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On garnit ceux-ci de torsades de velours et de guirlandes de plumes de couleurs variées. Des bouquets de petites plumes assorties aux rubans du chapeau, sont également à la mode.

Les demi-voiles doivent être considérés comme un accessoire indispensable d'une belle toilette.

L'on portera, cet été, beaucoup de canezous; déjà même on en voit. Cependant des pointes en dentelles pourront souvent les remplacer avec avantage.

TABLETTES DES CINQ JOURS.

25 avril.

Faits divers.

On lit dans les journaux de Londres :

« M. Austin, propriétaire de la taverne de Saint-Georges, Lamberth's road, possède deux agneaux dont l'union paraît être plus complète et plus indissoluble même que celle des fameux jumeaux siamois. Les savans qui ont examiné ces animaux proclament qu'ils offrent un phénomène unique. La même peau recouvre les deux agneaux, qu¡ sont parfaitement conformés dans toutes les parties du corps, à l'exception des jambes de derrière. L'un de ces agneaux est mâle et l'autre femelle, et ce qu'il y a de plus étrange encore, c'est que la race n'est pas la même. L'un tient des moutons de South-Downe, et l'autre appartient à la famille des moutons de Leicester. On distingue aisément la différence des races à la conformation de la tête et à certaines marques sur les jambes. M. Anstin a déjà refusé des sommes considérables à des empailleurs. Il préfère garder ses agneaux pour les exposer à la curiosité publique. >>

-L'inventaire auquel, depuis bientôt quinze jours, on procédait chez M. Lehon, et que l'on croyait à peu près terminé, se poursuit aujourd'hui avec une activité nouvelle, par suite de la découverte faite dans un placard du cabinet de cet ex-notaire de quinze cartons qui renfermaient des papiers importans.

26. Les coiffeurs, qui autrefois s'appelaient perruquiers ou tout simplement barbiers, ne trouvent plus leur titre assez pompeux. Un de ces modestes industriels annonce au public qu'il transfère son étude de coiffure de telle rue à telle autre.

On sait que le Mont-Valérien était couronné d'un magnifique couvent. On sait que la crète de ce mont va être couverte par une citadelle. Or, à la porte du couvent, vers Paris, existe un cimetière rempli de tombes aristocratiques. M. l'archevêque de Paris vient d'obtenir de M. le maréchal Soult, ministre de la guerre, que ce cimetière serait respecté des soldats du génie, et qu'il serait mis en dehors des fossés de la citadelle. On assure que la chapelle du couvent restera intacte.

– Aujourd'hui, les bataillons de chasseurs de Saint-Omer sont arrivés aux camps de Romainville, Montreuil et au fort de Vincennes.

:

Voici quel est leur uniforme ils portent pantalon et capote froncée à la ceinture, en drap gros bleu, liseré de jaune; la casquette, la carabine, la baïonnette-poignard et une ceinture-giberne.

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On estimé à près de trois millions l'argent dépensé à Saint-Omer depuis le mois d'octobre, par les bataillons de chasseurs, dont les officiers, presque tous jeunes et ardens, ont dû faire la fortune des hôtels et des cafés qu'ils fréquentaient. On nous a cité à ce sujet l'anecdote suivante. Lorsque le premier bataillon vint d'Afrique, on lui fit la réception la plus brillante, et, le soir, il y eut au café Hampert un punch qui coûta 1,500 fr. Mais, non satisfaits de cette fête bruyante, les officiers finirent par démonter le billard, et firent dessous une fosse profonde dans laquelle tous enterrèrent leurs anciens sabres, remplacés par des armes de modèle différent. Cette inhumation guerrière fut arrosée de punch flamboyant, et le cafetier fut invité à respecter désormais ce souvenir d'union et de fraternité militaires, »>

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27. — On écrit du canton d'Aspect, le 13 avril :

« De fortes pluies ont désolé nos montagnes pendant trois semaines consécutives; hier seulement, elles ont cessé, mais pour faire place à une neige abondante. La fin de ce gros mauvais temps s'est fait remarquer par un singulier phénomène. Dans la matinée, nous avons vu sur plusieurs points la terre couverte d'une légère couche de matière jaunâtre d'un éclat très vif, et dont les derniers vestiges n'ont complètement disparu que vers le soir.

« Cette matière, qui était tout aussi bien délayée que la peinture à l'huile, prenait la forme et la consistance de la fleur de soufre, lorsqu'elle touchait à un corps sec, et elle se pulvérisait de même.

L'Emancipation explique ainsi ce phénomène qui vient de se reproduire également à Bordeaux : « En ce moment les sapins sont en fleur dans la montagne, et leur pollen étant d'un jaune vif et très abondant, il n'est pas étonnnant que, soulevé en tourbillon par le vent, ce pollen ait coloré la pluie.

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Le 30 mai de l'année 1778, une nouvelle sinistre, qui devait rententir jusqu'aux confins du monde civilisé, se répandit dans Paris: Voltaire est mort! Voltaire n'est plus !

Grande fut la stupeur de ceux qui se déclaraient les adeptes du culte de la Raison, dont Voltaire était le grand-prêtre, et de ceux qui maudissaient son génie et regardaient sa doctrine comme une inspiration de l'enfer.

Le peuple, qui à cette époque nourrissait déjà les idées d'émancipation qui devaient germer si vite pour porter de terribles fruits, et qui vénérait à l'égal des dieux ceux qui s'imposaient la mission de le guider dans les rudes sentiers de l'indépendance et du progrès, déplora la mort de Voltaire comme une calamité publique, et lui donna des larmes plus sincères que méritées.

On vit, dès le soir même, une foule immense assiéger l'hôtel du mar quis de Villette, où le philosophe venait de rendre le dernier soupir, et commander à l'entour le calme et le silence, comme un témoignage de respect envers l'illustre mort.

Au moment où ce culte était le plus fervent et où l'ardeur de l'enthousiasme populaire était poussée jusqu'au fanatisme, un grand tumulte se fit dans les rangs serrés de la foule qui encombrait le quai nommé depuis quai Voltaire.

Ce tumulte était causé par l'arrivée du carrosse du marquis de Savigny, qui s'avançait au pas précipité de ses quatre chevaux, refoulant devant lui les flots épais de la populace, comme fait un vaisseau qui brise avec fracas les vagues de l'Océan.

La France, à cette époque, se divisait en deux partis hostiles, joûtant de menaces, et préludant ainsi à la grande bataille qui devait ensanglanter le sol de la patrie.

Entre tous les champions des priviléges du trône et de la noblesse, celui qui se distinguait le plus par son acharnement à défendre une cause désormais perdue, et à combattre les droits qu'osait revendiquer le peuple par la bouche de ses éloquens tribuns, c'était le marquis de Savigny.

La cour aimait le marquis de Savigny; on se souvenait des services rendus par sa famille à la monarchie; on lui tenait compte de ses intentions loyales, de son dévoûment, qui était chez lui une religion; mais on redoutait l'expression imprudente d'un attachement qui pouvait parfois compromettre bien plus que servir.

On conçoit sans peine que, placé dans un pareil centre d'idées, le marquis de Savigny dût détester les hommes qui travaillaient chaque jour à faire jaillir l'étincelle qui amena l'incendie de 93, et à la tête desquels l'opinion désignait Voltaire. Il ne devait donc être rien moins que disposé à prendre part au deuil public causé par la mort de cet écrivain, mort qu'il regardait comme un heureux événement dont les hon-. nêtes gens devaient se réjouir.

Aussi quel ne fut point l'indignation de son orgueil de grand seigneur, lorsqu'il vit sa voiture arrêtée par des hommes de la classe la plus infime, et lorsqu'on lui enjoignit à lui-même de descendre de son carrosse et de passer à pied devant la maison du Philosophe, comme on l'appelait, afin de lui payer ainsi son tribut d'hommages!

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Allons, à terre! cria un autre ; il fait beau et tu n'as point à craindre de compromettre dans la boue tes bas de soie brodés et tes souliers à boucles d'or.

- Misérables! dit à part lui le marquis de Savigny, qui commençait à craindre de n'avoir point le dessus dans cette lutte inégale. Puis, reprenant son rôle de parlementaire: Je suis aux ordres du roi, s'écria-t-il ; ma mission ne souffre point le retard d'une minute; laissez-moi porter en toute hâte mes dépêches à Sa Majesté.

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François, dit-il à son cocher, mille louis si dans dix minutes nous sommes sur la route de Versailles. Et vous, dit-il à deux piqueurs qui se tenaient aux portières, leurs torches à la main, le feu au ventre des chevaux s'ils refusent d'avancer, et à la figure de ces brigands s'ils vous arrêtent.

Un moment de profond silence suivit, dans le peuple, le colloque qu'on avait vu s'établir entre le marquis et ses gens; puis la machine s'ébranla au milieu des clameurs des laquais, qui criaient : Place! Place au marquis de Savigny! et des hurlemens de rage des opposans que broyaient les pieds des chevaux. Puis bientôt le bruit mat produit par le roulement du lourd carrosse, accompagné d'un épouvantable concert de gémissemens et d'imprécations, annonça que le grand seigneur avait enfin conquis le passage, mais qu'il lui avait fallu se faire un pont de cadavres. Une heure après le marquis faisait son entrée au château de Versailles, et racontait, avec son énergie naturelle, la scène outrageante pour la royauté et pour la noblesse, dans laquelle il avait joué le principal rôle, et qui avait eu un si terrible dénoûment.

Le roi et M. de Maurepas, son ministre, moins passionnés que le marquis, et par conséquent plus capables de juger du danger qu'il avait si gratuitement provoqué, s'effrayèrent grandement de cette démonstration populaire, et furent loin de lui savoir gré de son zèle indiscret.

Tandis que Savigny, encouragé par la reine, dont la confiance alors allait jusqu'à l'imprudence la plus aveugle, cherchait à dissiper des terreurs qu'il croyait dénuées de fondement, un homme, accouru à Versailles à franc étrier, pénétra dans le château, demandant à parler sur l'heure au marquis de Savigny, à qui, disait-il, il avait à faire les plus importantes communications.

C'était Duval, l'intendant du marquis; et aussitôt que celui-ci se fut rendu à sa demande :

Monsieur le Marquis, je suis un messager de terribles nouvelles! s'écria-t-il.

– Que veux-tu dire?

Les hommes du quai ont pillé, saccagé votre hôtel de Paris; en ce moment ils le livrent aux flammes.

Eh bien, Duval, il faut le laisser brûler. -Monseigneur !

-Je t'ai toujours dit, Duval, que tu poussais l'économie jusqu'à l'ava rice; n'ai-je point encore assez, dis-moi, de châteaux et d'hôtels?

-Monsieur le Marquis, la chose est sérieuse et vaut la peine qu'on s'en occupe; il ne s'agit pas seulement de votre hôtel de Paris; le peuple s'est porté en foule à votre maison de plaisance de Marly, qui va avoir le même sort; il seront ici avant une heure, et, croyez-moi, le château avec ses grilles et ses gardes, le roi lui-même avec toute sa majesté, ne sauraient vous soustraire à leur vengeance.

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Ah! saint Voltaire, dit le marquis d'un ton qui n'était plus celui de la raillerie joyeuse, tu dois être content, tu auras des funérailles dignes de ton génie !

Le danger que signalait le fidèle serviteur du marquis était loin d'être exagéré. Après avoir pillé et brûlé son hôtel de Paris, le peuple avait juré d'en faire autant de tous les domaines du marquis de Savigny, jusqu'à ce qu'il tombât aux mains de ceux qui voulaient l'immoler sans pitié, comme il avait lui-même sans pitié écrasé sous les pieds de ses chevaux et sous les roues de sa voiture, leurs pères, leurs enfans et leurs frères.

Cette haine, d'ailleurs, qui éclatait si furieuse, remontait à une date plus reculée : ce n'était point la première fois que ces deux noms, Peuple et Savigny, se heurtaient en mortels ennemis qui se rencontrent. Lors des émeutes qui avaient eu lieu à cause de la cherté des grains et de la disette qui en était la suite, le marquis avait conquis les premiers titres à la plus odieuse impopularité.

Duval, qui, tout en s'associant secrètement aux sympathies populaires et aux espérances d'un meilleur avenir, n'en était pas moins dévoué aveuglément au marquis de Savigny, son bienfaiteur, avait deviné du premier coup d'œil l'imminence du péril. Aussi, après avoir jeté dans une voiture de place, pour qu'il ne fût point reconnu, et confié à un vieux serviteur dont il était sûr, le fils de M. de Savigny, qui n'avait plus de mère et n'était âgé que de trois ans et quelques mois, il était parti en toute hâte pour Versailles, où la voiture qui emportait l'enfant devait venir le rejoindre.

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- Fuir! Y pensez-vous, monsieur Duval? Suis-je donc un vilain dont les épaules doivent craindre le bâton? Merci du conseil !

Monsieur le marquis, je ne vois que votre salut, je ne veux pas penser à autre chose.

-C'est bien, c'est bien, dit avec fierté le Marquis en se promenant à grands pas.

En ce moment un huissier de l'appartement entra dans le salon et invita le marquis de Savigny à le suivre auprès de sa majesté la Reine, qui désirait lui parler.

Le caractère ardent et aventureux du marquis de Savigny avait inspiré pour lui à Marie-Antoinette le plus vif intérêt; aussi, quand des courriers vinrent annoncer au château l'effrayant danger qu'il courait, et qui, à cette époque d'effervescence populaire, pouvait être l'occasion d'un mouvement dont on eût pas su prévoir les suites, elle usa de tout son crédit sur son esprit pour le déterminer à fuir sans tarder. Et comme le marquis se refusait à prendre un parti qu'il appelait lâche et honteux, il reçut au même moment, des mains du capitaine des gardes, un ordre signé du roi qui l'exilait à l'étranger pour cinq années.

TIMP

Louis XVI avait compris qu'il n'avait que ce moyen de réduire la volonté du marquis de Savigny et de le sauver malgré lui-même, et M. de Maurepas avait compté sur cet ordre d'exil pour apaiser la colère du peuple, si la bête aux mille têtes, comme on disait alors, osait venir gronder jusque sous les murs du château. L'ordre était formel, il devait être exécuté sans remise, et le marquis, refoulant avec rage dans son cœur les plaintes que soulevait cette mesure qu'il regardait comme une sanglante injustice et une preuve nouvelle de l'ingratitude des rois envers ceux qui les servent avec le plus de dévoûment, ne demanda que quelques minutes pour une recommandation d'urgence à faire à son intendant.

Resté seul avec Duval :

- Eh bien, Duval, lui dit-il, on m'exile.

- Tant mieux, Monseigneur, vous serez sauvé sans que cela vous coûte ce que vous appelez la honte de la fuite.

Mais un exil, c'est une défaite.

-Oh! dans un mois tout sera oublié, et vous ferez une rentrée triomphale.

Enfin, le roi le veut, il faut que j'obéisse !... L'ordre d'exil concerne également mon fils, reprit le marquis en relisant le parchemin. Exiler un enfant qui compte à peine trois années!

Tant mieux répèta encore à mi-voix l'intendant; car, tout jeune qu'il est, le fils aurait payé pour son père; il sera sauvé aussi.

Mais où est-il, mon fils, lui qui partage si tôt les disgrâces de son père ?

Il est en bas, monsieur le Marquis, dans la cour du château; j'ai précédé de quelques minutes la voiture qui l'amenait ici.

Bien! Mais quoique je pense comme toi que mon exil n'est que pour la forme et ne sera pas de longue durée, il convient cependant que e fasse certaines dispositions de prudence, non pour moi, mais dans l'inérêt de mon enfant.

- Parlez, Monseigneur.

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II

387

Seize ans se sont écoulés depuis la scène que nous avons esqu¡ssée. La sanglante aurore de 93 s'est levée sur la France. Le niveau de la république a passé sur toutes les têtes; celles qui étaient trop élevées ont été abattues, quand elles n'ont pu se soustraire par la fuite aux pourvoyeurs des insatiables appétits du monstre des révolutions. Le trône du roi, l'autel de Dieu ont été renversés: à leur place s'est élevé l'échafaud de la Terreur; Louis XVI a été mis à mort à la face de son peuple assemblé, sans qu'une seule voix se soit élevée pour le défendre, sans qu'une seule main se soit étendue pour le venger; et la noblesse, décimée par la proscription, a quitté une terre inhospitalière pour aller, sur des bords étrangers, rêver de meilleurs jours.

Dans ce déluge populaire qui a submergé les noms, les titres, les fortunes, la famille de Savigny a dû se trouver naturellement enveloppée et disparaître. Du reste, lorsque le marquis de Savigny quitta la France en 1778, à la suite de l'événement que nous avons raconté, il était veuf et restait avec son fils le seul rejeton de cette ancienne famille. Il avait promis à M. Duval, en le quittant, de lui écrire aussitôt son arrivée à Vienne, qui était le lieu désigné pour son exil, et jamais cependant ni M. Duval, ni les autres personnes avec lesquelles il pouvait entretenir correspondance n'entendirent plus parler de lui. Ce fut en vain que M. Duval écrivit lettres sur lettres, qu'il s'informa du marquis jusqu'à la cour même, et qu'il envoya exprès un homme de confiance en Allemagne; il lui fut impossible d'obtenir le moindre renseignement sur ce que pouvait être devenu le marquis, et de recueillir le moindre indice qui l'assurât qu'il était encore en vie. Puis, quand des années eurent passé sur ces tentatives infructueuses, et quand la pensée d'un accident fatal à M. de Savigny eut été confirmée par ce silence obstiné et cette disparition inexplicable, M. Duval s'habitua à l'idée de sa mort, qui devint bientôt pour lui comme le souvenir d'un fait certain et accompli.

Cependant, grâce à l'activité de ses soins, à l'habileté de ses spéculations, la fortune du marquis s'était considérablement accrue, et par le fait, M. Duval était un des plus riches propriétaires que la France d'alors pût compter; car les gens bien informés de son district disaient qu'il assurerait au moins un million en mariage à sa fille et autant à son fils.

Malgré le bonheur que devait procurer à M. Duval cette immense fortune dont on ne connaissait point la cause, et dont il avait toutes les jouissances, il ne paraissait rien moins qu'heureux pourtant, et chaque matin, à son lever, on aurait pu remarquer sur ses joues une pâleur livide comme en donnent l'insomnie et les tortures d'une ame bourrelée.

Nous avons dit qu'à cette époque s'accomplissait, dans toute son énergie, l'œuvre terrible de la révolution. M. Duval avait un esprit ardent, un cœur chaud; il se dévoua avec fanatisme à la cause populaire, et on le choisit bientôt pour chef autant pour son civisme éprouvé que pour la position que lui faisait sa fortune. Dans sa fureur de démagogue, M. Duval avait voulu quitter son nom, qui sentait trop son origine aristocratique; car à cette époque, la particule du placée devant le nom propre était proscrite avec non moins de rigueur que le de, qui suffisait souvent pour conduire à l'échafaud, et il s'était baptisé du nom significatif de citoyen Régulus, sous lequel on ne se serait guère avisé d'aller chercher l'ex-intendant du seigneur de Savigny.

Un acte de générosité par lequel Régulus signala son patriotisme vint mettre le comble à la popularité dont il jouissait déjà. La République était appauvrie, et toutes ses ressources étaient épuisées, le numéraire avait disparu, les assignats étaient sans valeur, la confiscation des biens des émigrés et des prêtres n'avait produit que des sommes insuffisantes pour des besoins pressans, la disette était dans la ville, nos armées manquaient d'armes et de vêtemens, les appels répétés à la nation n'amenaient que de faibles résultats. Le citoyen Régulus vendit une grande partie de ses domaines, laissant croire même, pour sa sécurité, qu'il

conservait que la jouissance de la maison qu'il habitait avec sa famille, et vint déposer le prix de cette vente sur l'autel de la patrie, aux applaudissemens unanimes du peuple rassemblé.

Ce trait de bon citoyen, qui n'était point aussi rare en ce temps qu'on pourrait le croire aujourd'hui, fut mis à l'ordre du jour. Les feuilles publiques mentionnèrent la libéralité du citoyen Régulus. Le club des Jacobins, dont il était membre, lui accorda les honneurs de la séance, et il fut reconduit en triomphe à sa maison, qui était voisine de celle du vertueux et incorruptible Robespierre, comme on l'appelait. Dès le lendemain, il était nommé membre du conseil-général de la commune et président de sa section.

Il faut dire cependant que Régulus, qui faisait reposer toutes ses espérances de bonheur sur l'amour de ses enfans, et qui semblait ne pouvoir combattre les souvenirs cruels qui l'assiégeaient, pareils à des remords, que par la pensée qu'il leur assurait des jours de paix et de félicité, avait fait d'amples réserves au profit de leur avenir. Son instinct de père et de citoyen lui disait que si la source de cette fortune était criminelle, il la purifiait en la partageant entre sa patrie et ses enfans.

Vers le même temps, le comité de salut public lança le décret qui enjoignait, sous peine de mort, à tous les propriétaires de la capitale, de placer au dessus de la porte de chaque maison un écriteau sur lequel devraient être inscrits les noms et les professions de tous les habitans.

Depuis quelque temps, le citoyen Régulus comptait dans sa maison un un nouvel hôte qu'il n'avait point vu encore, car cet hôte ne s'était adressé qu'à une femme de service chargée du soin de faire voir les pièces à louer et d'en dire le prix aux visiteurs. Il occupait une mansarde à l'étage le plus élevé.

Régulus le fit prier de descendre, afin d'obtenir de lui des renseignemens nécessaires pour l'inscription ordonnée par la loi. Son locataire se rendit aussitôt à cette invitation.

C'était un jeune homme de vingt ans à peine, d'une physionomie charmante et dont les manières distinguées laissaient deviner, en dépit de son extérieur misérable, qu'il devait appartenir à une noble famille. Sa figure pâle, mais pleine de dignité, son regard fier, mais doux, son maintien assuré, quoique modeste, annonçaient en effet chez lui l'homme né pour commander.

Sa chevelure noire flottait, selon la mode du temps, en longues boucles sur ses épaules; de légères moustaches ombrageaient sa lèvre supérieure; le col de sa chemise, rabattu sur son habit, laissait voir un cou blanc et modelé comme celui d'une femme.

-Pardon, citoyen, dit Régulus au jeune homme qui entrait, je t'ai dérangé; mais, avant tout, il faut obéir à la loi, et c'est elle qui m'a forcé de te faire descendre.

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Le jeune peintre menait la vie la plus triste et la plus malheureus qui fût. Sans moyens de se créer des ressources, car à cette époque, République absorbée par le soin de sa propre conservation ne trouva guère le loisir de voter des encouragemens aux beaux-arts, il était obli pour vivre, de composer des grotesques et des caricatures pour un ma chand, qui, spéculant sur sa pauvreté, les lui payait au plus bas pri possible.

Fatigué de cette lutte chaque jour renaissante contre les difficultés la vie, l'artiste remontait souvent à sa mansarde le découragement cœur, et il restait là de longues heures assis sur un grabat, plongean un regard désespéré dans les profondeurs de son avenir sombre et me naçant comme un abîme; puis, quand il sortait de ces désolantes coa templations pour se replier sur lui-même, et qu'il se voyait seul monde, sans famille, sans nom, sans fortune, sans amis, il se prenait pleurer ainsi qu'un faible enfant, et appelait de tous ses vœux lam comme l'unique refuge contre la misère et l'abandon.

Nul dans la maison n'avait soupçonné que cette vie, si jeune et si fra che encore, renfermât tant de douleurs; plusieurs même, en le voye gravir d'un bond ses cinq étages, portaient envie à l'insouciance, qu' croyait alors, comme à présent, le privilége exclusif de la vie de l' tiste; une seule personne devina son cœur et les souffrances qu'il rec lait cette personne, c'était Cornélie, la fille de son hôte.

Grâce à la fortune de son père, Cornélie avait reçu, ainsi que frère, une éducation solide et complète, et cette éducation n'avait fa que développer le naturel le plus heureux. Aussi, après avoir rend hommage aux charmes séduisans de son esprit, on les oubliait ens pour admirer et chérir ce qu'il y avait d'excellent et d'exquis dans cœur. M. Duval était adoré de ses enfans, mais non pas de la me manière. Cornélie avait fait de son attachement à son père un des doux et religieux; chez son frère, cette affection était poussée just fanatisme. Le rôle actif que le citoyen Régulus avait accepté dans i vre révolutionnaire effrayait Cornélie; ces scènes de sang et de ter l'épouvantaient, et n'avaient pour elle que la grandeur et la magnife. que présente le spectacle d'une tempête. Aux yeux du fils, au contri les vertus austères du républicain Régulus en avaient fait un héros

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