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46. Le Gouver. nement de Lacé

d'humanité & par une raison de politique. Par-là, ils adouciffoient la férocité de leurs ennemis; l'efpérance d'être bien traités, s'ils rendoient les armes, les empêchoient de fe li vrer à cette fureur qui eft fouvent fatale aux victorieux.

La République de Sparte étoit un camp toujours subsistant, une assemblée de Guerriers toujours fous les armes. Des hommes élévés uniquement pour la guerre, qui n'ont d'autre travail, d'autre étude, d'autre profeffion que celle de fe rendre habiles à détruire les autres hommes, doivent être regardés comme ennemis de toute fociété, de tout.commerce. Se détacher du refte du genre humain, se regarder comme fait pour le foumettre, c'eft fe déclarer ennemi de tous les hommes. En accoûtumant chaque Citoyen à la frugalité, Lycurgue auroit dû apprendre à la Nation en géné ral à borner fon ambition.

La tempérance des Spartiates & l'austérité de leur vie démone a donné étoient fi grandes, que les autres Nations eftimoient qu'il

en tout genre des

liers, & il étoit

exemples fingu- valoit beaucoup mieux mourir, que de vivre comme eux. Il rès-défectueux. n'eft pas aifé en effet de concevoir comment les maximes austeres de Lycurgue pûrent être adoptées. On voit dans toutes fes Loix une République entiere fe livrer aux maximes d'un Philofophe chagrin. Il oblige des hommes qui, aimant la vie, doivent aimer leurs aises, à se priver de tout ce qui fait l'attrait des hommes les plus fages, & cependant ces mêmes hommes bâtirent à Lycurgue un Temple comme à un Dieu (a). Quelle bizarrerie qu'un Gouvernement où la fortune des Rois n'étoit attachée qu'au bon plaifir d'un Ephore qui avoit vû-tomber une étoile, ait subsisté fi long-tems!

(2) Paufanias, Voyage Hiftorique de la Gréce au Liv. 3. qui contient le voyage de Laconie.

Sparte eft encore le feul pays qui se soit accommodé de deux Rois, actuellement vivans tous deux dans la même enceinte, comme si ce Gouvernement avoit dû donner des exemples finguliers en tout genre. Et néanmoins, ce phénomène hiftorique ne dura pas fimplement pendant quelques années, mais pendant plufieurs fiécles. Là, on voit des exemples de sagesse, de retenue, & de valeur qui paroiffent au-deffus de l'humanité. » L'Etat des Lacédémoniens (dit l'Orateur Ro» main) eft fi renommé par l'excellence d'une valeur que la »> nature & la discipline ont affermie qu'ils font les feuls dans » toute l'étendue de la terre qui vivent depuis plus de fept »cens ans, fuivant les mêmes Coûtumes, & fans avoir ja» mais rien changé à leurs Loix («) «.

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Cette constitution d'Etat n'avoit point d'exemple fur la terre avant Lycurgue, & ce Législateur qui n'avoit imité personne, n'a été ainsi suivi de personne. Nous avons une pente naturelle à admirer ce qui de loin nous paroît enveloppé dans une mystérieufe obfcurité ; & c'est peutêtre à cette difficulté de les pénétrer, que les Lacédemoniens font en partie. redevables de tant d'éloges que les Auteurs leur ont prodigués dans tous les tems. Il n'y a aucun fujet de douter que les Ecrivains qui ont élévé ce Gouvernement jufqu'au Ciel, ne foyent allés trop loin. Il faut bien que les Loix de Lycurgue ayent paru meilleures dans la théorie, qu'elles ne l'étoient dans la pratique, puifque les Politiques étrangers ne les prirent jamais pour modele, & que les Lacédémoniens eux-mêmes ne pûrent ou ne voulurent jamais les établir, ni dans leurs colonies, ni dans leur pays de conquête (b). Nu

(a) Soli orbe terrarum feptingentes jam annos amplius unius moribus & nunquam mutatis Legibus vivunt. Cicer.

(b) Ifocrat. Panath.

47. Fin

moins

du

encore

dans les MAINOTES.

ma,

se servant d'un Lacédémonien pour rediger les fiennes, les fit pourtant, pour la fubftance, très-différentes de celles de Lacédémone (a), & lorsque les Romains envoyerent depuis chercher dans la Gréce les loix les plus fages & les plus célébres, pour examiner l'ufage qu'ils en pourroient faire > ce fut aux Athéniens & non aux Lacédémoniens qu'ils s'addreffoient.

L'amour de l'or & de l'argent se glissa enfin dans Sparte Gouvernement; (b); & à la fuite des richeffes, l'avarice, le luxe, & la volupté qui en font prefque inféparables, y trouverent accès. Cette ville fe vit dechue de fon ancienne puiffance, & elle fut réduite dans un état d'humiliation qui dura jusqu'au tems du regne d'Agis & de Leonide. Le partage des terres que Lycurgue avoit fait, s'étant cependant conservé, avoit suspendu pour quelque tems le mauvais effet des autres abus ; mais on donna atteinte à cet établiffement, par une loi qui permettoit à tout homme de disposer de fon vivant de fa maifon & de fa terre, ou de les laiffer par fon testament à qui il voudroit. Cette nouvelle loi qui changeoit le nombre des héritages que Lycurgue avoit établi, acheva de faper le. fondement de la police de Sparte. Ce fut un Ephore nommé Epitade qui la fit paffer, pour se venger d'un fils dont il étoit mécontent. Il en coûta la vie à Agis, pour avoir voulu rétablir les loix de Lycurgue. Elles furent néanmoins rétablies fous Cléoménes fils de ce même Leonide qui s'étoit oppoféaux vûes d'Agis son collégue dans la Royauté. Cleomenes & fon frere, Roi avec lui (c), furent vaincus par Antigone;

(a) Plutar. in Numâ,

(b) Plutar in Agid. pag. 796. 801.

(c) Ce fut l'unique fois que l'on vit deux Rois de la même famille fur le trône.

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&

& Sparte paffa ainfi fous le joug des Rois de Macédoine (a); mais lorsque les Spartiates furent foumis dans la fuite par Flaminius, ils obtinrent de la République Romaine la confervation de leurs anciennes Loix.

Leurs Descendans, comme tous les autres Grecs, gémissent fous la domination du Grand Seigneur,fi j'en excepte les Mainotes, & cette exception mérite bien de trouver ici fa place. Les Mainotes font des Defcendans des anciens Lacédémoniens, qui confervent encore aujourd'hui, par leur valeur, la fupériorité que leurs peres avoient fur les autres Grecs. ils ne forment qu'un corps de douze mille hommes de guerre, & cependant les Turcs n'ont pû encore ni les fubjuguer ni les réduire à leur payer tribut. Les Vénitiens, dans le tems qu'ils étoient les Maîtres de la Morée, ne purent jamais réussir non plus à les foumettre aux Loix de Venise. Ce nom moderne de Mainotes leur a été donné, d'un mot Grec qui fignifie Furie, parce que lorsqu'ils vont au combat, ils se jettent fur l'ennemi avec une espece de fureur. Le pays que les Mainotes habitent, eft tout environné de montagnes, & c'est ce qui en fait la force (b).

différentes for

nement, & effuya

tions, jufqu'au

réduite en Pro

Le Gouvernement d'Athènes varia plufieurs fois. Après 48.Athènes eut avoir été long-tems fous les Rois, puis fous les Archontes, mes de Gouvercette Ville rendit fon Gouvernement populaire. Elle vêcut diverfes révolu enfuite fous le pouvoir tyrannique des Pififtratides. Sa li- tems où elle fut berté, recouvrée bientôt après, subsista avec éclat jufqu'à vince Romaine. l'échec de Sicile & à la prise d'Athènes, par les Lacédémoniens. Ceux-ci la foumirent aux trente tyrans dont l'autorité ne fut pas de longue durée, & fit encore place à la liberté. (a) L'an du monde 3782, avant Notre-Seigneur 223 ans.

(b) Voyez l'Histoire de l'Empire Ottoman par Cantimir, pag. 484 du troifiéme Volume de la Traduction Françoife, imprimée à Paris en 1743.

Tome I.

E e

49. Des Rois d'Athènes.

50. Des Archontes,

Elle s'y conferva au milieu de divers événemens, pendant une affez longue fuite d'années, jufqu'à ce que Rome cût enfin subjugué la Gréce & l'eût réduite en Province Romaine.

Athènes, dans fa naiffance, eut des Rois, mais des Rois qui n'en avoient que le ncm & qui n'étoient point absolus, comme le furent les premiers Rois de Lacédémone & ceux de Thèbes (4). Ils étoient moins les Souverains que les premiers Citoyens de l'Etat. Les Magiftrats étoient plutôt leurs Collégues que leurs Miniftres. Ces premiers Rois d'Athènes ressembloient à ceux qui long-tems après gouvernerent la Germanie, & dont un Historien célébre a dit qu'ils avoient dans le Sénat une voix, plutôt pour confeiller que pour commander ; & que fi, de leur propre autorité, ils terminoient de petites affaires, ils confultoient les peuples dans les grandes (b). Toute la puiffance des Rois d'Athènes, presque réduite au commandement des armées pendant la guerre, vanouiffoit pendant la paix.

s'é

On comptoit dix Rois à Athènes depuis Cécrops jufqu'à Théfée, & fept depuis Théfée jusqu'à Codrus qui s'immola lui-même pour le falut de la patrie. Ses enfans, Médon & Nilée, fe difputerent le Royaume. Les Athéniens, fatigués d'une gune inteftine, en prirent occafion d'abolir la Royauté, & déclarerent Jupiter le feul Roi d'Athènes : Théocracie bien chimérique !

A la place des Rois, ils créérent, fous le nom d'Archontes, des Gouverneurs perpétuels. Il y en eut treize qui remplirent fucceffivement un peu plus de trois fiécles (c), à

(a) Voyez le portrait que font de Théfée, Sophocle dans fon Edipe à Colone, & Euripide dans fes Suppliantes.

(b) Tacit. de moribus Germanorum.

(c) 316 ans.

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