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N'oublions pas que le professeur est aussi chargé d'une tâche morale: il a cure d'âmes; il est missionnaire de la vérité et de la vertu; son enseignement n'est pas seulement une instruction: il doit devenir une éducation, et aucune science ne répudie ce beau rôle. Vous ne demanderez donc au professeur élémentaire ni des découvertes nouvelles, ni des systèmes originaux; mais vous lui demanderez de propager la science et d'en préparer l'avenir. Il n'en est pas de même dans ces grandes universités qui se peuplent de jeunes hommes instruits dans des gymnases ou des colléges préparatoires. L'université appelle le professeur inventeur, le novateur, le créateur des systèmes nouveaux ; elle appelle l'homme qui fait école, en ouvrant à l'esprit humain une carrière encore inexplorée. Ces universités prennent place dans le monde savant; elles y représentent une direction scientifique déterminée ; ce sont des organes qui ont à remplir une fonction spéciale dans la vie spirituelle de l'humanité.

Fidèle à l'esprit de sa fondation, l'académie de Lausanne a conservé toujours la position modeste qui lui était assignée. Sans représenter aucun système, sans devenir l'organe d'aucun parti, sans faire jamais école dans le monde savant, elle a compté dans ses chaires des professeurs distingués auxquels il n'a manqué qu'un grand théâtre pour conquérir un grand nom. Quelques-uns ont montré de l'originalité, nous oserons même dire du génie; ils ont laissé une empreinte, mais seulement autour d'eux et dans un champ circonscrit.

Il n'y a rien d'important à remarquer sur l'enseignement des lettres grecques et romaines; les élèves y arrivaient assez bien préparés par les leçons du collége, et les professeurs obtenaient des succès incontestables. Toutefois la direction de l'enseignement académique était plutôt philologique et critique que littéraire.

Au point de vue scientifique qui attire dans ce moment notre attention, nous avons à nous occuper principalement de la philosophie et de la théologie.

22.

L'enseignement de la philosophie.

Règlements. Professeurs.

Il est utile de rappeler les règlements successifs destinés à diriger l'enseignement des professeurs de philosophie: on y trouve le tableau officiel de la marche de la science.

C'est en 1550 que l'Académie reçut son premier règlement ; le collége fut aussi constitué par une organisation déterminée. L'enseignement de la philosophie commence dans la première classe du collége. On étudie les éléments de la dialectique de Rivius ou de Gaspard Rodolph. On alterne de semaine en semaine entre les déclamations de rhétorique et les disputes ou argumentations sur des sujets de grammaire, de dialectique, de rhétorique. Dans l'Académie, au milieu des attributions innombrables et variées du professeur des arts, on plaça l'explication de l'organon d'Aristote, l'arithmétique, les quatre premiers livres d'Euclide, et pour la physique l'étude des traités d'Aristote sur le monde, sur l'âme et celle des petits ouvrages d'histoire naturelle. Cette organisation ne tarda pas à être changée; son insuffisance fut promptement reconnue ; dès l'année 1594 on institua un enseignement spécial de philosophie.

Un siècle après environ, en 1640, un nouveau règlement qui érige quatre chaires, assigne à celle de philosophie la logique de Ramus, la physique de Martinus, et la métaphysique suivant la portée et l'intelligence des élèves.

En 1680, un règlement spécial interdit au professeur de philosophie d'enseigner la philosophie de Descartes et celle d'Antoine-le-Grand son disciple, comme entraînant à des conséquences dangereuses pour l'orthodoxie.

Plus de liberté fut laissée au professeur de philosophie par le règlement de 1700. Il doit donner des leçons sur la logique, sur la physique et sur la métaphysique; il achèvera dans trois ans au plus le cours de ces études. Il prendra un auteur sacré ou profane, comme les épîtres de Cicéron ou quelque auteur qui contienne de belles leçons de morale; il en fera exactement l'analyse logique, ce qui est d'un grand usage dans la suite pour le ministère. Il usera de la liberté de philosopher, mais de manière à ne donner aucune atteinte à l'orthodoxie.

L'année 1788 amène un règlement qui modifie d'une manière heureuse l'organisation de l'enseignement de la chaire de philosophie, en retranchant celui de la physique. Le professeur de philosophie, est-il dit, donne, chaque semaine, trois leçons de mathématiques en français et trois de métaphysique et logique en latin.

Enfin, en 1794, les mathématiques furent aussi séparées de la philosophie. Cette dernière science demeura seule. On l'appelait philosophie rationnelle, pour la distinguer de la philosophie naturelle qui comprenait l'ensemble des sciences physiques et l'histoire naturelle.

L'enseignement était donné en latin.

En comparant ces divers règlements dans leur succession assez rapide, on remarque un progrès incontestable. A deux égards surtout, l'amélioration est sensible. D'abord, la philosophie que l'on associait aux mathématiques et aux sciences physiques, s'en dégage peu à peu pour rester seule dans son immensité. Cette combinaison ne s'expliquait que par la confusion qui régnait entre les trois sciences dont les limites étaient

mal déterminées; les philosophes, à l'exemple de leurs devanciers dans l'antiquité, envahissaient tout, introduisant partout leurs abstractions et ces conceptions a priori dont les méthodes expérimentales ont si bien fait sentir le vide et la stérilité. Aujourd'hui, dans l'état actuel de la philosophie, des mathématiques et de la physique, en considérant leurs ramifications diverses, ainsi que les applications multipliées qu'elles reçoivent, il est peu d'hommes qui eussent le courage ou la présomption d'accepter le fardeau de ce triple enseignement.

On trouve aussi un progrès dans cette mesure plus grande de liberté qui est accordée au professeur de philosophie. Les premiers règlements déterminent les systèmes qu'il doit exposer; ils choisissent même les livres élémentaires dont il se servira. Peu à peu les chaînes s'allégent, le champ à cultiver s'élargit, il n'a plus l'enceinte étroite d'une prison. Enfin on a confiance dans le Professeur, et l'on se borne à lui donner une direction générale. Nous nous réjouissons de ce développement de la liberté. Dans la science, comme dans la société, la liberté est un élément de vie, elle n'est pas toute la vie; mais elle en est une condition indispensable. Donner plus de liberté, c'est donc assurer mieux le mouvement et le déploiement de la force. Mais une autre condition de la vie, c'est l'ordre. Loin de nous donc le désir d'ouvrir à l'enseignement une carrière sans limites et de le lancer dans les espaces de la pensée comme un coursier sans frein ou un navire sans pilote. Dans une institution à laquelle on fixe un but déterminé, il est nécessaire de poser des règles et d'assigner à chacun sa tâche, mais avec largeur, avec générosité, avec confiance. Ces règles sont les barrières que l'on place sur le bord des précipices; elles n'empêchent pas le voyageur de marcher; elles l'empêchent de tomber. C'est la pensée de Condillac.

Considéré en lui-même, dans l'ancienne Académie, l'ensei

gnement de la philosophie ne présente rien de remarquable. Aucun monument ne nous fait connaître qu'il reçoive un caractère spécial; il était de son siècle et de son pays. On y retrouvait probablement l'aristotélisme scholastique modifié par les principes de la réformation.

En Allemagne, la philosophie de Mélanchton régnait dans toutes les écoles protestantes. A la fin du seizième siècle, Maitre Philippe, comme on disait, était le précepteur commun de la Germanie. Sa doctrine, appropriée à plusieurs égards aux besoins de l'époque, dans les pays qui avaient embrassé la réforme, ne tarda pas à revêtir aussi les formes de la scholastique. Mais nous sommes porté à croire que l'influence de l'ami de Luther se fit beaucoup moins sentir dans notre académie calviniste que dans les écoles d'Allemagne.

La plupart des premiers professeurs de philosophie étaient théologiens ou médecins. Eustache du Quesnoi, qui occupa cette chaire depuis 1557 jusqu'à 1559, était médecin ; il a écrit sur la médecine. Marquard qui lui succéda était théologien. Après une interruption de plusieurs années, la chaire de philosophie fut occupée, en 1578, par Claude Aubri ou Auberi, docteur en médecine; il se signait Claudius Alberius Triuncuranus; il était du Dauphiné. En 1588, Aubri fit un livre qui parut entaché d'hérésie, Apodicticæ orationes sur l'Epître aux Romains. Le sénat de Berne pria le Conseil de Genève de lui accorder pour quelques jours Théodore de Bèze. Celui-ci vint à Lausanne, examina le livre d'Aubri, lui fit rendre compte de sa doctrine et obtint qu'il signât une rétractation. Aubri accusé de nouveau en 1592, et refusant de se rétracter, fut destitué avec son collègue Æmilius Portus, professeur de grec et de morale, qui partageait et répandait les mêmes opinions. L'amour-propre du professeur de philosophie fut tellement blessé par cette condamnation qu'il renonça dès lors à toutes ses convictions, à

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