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pelait les infortunes de ses pères. Les vieillards indiens ne pouvaient donc faire choix d'un exécuteur plus dévoué: ils crurent nécessaire néanmoins de mettre un prix à son obéissance. Méloutiz brûlait depuis plusieurs années d'une passion ardente pour Vélida, la fille d'un sachem: mais, né parmi la classe la plus obscure de sa tribu, il n'avait ni un champ assez vaste, ni une cabane assez belle pour espérer que cet attachement, partagé d'ailleurs par Vélida, pût jamais être cimenté par un mariage. Ce fut donc avec joie qu'il entendit le sachem lui promettre de l'unir à sa fille à la prochaine lune, s'il lui rapportait la tête de l'Européen.

Après avoir accompli les formalités d'usage, Méloutiz, armé d'un poignard et de deux pistolets, vestiges de l'occupation espagnole, se dirigea vers la cabane du missionnaire, placée à l'extrémité orientale de la forêt, dans un endroit désert et presque inaccessible. La nuit commençait à tomber; des nuages ceignaient l'horizon d'un liseré d'or et de pourpre et se reflétaient magnifiquement dans les eaux argentées du Paraguay. En respirant le parfum des fleurs sauvages, en sentant courir dans ses cheveux cet air des soirs d'été qui calme les sens et dispose l'ame à la pi été et la tendresse, Méloutiz s'arrêta tout à coup, et prenant un chemin opposé à l'habitation du père Daniel, il suivit un petit sentier bordé de fleurs, et se trouva bientôt devant une élégante maisonnette, construite avec des bambous entrelacés.

Vélida était assise sur le seuil; à ses pieds dormait son jeune frère étendu sur une natte de palmier. Méloutiz s'approcha d'elle doucement: Quand unirons-nous nos mains, Vélida? lui dit-il.

-Quand il plaira à mon père et au Grand-Esprit, répondit tristement la jeune Indienne.

Puis, regardant, à la faveur d'un rayon de la lune, la figure pâle de son

amant.

- Que veux-tu faire de ces armes, Méloutiz? s'écria-t-elle, en posant ses doigts sur les pistolets et le poignard du sauvage.

Méloutiz essaya de sourire; mais il y avait dans cet effort quelque chose de si triste et de si douloureux, que Vélida en fut plus vivement

alarmée.

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Tu vas commettre un meurtre! lui dit-elle en saisissant ses mains qu'elle serra avec un égarement passionné; tout en toi est étrange et trahit une résolution fatale. Oh! crois-moi, Méloutiz, jette ces armes, retourne à la cabane de ton père, attends le lever du soleil, et demain tu auras horreur de ton sinistre projet; car le crime enfante le remords, et le sang ne s'efface pas de la main qui l'a répandu!

Le sauvage hocha la tête avec amertume.

- Les sachems l'ont voulu, dit-il, et la sagesse habite avec eux. D'ailleurs, ajouta-t-il en étouffant un soupir, ces armes sont destinées à frapper non un guerrier de nos tribus, mais ce jongleur blanc, cet Européen, fils de nos persécuteurs!

L'Indienne pâlit.

- Méloutiz! murmura-t-elle d'une voix tremblante, tu n'accompliras pas cet épouvantable sacrifice. Le vieillard que tu veux frapper est le bon génie de nos déserts; c'est lui qui t'a appris à labourer le champ de tes aïeux!

En disant ces mots, Vélida approcha de ses lèvres le visage décoloré de son amant; elle essaya de lui faire une chaîne de ses deux bras; mais Méloutiz se dégagea de cette douce étreinte, et s'enfuit précipitamment à travers la forêt.

Alors l'Indienne joignit les mains avec désespoir, et tomba à denx genoux devant le seuil de la cabane:

O Dieu de nos déserts! s'écria-t-elle, ne le rends pas criminel! Ici mon narrateur s'arrêta, et, par un mouvement involontaire, sa compagne croisa ses bras dans l'attitude de la prière :

- O Dieu des chrétiens! dit-elle à voix basse, oublie le crime et ne te souviens que du repentir!

L'étranger continua après un instant de silence :

- Tout en traversant d'wa pas rapide les sombres avenues de la forêt, Méloutiz entendait retentir au fond de son cœur les touchantes prières

de Vélida. Poursuivi par des remords précoces, il arriva jusqu'à l'hum... maisonnette qui servait d'asile au missionnaire. Agenouillé devant prie-dieu, le P. Daniel parcourait attentivement son bréviaire. En voy2 cette tête vénérable, ces longs cheveux argentés qui tombaient sur épaules de l'homme apostolique comme un manteau pour protéger vieillesse, en contemplant ce front austère sur lequel chaque doul avait laissé une cicatrice, cette figure pâle, ces jambes débiles, ces in amaigris, ce corps épuisé par les fatigues et par l'âge, Méloutiz se chanceler sa résolution. Il jeta son poignard, et s'élançant jusqu'au f de la cabane :

-Écoute, vieillard, s'écria-t-il, nos sachems ont juré ta perte mort est là! Va-t'en! Fuis de cette contrée où ta tête est proscrite. Uz pirogue est amarrée sur le fleuve, à vingt pas; monte-s-y et travers Paraguay jusqu'à l'île des Palmiers: là tu trouveras des guerriers e péens. Hésiter serait vouloir mourir... pars.

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Par l'ame de mes aïeux! reprit le sauvage en frappant du pied n'est pas un jeu, une vaine menace un Indien a été choisi pour p tes impostures; et tu le sais, vieillard, dans nos forêts, refuser de don la mort, c'est être certain de la recevoir. D'ailleurs, cet Indien aim fille d'un sachem. S'il remplit fidèlement son devoir, Vélida sera sa compense; s'il le trahit, le bûcher sera son supplice. Cet Indien, c moi ! comprends-tu, vieillard?

-Je te comprends, je te plains et je te pardonne! répondit le pre

Vieillard, vieillard! s'écria le sauvage de plus en plus agité; t courage m'étonne, ton âge m'attendrites cheveux blancs m'effrai Oh! par pitié, éloigne-toi pour toujours de nos forêts: car, voisVélida est la plus belle vierge de nos tribus. Pour plaire à Vélida renierais le culte de mes aïeux; pour la posséder, je te tuerais, vieilla car je l'aime, cette femme, plus que tu ne peux aimer ton Dieu!

En parlant ainsi, Méloutiz tressaillit. Un bruit encore éloigné s'eta fait entendre; il s'approcha de la porte, écouta avec anxiété et livre d'affreuses angoisses:

Malheureux! s'écria-t-il, en rainassant le poignard égaré dans coin de la cabane, mes frères arrivent: Je les entends, ne perds pås peu d'instans qui te reste... fuis.

L'ame de Méloutiz se livrait un violent combat. Quoi qu'il fit pour le courageux vieillard, il ne pouvait échapper à l'ascendant de sa sub résignation. En effet, aucune altération ne s'était montrée sur le vis. doux et serein du missionnaire: sourd aux prières, insensible aux lar de l'Indien, il restait inébranlable dans sa résistance. Alors furieux 2 voir ses efforts inutiles, et certain d'entendre la voix des sauvages 4s'approchaient de plus en plus, Méloutiz saisit convulsivement le vis prêtre et le frappa en détournant la tête. Atteint au dessous du cœur. vieillard chancela et tomba aux pieds de son assassin. Celui-ci consider quelques instans ce tableau avec une indicible stupeur, et, le front r selant de sueur, les lèvres frémissantes, il se précipita sur le miss naire et voulut étancher son sang qui coulait à flots. Mais le prêtre "" rant repoussa doucement le sauvage.

Tu m'as tué, mon fils, lui dit-il d'une voix éteinte; mais il te res encore le temps de te repentir!

En proie à la plus vive agitation, Méloutiz se tordait de désespoi côté du missionnaire en implorant son pardon; puis tout à coup se re levant, et serrant avec force la main du prêtre :

Etranger, s'écria-t-il, ta religion est la véritable; car elle t'a iz piré le courage de braver la mort et la force de pardonner à ton assass J'abjure les erreurs de mes pères: ton culte sera mon culte, et ton sera mon Dieu.

En entendant ces paroles, le vieillard parut rappelé à la vie qui bandonnait; il se souleva sur son séant; puis, étendant ses mains s

glantes sur la tête de son meurtrier, il lui conféra le sacrement auguste qui devait le faire chrétien.

Méloutiz resta long-temps incliné sous ce magnifique baptême ; et si quelque voyageur se fût arrêté le lendemain de ce jour devant la cabane du père Daniel, il eût pu voir un jeune sauvage en prières devant le corps inanimé d'un prêtre européen.

Ici le vieil Indien se tut. Sa voix s'était graduellement affaiblie, et des larmes abondantes roulaient sur ses joues. Après un long silence, il reprit le récit interrompu :

- Arraché par un crime aux superstitions de l'idolâtrie, Méloutiz, après avoir creusé à l'écart une fosse cù il déposa les restes du missionnaire, se rendit à la cabane de Vélida.

En l'apercevant, la jeune fille fut saisie d'une vague épouvante; elle chercha sur son front livide les causes de son agitation.

– D'où viens-tu, Méloutiz? s'écria-t-elle.

-

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— Ecoute, dit-elle, notre vie, désormais, doit être une vie d'expiation; allons au pays des blancs adorer le Dieu que ton crime t'a révélé !

A partir de ce jour, Méloutiz et Vélida ne songèrent plus qu'à quitter le Paraguay. Bien des années s'écoulèrent sans que l'occasion s'en présentât. Mais plusieurs missionnaires ayant débarqué dans ces solitudes, Méloutiz leur raconta son histoire, et les supplia de l'emmener en Europe avec Vélida, s'ils devaient un jour y retourner eux-mêmes. Il y a vingt ans qu'ils habitent Marseille, où ils ont vécu du travail de leurs mains. Mariés selon les rites de la foi catholique qu'ils ont embrassée, ils n'ont jamais manqué d'aller chaque matin implorer la miséricorde de Dieu dans ses temples, et de venir chaque soir jeter à travers l'immensité des mers un souvenir à la tombe du vieux missionnaire.

Ce récit m'avait profondément ému. Je pressai affectueusement les mains des deux Indiens, et le soir, en rentrant chez moi, je transcrivis l'histoire de Méloutiz et de Vélida.

BÉNÉDICT GALLET.

L'AUBERGE DE SAINT JEAN.

Il y aura deux ans au mois d'août prochain que je me trouvais, avec un peintre de mes amis, sur une grande route de l'Espagne, vers les Asturies. La nuit approchait. Nous nous arrêtâmes à l'entrée d'un petit village, devant une auberge qui avait pour enseigne un saint Jean peint grossièrement sur un carré de tôle. La porte de la maison, toute ouverte, laissait voir la salle d'entrée, au milieu de laquelle était dressée une grande table que venaient probablement d'abandonner quelques muetiers, à en juger par les vivres et les bouteilles rangés dans un coin et qu'on n'avait pas encore enlevés. Au fond de la salle, une fenêtre, dont les volets étaient à moitié tirés, livrait passage à un mince filet de soleil, autour duquel bourdonnait avec acharnement un escadron de mouches. Devant la porte et dans l'ombre que l'auberge projetait sur la rue, se tenait accroupie une jeune femme que nous prîmes pour la maîtresse du lieu. A ses côtés, sur un banc de bois, étaient assis deux enfans joufflus et frisés comme le saint Jean de l'enseigne. La jeune femme avait dans

son tablier une prodigieuse quantité de mouillettes; elle les prenait une à une, les trempait dans un vase remplit de lait qu'elle tenait de sa main gauche et les donnait alternativement aux deux enfans. Chacun des deux attendait son tour avec une gravité tout-à-fait espagnole et digne d'un souper plus confortable. Un énorme coq, favori de la maison, se livrait à une gymnastique désespérée pour saisir de temps en temps une mouillette au passage.

L'hôtesse s'aperçut enfin de notre présence et nous regarda avec curiosité. Nous ne savions de la langue du pays que ce qu'on peut en apprendre pendant une pérégrination d'un mois le long des Pyrénées. Mon ami et moi nous parvinmes, en combinant nos efforts, à baragouiner tout juste assez d'espagnol pour prouver que nous ne le savions pas. Notre pantomime fut plus éloquente: nos gestes exprimèrent assez clairement que nous demandions l'hospitalité. L'hôtesse, brune et jolie femme du reste, après nous voir lancé un regard scrutateur, nous intro duisit dans la salle d'entrée; puis elle courut à une porte ouverte sur un jardin, et cria :

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Au risque de calomnier la bonne femme et Michel, qui pouvait êt re un très honnête aubergiste, il me revint en mémoire des histoires de voy jageurs détroussés dans les hôtelleries, assassinés et enfouis dans les trappes. J'entrevoyais pourtant un moyen de salut dans les deux fils de Michel. Plus heureux que Macbeth, nous pouvions dire: Il a des enfans! et nous en faire des ôtages pour obtenir une capitulation, dans le cæ: 3 où nous aurions à nous défendre contre la férocité de leur père. En a tendant l'arrivée de ce personnage, nous nous débarrassâmes de nos sacs, et nous n'avions pas encore terminé cette opération, que nous le vîmes entrer. C'était un gros garçon d'une mine assez réjouie,. qui vint à nous de l'air le plus affable, s'exprimant d'ailleurs en très bon français. Il nous fut aisé de nous reconnaître réciproquement pour des compatriotes, chose qui parut combler de joie notre hôte, et qai ne nous fut pas indifférente au fond. En un momeut tout prit dans l'auberge la tournure la plus favorable à notre souper. Sans cess er de veiller à ses fourneaux, Michel nous accabla de questions sur la France, et sur Paris qu'il avait habité long-temps. Sa bonne humeur devint communicative, et en réponse à ses questions, nous en vinmes naturellement à lui demander comment il se trouvait, à cette heure, en possession d'une auberge sur une grande route des Asturies.

– Ceci, nous dit Michel est toute une histoire que je vous raconterai,, après souper, en buvant une bouteille de Xérès dans le jardin.

Nous passerons légèrement sur les détails de notre repas ; les notes que nous avions prises à ce sujet ont été perdues, et nous ne voulons pas renouveler le scandale du Siège de Rhodes par l'abbé de V e tot. L'histoire a des exigences qu'il faut savoir respecter.

as nous assumes.

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vu de ma vies. Cérès que je 19Quant aux «i-

Le souper terminé, nous passâmes dans le jardin et no sous des treilles, par le plus beau clair de lune que j'ai Michel nous offrit des cigares et nous versa du vin de connus à la première gorgée pour du vin de Roussillon gares, ils étaient délicieux. Cela fait, Michel commenca s je dois déclarer que mon ami le peintre ne tarda pas à senorair proરો fondément, par suite de la position trop commode qu'il at áit prise entre deux trones d'arbres, sur un bane recouvert d'un épais ga zo 2.

on récit... Mais

Il y a quatre ans, dit Michel, j'étais au service d'un maître dont je dois taire le nom, mais que pour la commodité du récit j'app ell erai M. de Berville. Nous allions à Madrid. Après une interminable journée de marche sous un soleil brûlant, un véritable soleil des Astu rie s. nous arrivâmes à cette même auberge que voici. Notre voiture s'arrêta devant la porte. Nous frappâmes à coups redoublés. Au bout d'une demi-l teure, une vieille servante vint nous ouvrir. Il s'agissait seulement d'o btenir deux lits. Nous avions dîné à la station précédente, circonstance heureuse pour nous, car l'auberge n'était pas fournie alors aussi bien qu' 'elle l'est aujourd'hui. Je commençai par remiser moi-même la voiture hangar; après quoi, la vieille femme, dormant encore à no jé, nous

sous un

conduisit dansun appartement composé d'une chambre et d'un cabinet contigu, nous souhaita bonne nuit, et regagna son gîte. Nous étions harassés, mon maître surtout avait le visage brûlé et le blanc des yeux veiné de filets rouges. J'étais couché depuis une heure, quand je l'entendis s'agiter dans son lit; je me levai et je m'approchai; il dormait, mais d'un sommeil inquiet et pénible. — Bon, me dis-je, c'est la chaleur de la journée qui lui a allumé le sang, un peu de repos le calmera. Là-dessus, je rentrai dans mon cabinet et je m'endormis de mon côté.

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Je pris cette phrase pour un reproche de ma paresse, ce qui toutefois ne laissa pas de m'étonner; car mon maître s'était toujours montré d'une bonté extrême à mon égard. Je m'excusai de mon mieux sur la fatigue de la veille; M. de Berville reprit avec le même sérieux :

- Monsieur veut rire, sans doute. Il sait bien qu'il dépend de lui de rester au lit, autant que bon lui semblera. Ce que j'en fais, c'est pour remplir mon devoir, et parce qu'il m'avait recommandé hier de le réveiller de bonne heure.

Ceci me déconcerta; mon maître endossa ma livrée, et courut prendre ses propres habits qu'il déposa sur mon lit. Je ne savais que penser de cette scène. Une contestation s'engagea entre nous, sans que je pusse parvenir à rentrer en possession de mon équipement ordinaire et à faire entendre raison à M. de Berville.

Le seul moyen d'en finir était de consentir à ce qu'il exigeait de moi. Je m'habillai donc et appelai les gens de l'auberge. Rosine que voici, continua Michel en montrant sa femme assise à côté de lui, accourut ; elle était veuve depuis un an, et tenait la maison avec l'aide de la servante qui nous avait reçus la veille. Je la pris à part et lui exposai mon embarras. M. de Berville s'interposa : Ne l'écoutez point, dit-il, c'est sans doute une envie de plaisanter qui prend à monsieur; car, depuis deux ans, je suis à son service.

J'insistai; mon maître tint bon de son côté. Rosine effrayée fit monter la vieille servante : - Paquita, lui dit-elle, c'est toi qui as ouvert cette nuit la porte à ces messieurs. Lequel des deux était le valet ? Saurais-tu le reconnaître ?

Paquita se frotta les yeux, nous examina attentivement, et répondit : Je reconnais bien les habits; quant au reste, il ne faut pas me le demander, je n'étais pas bien éveillée quand j'ai conduit ces deux voyageurs dans cette chambre.

En ce cas, reprit Rosine, courons prévenir l'alcade; tout ceci ne me paraît pas clair, et ces messieurs sont peut-être des voleurs.

Là-dessus, elle descendit l'escalier après nous avoir enfermés à double

tour.

Quand nous fumes seuls, M. de Berville me dit avec un calme parfait : Certaineme at, monsieur, vous êtes le maître de prolonger cette plaisanterie autant que vous voudrez; cependant je prendrai la liberté de vous dire, san; m'écarter du respect que je vous dois, qu'elle peut avoir des suites désagréables, et que, pour moindre résultat, elle vous fera perdre une journée de marche.

Je ne répo ndis rien, et me contentai de gémir en moi-même sur la maladie de non pauvre maître. L'alcade arriva, assisté de deux estafiers; c'était un gros homme, fort important, qui paraissait extrêmement convaincu de la gravité de sa mission. Voyons, dit-il, qu'on m'explique l'affaire. Rc sine et Paquita se tenaient curieusement à la porte sans oser

entrer.

- Monsieur, lui dis-je en m'avançant...

Mon maître me coupa la parole.

- Voici la chose en deux mots : je m'appelle Michel, je suis depuis deux ans au service de M. de Berville que voilà. Nous allons à Madrid. Je ne sais comment il se fait qu'après avoir passé la nuit dans cette auberge, moi maître intervertit nos rôles et veut absolument passer pour mon domes, 'ique.

En présence de cette déclaration si lucide et d'une folie aussi logique, je doutai un instant si ce n'était pas moi qui avais le cerveau dérangé, L'alcade m'interrogea à mon tour.

Je ne puis que vous répéter, lui répondis-je, ce que vient de dire mon maître; c'est l'exacte vérité, il ne s'agit que de retourner toute l'histoire.

- C'est le soleil ardent d'hier qui lui a monté la tête, ajoutai-je; voyez plutôt le visage de mon pauvre maître.

L'alcade, ses estafiers, Rosine et la vieille servante me rirent au nez d'un commun accord. Je jetai les yeux sur une glace accrochée au mur en face de moi, et ma figure rouge et brûlée me fit peur à moi-même. Peut-être sont-ils fous l'un et l'autre, dit l'alcade après avoir fait semblant de réfléchir un instant. Voyons si leurs papiers ne pourront rien éclaircir.

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-C'est monsieur, dis-je, en désignant mon maître.

-Au contraire, c'est vous, dit celui-ci en me montrant du doigt. - Allez au diable! s'écria l'alcade hors de lui. Il est de la dernière inconvenance, madame l'hôtesse, que vous vous soyez permis de me déranger pour deux fous de cette sorte. Le seul parti à prendre, c'est d'envoyer chercher un médecin.

A ces mots, l'alcade s'en alla, laissant ses deux estafiers pour nous garder. Je criai à Rosine de nous monter à déjeuner. Attendez, ditelle, je vais vous amener le barbier Pérez.

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Ceci me fit trembler. Il était évident que Pérez cumulait l'état de barbier avec celui de médecin. C'eût été assez pour effrayer un vrai malade: jugez de l'impression que ce mot de Rosine dut produire sur un homme en parfaite santé; mon maître, tout au contraire, paraissait enchanté. Il se promenait de long en large dans la chambre, les mains croisées derrière le dos, en se parlant à lui-même.

Les estafiers nous regardaient alternativement; ils se parlaient avec feu l'un à l'autre, et je compris à leurs gestes qu'ils penchaient à me considérer comme le vrai fou. La peur me prit. Ce qui m'épouvantait surtout, c'était le calme profond de M. de Berville, la rectitude inflexible avec laquelle il suivait l'idée fixe qui s'était emparée de son cerveau, le bon sens et la raison qu'il mettait à tout le reste. Les exemples d'un dérangement intellectuel semblable sont rares, mais ils se présentent quelquefois. Qu'allions-nous devenir si cet état de choses durait long-temps? que ne devais-je pas craindre surtout, moi-même, si, contraint par nos deux estafiers, je me voyais livré à un barbier imbécile? Ma position m'embarrassait terriblement, et je réfléchissais au parti que je pourrais prendre, quand Pérez arriva.

Je me l'étais figuré long, sec, noir et maigre: c'était au contraire un petit homme fort gai qui entra en sautillant. Il tenait un étui à lancettes dans la main. On lui avait expliqué dans sa route le cas dont il avait à s'occuper. Ce ne sera peut-être rien', dit-il en entrant à Rosine, une saignée et des sinapismes feront l'affaire. Il s'agit seulement de découvrir le vrai malade.

Les estafiers le saluèrent respectueusement. Pérez s'avança vers nous, et nous recommençâmes à peu près la scène qui venait d'avoir lieu devant l'alcade. Le maudit barbier nous tâta le pouls avec une gravité affectée qui me parut déguiser une ignorance absolue des principes de son

art.

Ma foi, dit le sublime barbier, après s'être recueilli un instant, je vais les saigner tous les deux; de cette manière je suis sûr de tenir mon malade; quand à l'autre, l'opération ne lui sera pas nuisible. Tous les médecins conviennent qu'une saignée est bonne, de temps en temps, pour prévenir un engorgement des vaisseaux sanguins.

Mon maître et moi nous jetâmes les hauts cris. La position devenait désespérée. Le barbier s'apprêtait à opérer sur nous de force, avec l'aide des estafiers; il me vint tout à coup un expédient.

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J'en passerai par ce que vous voudrez, dis-je à Pérez; puisque vous poussez les choses si loin, je ne veux pas être saigné et j'avoue que je suis réellement M. de Berville. C'est tout bonnement une plaisanterie que j'ai voulu faire.

Mais cette déclaration produisit un effet tout contraire à celui que j'en attendais. - Vous voyez bien que c'est lui qui est le vrai fou, s'écriat-on de toutes parts. Soudain les estafiers et mon maître me saisissent; on me déshabille, on me porte sur mon lit, on me frictionne, on me bande le bras; la vieille Paquita apporte un plat d'eau chaude, le barbier tire ses lancettes et m'ouvre une veine. Je m'évanouis de fureur, et l'on profite de mon évanouissement pour me mettre des sinapismes aux pieds.

Ici Michel, qui avait joint une pantomime expressive à cette dernière partie de son récit, s'arrêta pour reprendre haleine. Il semblait se croire encore entre les mains du terrible barbier. Au bout de quelques minutes. il reprit :

-Ce qui se passa après la scène que je viens de vous raconter, je ne pus le voir, car mon évanouissement se prolongea long-temps. Il paraît, ainsi que Rosine me le raconta plus tard, que mon maître, tout en raisonnant sur mon aventure avec le barbier, ne tarda pas à donner des signes manifestes de folie. Bien loin de se montrer honteux de sa méprise, Pérez s'écria d'un air triomphant : « Je disais bien que je finirais par découvrir le vrai malade ! » Sur quoi, on se saisit de M. de Berville et on lui fit subir le même traitement.

Il y eut pourtant entre nous cette différence que mon maître, dont le dérangement intellectuel dépendait d'une surexcitation de sang produite par la fatigue et l'ardent soleil de la veille, eut recouvré au bout de deux jours, grâce à quelques saignées, la santé et la raison, tandis que ce même remède, dont je n'avais nul besoin, me rendit sérieusement malade. Quand j'eus repris assez de force pour reconnaître ce qui se passait autour de moi, j'aperçus devant mon lit Rosine et M. de Berville empressés à me soigner. Rosine surtout s'acquittait de ses fonctions de gardemalade avec le zèle le plus touchant.

Ma maladie dura trois semaines. Quand je fus rétabli, M. de Berville dit:

Vous sentez que le plus grand mystère doit envelopper ce qui s'est passé dans cette auberge. Vous êtes un brave et honnête garçon dont je n'ai pas oublié les services, mais cet événement m'empêche de vous garder plus long-temps avec moi; je ne voudrais pas être exposé à vous rencontrer en France, surtout à Paris. Si vous voulez me promettre de ne plus quitter l'Espagne, je vous laisserai, en récompense de votre dévoûment, une somme d'argent suffisante pour vous établir quelque part dans ce pays.

Puis, il regarda Rosine; je la regardai aussi; elle rougit et baissa les yeux. La pitié chez les femmes touche de si près à l'amour!

Je reviendrai dans une heure savoir votre réponse, ajouta mon maître.

Là dessus il sortit, et me laissa seul avec Rosine. Je n'ai pas besoin de vous dire le reste. Vous savez maintenant comment je me trouve propriétaire de cette auberge, père de deux enfans, et marié avec Rosine par-devant ce même alcade avec lequel vous avez fait connaissance au commencement de cette histoire.

Il était déjà tard, nous rentrâmes. Si ceci n'était pas parfaitement indifférent au lecteur, j'ajouterais que j'achevai la nuit dans cette terrible

chambre et dans ce terrible lit où M. de Berville était devenu fou et où Michel avait failli le devenir.

CLÉMENT CARAGUEL. (Le Temps.)

JOURNAL DE LA TRAVERSÉE DE NAPOLÉON DE FRÉJUS A L'ÎLE D'ELBE,

PAR LE CAPITAINE SIR THOMAS USSHER,

Contenant diverses anecdotes sur la personne de l'empereur, ses conversations pendant le voyage et après son arrivée dans l'île, etc. (1).

En 1813, j'étais stationné, comme capitaine de la frégate l'Undaunted (l'Indompté), dans le golfe de Lyon; le Redwing, capitaine sir John Sainclair, et l'Espoir, capitaine Spencer, étaient sous mes ordres: ce dernier, qui m'avait rejoint depuis peu, m'avait apporté d'Angleterre des lettres et des journaux contenant des détails sur les revers de l'armée française et la chute probable de Napoléon, avec des conjectures et des suppositions sans fin sur la possibilité d'une tentative de sa part pour fuir en Amérique; le Courrier allait même si loin, que, dans eette prévision, il donnait de la personne de l'empereur la description la plus minutieuse. Chose singulière, ayant découpé ce paragraphe, je le fixai avec un pain à cacheter sur le casier de ma cabine, et je dis en plaisantant aux autres capitaines, que j'avais à dîner ce jour-là, qu'ils auraient dû prendre copie du signalement, attendu que l'empereur pourrait bien passer de notre côté; mais j'imaginais peu vraiment que quelques mois plus tard nous dussions le voir à la même table où nous étions alors. Peu après, le Redwing et l'Espoir retournèrent en Angleterre, et je restai chargé de la croisière sur les côtes de France pendant l'hiver.

Le 14 avril 1814, vers onze heures du soir, étant à cinq ou six lieues de Marseille, en compagnie de l'Euryale, capitaine Charles Napier, alors sous mes ordres, mon attention fut attirée par une brillante réverbération qui semblait venir de la ville. Selon mes conjectures c'était une illumination, et, par conséquent, l'indice de quelque important événement; aussi commençai-je à croire que, après tout, le Courrier pourrait bien se trouver bon prophète. A l'instant je fis faire les préparatifs à bord des deux navires: on mit toutes les voiles dehors et nous entrâmes dans la rade. Au point du jour nous étions près de terre; tout était tranquille, en apparence du moins, dans les batteries; on n'y voyait pas un drapeau flotter; les télégraphes même étaient immobiles, bien qu'ils eussent coutume de marcher constamment à notre approche; en un mot, tout indiquait qu'un grand changement avait eu lieu. Nous avions une matinée magnifique, avec un ciel pur et serein et une bonne brise du sud; impatient de nouvelles et curieux surtout de savoir si la paix était enfin rétablie, je m'avançai jusqu'à l'île de Pomègue, qui protége l'ancrage de la rade de Marseille, ayant soin, de peur de surprise, de me tenir prêt pour le combat, et de faire signe à l'Euryale de diminuer de voiles, afin que mon ami le capitaine Napier, dont l'intelligence et le courage m'avaient déjà été si profitables, pût me prêter secours si je venais à être désemparé. Nous déployâmes nos couleurs, je hissai le pavillon d'armistice et fis mettre au grand mât les couleurs royales des Bourbons, que le tailleur du navire avait confectionnées pendant la nuit. Cet étendard n'avait point paru sur les côtes de France depuis un quart de siècle. Ainsi pavoisés, on nous laissa approcher à une portée de canon; mais alors pous remarquâmes des hommes qui se rendaient dans la batterie, et presque aussitôt un boulet vint frapper notre avant-pont. Il était donc évident qu'on ne se souciait pas de notre approche; je donnai l'ordre de se tenir à distance et d'amener le pavillon parlementaire ainsi que le drapeau blanc, lorsqu'un boulet vint frapper l'arrière de la frégate. C'était un oubli gratuit et injustifiable des lois de la civilisation,

(1) Note du Directeur. Cette curieuse relation, publiée par the United Service Journal, remplit une lacune dans les nombreux mémoires sur Napoléon.

auquel je n'aurais fait nulle attention, si je n'avais voulu prouver à nos assaillans, par ma riposte prompte et énergique, que, dans aucun cas, le pavillon britannique ne pouvait être impunément insulté; en conséquence, virant de nouveau et me plaçant à portée de canon, je lâchai toute ma bordée. En cinq minutes la batterie fut entièrement balayée, et les canonniers avaient abandonné leurs pièces. Sans perdre de temps, je fis signe à l'Euryale de se tenir à portée, et m'avançant vers la seconde batterie, j'allais jeter l'ancre en face de la ville, lorsque je vis sortir du port une embarcation portant pavillon parlementaire. Je diminuai de voile pour l'attendre; c'étaient le maire et les autorités municipales de Marseille qui venaient pour m'informer de l'abdication de Napoléon et de la formation d'un gouvernement provisoire à Paris; ils se justifièrent en même temps de l'attaque intempestive et, m'assurèrent-ils, non autorisée, des batteries. Je les félicitai d'abord du grand et heureux changement qui venait d'avoir lieu; quant à l'agression dont j'avais été l'objet, je les assurai que je la pardonnais d'autant plus volontiers que j'avais lieu moi-même de souhaiter qu'on me pardonnât aussi facilement la manière dont je l'avais reçue, et j'ajoutai que, pour leur prouver la confiance que j'avais en leur honneur et leur loyauté, j'allais jeter l'ancre en face de la ville.

Bien que ma proposition ne parût pas trop leur convenir, nous allâmes mouiller à l'entrée de la rade. Je montai avec le capitaine Napier dans la chaloupe de l'Euryale, et nous nous rendîmes à terre; une foule nombreuse qui nous attendait au débarcadère, voyant que nous nous étions arrêtés pour demander les officiers de la libre pratique, se précipita dans l'eau et poussa notre chaloupe, à force de bras, jusqu'au rivage. Jamais je n'avais été témoin d'une scène semblable. Jeunes et vieux nous étouffaient de leurs embrassemens, et nous fûmes, à la lettre, enlevés et portés sur les épaules à travers les rues de la ville. Certes notre position n'était pas des plus agréables, et celle de mon ami Napier surtout me paraissait peu digne d'envie, car je le voyais amoureusement embrassé par une vieille dame qui n'avait qu'un œil et dont il cherchait vainement à se débarrasser, malgré les expressions énergiques à l'usage de nos marins, qui, on le sait, ne sont pas les plus aimables de notre langue.

Ce fut ainsi escortés et au cri de « Vivent les Anglais!» que nous arrivâmes à l'hôtel-de-ville, où les mêmes personnages qui étaient venus le matin en parlementaires nous recurent. Évidemment ils étaient peu préparés à notre visite, et, il faut le dire, en toute autre circonstance nous n'eussions point été justifiables d'avoir ainsi passé par-dessus toute formalité.

Certain cependant que nous n'avions point de maladie contagieuse à bord, et n'ayant visité aucune des parties de la Méditerranée où règne ordinairement la peste, je cherchai à rassurer de mon mieux les magistrats de la ville. Mais malgré tout ce que je pus dire sur la santé de nos équipages, cette infraction aux réglemens sanitaires paraissait les avoir profondément affectés. Aussi leur fis-je remarquer qu'il n'y avait point eu intention préméditée de notre part, et que, dans cette circonstance bien imprévue, c'était le peuple lui-même qui avait tous les torts. Ils me dirent alors qu'on n'avait jamais eu d'exemple que les lois de la quarantaine eussent été violées, si ce n'était par Napoléon lorsqu'il était revenu d'Égypte. Après cet incident, ils nous invitèrent avec une politesse toute française à entrer à l'hôtel-de-ville, nous rappelant en même temps tout ce qu'avait souffert leur ville sous le règne de Louis XV, par l'invasion d'une peste affreuse dont un magnifique tableau de David a retracé les horreurs. On nous pria poliment de nous rendre près du général commandant la place, qui entendait la grand'messe dans la cathédrale. Son étonnement et sa curiosité, en voyant paraître au milieu de l'église deux officiers de la marine anglaise en uniforme, ne sauraient se décrire; toutefois il me reçut avec la plus franche cordialité, et, on peut le dire, avec non moins de tact (car en ce moment j'étais le plus lion des deux); il nous invita à nous joindre à la procession (celle de la Vierge, je crois) qui allait sortir. Les rues par lesquelles nous passions étaient tellement

obstruées par la foule, que la procession n'avançait qu'avec la plus grande difficulté. Le nombre plus considérable des vieillards et des enfans était trop remarquable pour que je pusse m'empêcher d'en faire l'observation à quelques officiers municipaux; on me dit que c'était la conscription qui avait enlevé, comme une autre peste, tous les jeunes gens capables de porter les armes. La paix était donc un bienfait pour cette population décimée je compris alors les bruyantes acclamations dont nous étions l'objet. Les cris répétés de « Vivent les Anglais! » s'adressaient probablement à cette paix si désirée dont nous étions en quelque sorte les messagers et les garans.

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En arrivant près de le maison du général, on nous invita à prendre des rafraîchissemens que nous acceptâmes. Mais la populace manifestait au dehors une telle impatience de nous voir, que nous dûmes pour l'apaiser reparaître au milieu d'elles.

Cependant je commençais à réfléchir à ma responsabilité; elle était grande, car j'étais positivement sans instructions, et ne sachant rien des événemens au delà de Marseille, je n'avais aucun indice sur lequel je pusse régler ma conduite. Heureusement je savais que nos navires étaient prêts à tout événement, et j'avais pleine confiance dans le zèle et la bravoure de mon premier lieutenant Hastings, chargé du commandement en mon absence. Au milieu de l'enthousiasme général, un avis du commandant de la ville vint m'informer que son supérieur, le prince d'Essling, gouverneur de Toulon et commandant en chef la division, lui enjoignait de me notifier l'ordre de nous rendre à nos navires et de ne nous permettre de communications ultérieures qu'au moyen de parlementaires. Je répondis à ce mandat quelque peu insolent que, connaissant la force de mes bâtimens et l'avantage de leur position qui commandait la ville, je n'obéirais point à l'ordre du prince. Le prince menaça de marcher contre la ville à la tête de trois mille hommes; mais c'était à quoi j'étais également préparé.

Pendant cette aigre discusssion, le colonel Campbell, envoyé anglais, survint avec une nouvelle de la plus haute importance. A quatre postes de Marseille, il avait appris que j'étais, en communication avec la ville; aussi avait-il accéléré son voyage, afin de me remettre copie des instructions de lord Castlereagh relatives à la mission dont il était chargé. Il m'informa qu'il avait laissé l'empereur Napoléon sur la route de SaintTropez, où il avait été convenu qu'il s'embarquerait accompagné des envoyés des souverains alliés. Aussitôt je fis tous mes préparatifs pour quitter la rade de Marseille, et le matin du jour suivant (26 avril) je fis voile pour Saint-Tropez, laissant au capitaine Napier le commandement de la station.

Le 27, à mon arrivée devant Saint-Tropez, je fis hisser au grand mât un pavillon rouge, signal convenu avec le colonel Campbell à Marseille. Un bateau sortit aussitôt du port avec un lieutenant de la frégate française la Dryade, commandée par le comte de Montcabrié, et qui était mouillée là avec la corvette la Victorieuse. Le comte m'envoya son lieutenant pour m'informer que l'empereur Napoléon avait abdiqué, et que la Dryade avait l'ordre de rester à Saint-Tropez avec la Victorieuse, dans le but de conduire Napoléon à l'île d'Elbe, dont la souveraineté lui avait été garantie par les puissances alliées. En ce moment, une barque vint le long du bord, amenant un officier autrichien, le major Sinclair, que le colonel Campbell envoyait de Fréjus pour m'informer qu'à la demande expresse de l'empereur, les envoyés des souverains avaient jugé à propos de changer le lieu de l'embarquement, et qu'ils me requéraient de me rendre à la baie de Fréjus, à cinq ou six lieues de Saint-Tropez ; c'était là que Napoléon avait débarqué à son retour d'Égypte. A mon arrivée, je trouvai des chevaux que le colonel Campbell m'avait envoyés, ainsi qu'un sergent d'ordonnance, qu'il mettait à ma disposition pour communiquer avec la ville, située sur une hauteur, à trois ou quatre milles de l'ancrage. Profitant de cet avantage, je me rendis immédiatement près du colonel Campbell, qui, quoiqu'il souffrît vivement de ses blessures, m'accompagna aussitôt au Chapeau Rouge, petit hôtel (le seul, je crois, de Fréjus) où Napoléon était logé, et, je l'avoue, quelles que

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