le Grand-Esprit te conserve, toi et tes enfans!... Adieu!... Le major John Garland fut chargé d'escorter le chef indien et ses cinq compagnons de captivité à la sortie de la forteresse Monroë. On fit à

Faucon-Noir la politesse intéressée de l'embarquer dans la baie de Chésopeake, sur la Delaware, vaisseau de 74, et une courte promenade en mer acheva de lui donner une haute idée de la puissance de l'Union. C'est aussi un peu dans ce but que l'on fit de la remise des captifs à la tribu des Sauks, l'objet d'une solennité diplomatique dans Rock-Island. Après avoir visité Baltimore, Philadelphie, New-York, Norfolk, Washington, Albany, Buffalo et Détroit, où l'on poussa l'oubli du respect dû au malheur jusqu'à brûler ces malheureuxen effigie, Black-Hawk et ses compagnons furent conduits au fort Armstrong, et le cortége passa sur les ruines du village dévasté de Rock-River avec intention. La grande ame de Faucon-Noir parut ébranlée, mais il exprima ses regrets, avec une modération qui déjoua les projets qu'on avait conçus de l'humilier. Les traditions religieuses qui se rattachent au séjour du GrandEsprit dans les grottes de Rock - Island devaient évidemment rendre plus douloursuse pour les Sauks la dernière scène du long drame de 1833. Le major Garland et ses captifs y arrivèrent le 2 août. Le lendemain, à la pointe du jour, le tambour indien battit et des chants sauvages annoncèrent l'arrivée du grand seigneur Kéokuk. Il vint mollement échouer sous le fort Armstrong. Il était à demi couché au milieu d'un groupe de femmes, dans un canot pavoisé aux couleurs de l'Union et surmonté du drapeau américain. Avant de monter chez le major il passa plusieurs heures à faire sa toilette. Une flottille couvrait le Mississipi ; elle transportait sur la rive orientale du fleuve les Sauks accourus pour cette triste cérémonie de leur expulsion officielle. On ne saurait imaginer d'ailleurs rien de plus triste que l'entrevue de M. Garland et des deux chefs. Elle présenta le spectacle nouveau pour les Indiens d'un guerrier contraint par un peuple étranger à reconnaître la suzeraineté de son rival, et à déchoir du rang où il s'était long-temps soutenu. L'abattement de Faucon-Noir était visible; cependant il prit la main de Kéokuk qui parla presque seul avec sa grâce habituelle: une émotion profonde dominait l'assemblée, même les Américains. Les clauses principales de la remise de Black-Hawk étaient que dorénavant il suivrait les conseils de Renard-Vigilant. Lorsque l'interprète eut traduit au vieillard ces douloureuses conditions, on le vit pâlir sous sa peau noircie et s'envelopper la tête dans sa couverture. Il fallut que le colonel Davenport du fort Armstrong, le seul blanc dont Black-Hawk eût à se louer après M. Enstis, usât de l'influence qu'il avait sur le chef Sauk, pour que la conférence ne fût pas rompue. On s'entendit enfin sur l'autorité exhorbitante de Kéokuk, et le major Garland fit servir du vin de Champagne. Le lendemain, 4 août 1833, Faucon-Noir traversa le Mississipi.

Ainsi, jusqu'au dernier moment, les sentimens généreux de ce sauvage de l'Amérique du nord ne se sont pas démentis, et c'est en considération de la reconnaissance qu'il vouait à un citoyen de l'Union, qu'il accepta ce qui blessait le plus sa fierté, la suprématie de Kéokuk, son rival.

Black-Hawk est un homme de cinq pieds dix pouces anglais; ses épaules sont larges et osseuses; les muscles de ses membres sont généralement peu prononcés; sur sa face maigre et carrée s'allonge un nez aquilin et pointu; ses yeux sont d'un fauve de noisette foncé; on y voit briller une légère expression de férocité qui ne résulte pas cependant de son caractère, car les actes de cruauté qu'on lui attribue sont de véritables calomnies: il a eu sans doute l'exaspération du soldat, mais jamais la barbarie qu'on prête en Europe trop facilement au sauvage. La forme de sa tête est très remarquable et a fourni des observations pleines d'intérêt aux phrénologistes de Baltimore et de New-York. Sa probité est irréprochable; ses mœurs feraient honneur au plus pur disciple de Guillaume Penn; enfin, chose assez extraordinaire et néanmoins avérée, Faucon-Noir, Indien farouche, homme primitif, n'a jamais eu qu'une seule femme. Il semble que sa vie entière doive présenter une critique aussi amère que juste de la civilisation.

COMBAT DES TRENTE. 1351

Avant de parler du combat des Trente, il convient de dire quelque chose de la maison de Beaumanoir qui y puisa son illustration.

C'est seulement au commencement du treizième siècle qu'on voit le nom de Beaumanoir figurer dans les fastes de la Bretagne. Le premier seigneur de ce nom est Hervé, qui fut présent aux états de Bretagne, tenus à Vannes, en 1202, pour avoir réparation du meurtre du jeune Artus, duc de cette province, assassiné par l'exécrable Jean-sans-Terre. Geoffroy son fils, qui assista à l'assemblée de la noblesse bretonne, réunie à Nantes, la veille de la Pentecôte de l'année 1225, pour approuver les priviléges accordés par Pierre de Mauclerc aux habitans du Cormier et de Saint-Aubin, Robert, père de Jean Ier, connu par son duel à outrance avec le vicomte de Rohan.

Les versions relatives à ce combat sont trop vagues ou trop contradictoires pour être recueillies par l'histoire; elles montrent seulement par les armes des deux champions, que l'armure d'un chevalier, au quatorzième siècle, se composait de cuissards, de bragonnières, d'un hocqueton, d'un armet à visière, avec collerette d'acier, de bottines garnies de fer ou d'acier auxquelles étaient attachés des éperons, d'un camail de mailles, d'une tunique ou cotte d'armes, de gantelets de fer, d'un bouclier, d'une épée et d'un poignard long et tranchant, appelé miséricorde, qui pendait sur la cuisse droite du chevalier, et qui servait pour achever les vaincus.

L'époque à laquelle remonte ce duel était féconde en combats du même genre. Les ordonnances des rois depuis Charlemagne, et les anciens décrets de l'église gallicane n'avaient pu extirper des mœurs nationales cette coutume demi-barbare. On se battait pour les motifs les plus futiles, et il coulait plus de sang noble dans les querelles particulières que sur les champs de bataille. Cet esprit pointilleux et guerroyeur avait envahi jusqu'au clergé, comme cela est prouvé par les actes du concile de Normandie, tenu sous Philippe-Auguste, où il est dit que les prêtres ne pourront se ballre en duel sans la permission de leur évéque. Justement effrayé de cette tendance toujours croissante, Philippe-le-Hardi voulant spécifier, sous forme de traité, les cas où le duel pouvait être légalement autorisé, chargea de ce travail messire Philippe de Beaumanoir, parent de Jean Ier, bailli du comté de Clermont et l'un des plus savans jurisconsultes de son temps. Ce code du duel parut, en 1243, dans les coutumes du Beauvoisis, et forma la matière du soixante et unième chapitre de cet ouvrage.

Jean III, fils de Jean II et de Marie de Dinan, est une des plus grandes figures chevaleresques d'un siècle qui enfanta le roi Edouard III, le prince Noir, Olivier de Clisson, Jean Chandos et Du Guesclin. Il embrassa le parti de Charles de Blois, époux de Jeanne de Penthièvre, nièce et héritière de Jean-le-Bon, contre son compétiteur Jean de Montfort, quatrième fils d'Artus et frère du duc décédé. La Bretagne était, à cette époque, livrée à une multitude de corps d'armée épars. Chaque baron, souverain sous sa bannière, disposait à son gré de ses soldats, portait la guerre où bon lui semblait, et aggravait par le pillage et les exactions les maux inséparables de la guerre civile. Les Anglais, enflés par leur récent succès de Crécy, pillaient et saccageaient la meilleure partie du duché. Les richesses des villes de la Bretagne, les ornemens de ses églises, les ombrages de ses forêts, les moissons de ses vallées, ne lui appartenaient plus! pillage, incendie, extermination, famine, tel était l'affreux tableau que présentait cette province.

Le capitaine anglais, sir Robert Bembroug, qui commandait pour Simon de Montfort la garnison de Ploërmel, voisine de celle de Josselin où Jean III de Beaumanoir tenait pour Charles de Blois, s'était fait remarquer entre tous ses compatriotes, par des exactions plus dignes d'un chef de brigands que d'un capitaine de troupes disciplinées. Indigné de ces barbaries, le chef breton alla au camp anglais, muni d'un sauf-conduit, demander sûreté contre ces désordres; mais combien son

« ZurückWeiter »